Un souscripteur a perdu 340 000 euros, des centaines d’autres réclament les capitaux qu’on leur a piqués. (photo © GPouzin)

Deontofi.com revient sur le procès des contrats d’assurance Visa Vie, disparus au préjudice de leurs souscripteurs et assurés. [sommaire]

Une fois le partage des responsabilités établi, reste à déterminer l’indemnisation du préjudice, qui fait aussi l’objet d’âpres discussions.

Pour les victimes, le préjudice peut être de deux sortes selon leur destin personnel, voire trois selon le destin de leur société.

En cas de vie, indemnisation selon l’échéance du contrat

Quand les patrons de PME assurés par leur société étaient encore en vie au terme de leur adhésion aux contrats « Visa Vie » et « Vis-à-vie », ils auraient dû récupérer le capital prévu à leur contrat, correspondant à sa valeur de rachat. En l’absence de nullité des contrats, les assurés « survivants » auraient bien reçu un capital correspondant à l’intégralité des cotisations versées par leur entreprise. Pour ces assurés, le tribunal considère que la disparition de leur argent, consécutive à l’annulation des contrats dans le cadre de leur transfert avorté, occasionne une perte de chance de récupérer leur capital correspondant à 70% de celui-ci, « Sphéria Vie n’étant tenue qu’à 40% de cette perte de chance ».

Le liquidateur et le tribunal, double emploi ou double râteau ?

S’il n’indique pas qui devrait payer les autres 60% de ces 70% du capital perdu, le jugement évoque les demandes de remboursement en cours, ou déjà effectuées par le liquidateur du courtier AlsAss. « Il est constat que Maître Mauhin a dores et déjà procédé à des règlements (…). Outre qu’il n’est pas établi à ce stade de la procédure que Maître Mauhin ne pourra pas procéder au remboursement intégral des valeurs de rachat et coûts initiaux d’acquisition, il apparaît à l’évidence que les préjudices allégués par les demandeurs font double emploi avec les créances qu’ils ont déclarées au passif de la liquidation judiciaire de la société AlsAss » (p.24 §3-5).

Si l’indemnisation accordée par ce jugement peut sembler incomplète au regard du préjudice de perte totale de leurs cotisations par les assurés « survivants », on peut donc espérer qu’ils récupèrent un complément d’indemnisation dans le cadre de la liquidation.

S’il reste assez d’argent. Car c’est bien le problème dans ces procédures, où les professionnels se renvoient la balle pendant des années par procès interposés, pour esquiver l’indemnisation des épargnants. Ces derniers sont bien obligés de porter leurs demandes de remboursement ou d’indemnisation à différents guichets, pour espérer être indemnisés par les tribunaux s’ils ne sont pas remboursés par la liquidation.

Si les tribunaux refusent d’indemniser les assurés sous prétexte qu’ils ont encore un espoir de récupérer leur argent dans le cadre de la liquidation, le risque est aussi qu’ils n’aient ni l’indemnisation ni le remboursement, dans l’hypothèse où il ne reste pas assez d’argent pour apurer le passif du courtier liquidé.

Assurés vivants aux contrats interrompus

Pour les assurés dont le contrat n’avait pas atteint son terme, l’appréciation du préjudice est plus délicate. Certes, ils auraient pu récupérer l’intégralité de leurs cotisations à l’échéance de leur contrat s’il n’avait pas été annulé, mais encore aurait-il fallu qu’ils continuent à honorer leurs engagements de cotisations périodiques jusqu’à cette échéance. Comme cette possibilité de récupérer leur capital semble moins certaine, « il y a lieu d’évaluer cette perte de chance à 40% des capitaux qui auraient dû être versés à chacun des assurés dont le terme n’est pas acquis à la date du présent jugement », estiment les juges.

Pas de chance pour ceux dont le contrat arrivait à échéance peu de temps après le jugement, leur droit à indemnisation chute de 70% à 40% du capital perdu.

Capital bloqué en cas de décès

Enfin, le cas des assurés décédés est encore plus aléatoire, selon ce qu’est devenue leur société après leur décès. Au-delà du fait qu’ils soient décédés, ces patrons de PME avaient aussi souscrit ces contrats pour laisser un capital à leurs héritiers en cas de décès, le capital constitué devant alors être reversé à leur société. Or, il n’est pas rare que des petites entreprises ne survivent pas au décès de leur dirigeant, quand toute leur activité repose sur ses épaules, comme souvent dans les TPE ou petites entreprises artisanales et commerciales.

C’est malheureusement le cas de Monsieur Léon [prénom modifié], dirigeant de la société Cado. « La société Cado [nom abrégé] indique que du fait de la nullité du contrat souscrit auprès de Sphéria Vie elle n’a pu percevoir le capital d’un montant de 340 360 euros prévu en cas de décès de Monsieur L. avant le 1er septembre 2015, le risque étant réalisé le 26 octobre 2012. Elle sollicite donc le règlement d’une indemnité égale au capital stipulé », rappelle le jugement.

Le problème est que cinq ans après le décès de son patron, la société Cado a fini par disparaître, reprise par une autre entité avant de faire l’objet d’une transmission universelle de son patrimoine (TUP) à cette dernière, pour être finalement radiée du registre du commerce en janvier 2017.

340 000 euros perdus ou piqués par les assureurs ?

Résultat, la société « n’ayant plus d’existence juridique, elle est irrecevable en sa demande », conclut le jugement. Pas de chance ! Non seulement il ne fallait pas mourir, mais en cas de décès il fallait que la société survive pour prétendre à recevoir le capital prévu en cas de décès. Ce pauvre Monsieur Léon. qui pensait laisser 340 000 euros de capital en plus à ses héritiers pour les consoler de son décès doit se retourner dans sa tombe. Il a juste perdu 340 000 euros dans un contrat d’assurance qui ne vaut rien ! Comment ne pas admettre que le montage scabreux d’AlsAss n’est pas à l’origine de tels déboires ? Car cet argent n’a pas été perdu pour tout le monde : les assureurs ont bel et bien empoché ce capital qu’ils devaient restituer !

En tout cas, cela servira peut être de leçon aux patrons de PME sollicités pour des montages d’assurance « homme-clé » ou autres protections du patrimoine du chef d’entreprise. Comment faire encore confiance à de tels contrats, quand on voit qu’ils peuvent disparaître avec leurs capitaux sans assurer les garanties promises ? Mieux vaut bien vérifier où va l’argent dans de telles circonstances, car cette affaire démontre qu’on n’est jamais certain de le revoir, même avec un contrat d’assurance sur la vie en béton, présenté comme sûr par des compagnies d’assurance-vie ayant pignon sur rue et leurs courtiers les plus présentables.

Lire la suite / sommaire du procès:1- L’assurance-vie envolée, au procès Visa Vie2- Un contrat d’assurance-vie dont le courtier est bénéficiaire !3- Brouille entre assureurs et faillite du courtier4- Capitaux irrécupérables : qui est responsable ?5- Quelle indemnisation pour les victimes de l’assurance Visa Vie ?

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