Les EMTN, ou « placements à promesse » sont souvent présentés de façon trompeuse. (photo © GPouzin)

S’ils sont correctement présentés par leurs promoteurs, et bien compris par leurs souscripteurs, certains produits structurés peuvent présenter des opportunités d’investissement et de diversification pour les épargnants. Malheureusement, trop de produits structurés dissimulent de mauvaises surprises, mal expliquées aux clients, voire carrément occultées par les vendeurs et promoteurs de ces placements à double tranchant.

La Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) vient ainsi de rendre une décision qui nous éclaire un peu plus sur les vices de ces produits et de leur commercialisation.

L’affaire est presque anecdotique, au regard des sommes en cause et de la taille de la société mise en cause, la Financière de Diane, un modeste cabinet de conseil en gestion de patrimoine de Strasbourg, représenté par sa fondatrice et dirigeante Caroline Zubcevic, défendue par Maître Claire Sauty de Chalon, avocate du cabinet MirieuSauty.

Les mauvais placements qu’elle vendait portent en revanche des noms bien connus dans l’univers des contentieux à l’épargne : Leonteq et Société générale. Lisez notamment : https://deontofi.com/leonteq-on-croit-ou-pas/

Entre 2015 et 2017, Financière de Diane a ainsi commercialisé des produits structurés, comme ceux dont Deontofi.com dénonce régulièrement les risques de déception, en particulier un Euro Medium Term Notes (« EMTN Leonteq »), pour 3,425 millions d’euros, et une Credit Linked Note indexée sur le risque de crédit de la société espagnole Abengoa SA (« CLN Abengoa ») émise par le groupe Société générale, pour 800 000 euros (p.2 et p.14 §85).

Des clients et CGP victimes des EMTN de Leonteq poursuivent par ailleurs Leonteq en justice pour demander une indemnisation de leurs pertes, avec les conseils du cabinet d’avocats Lecoq-Vallon & Feron-Poloni (lire plus ici).

La Financière de Diane vendait aussi des titres des fonds Prime Stone (ci-après, les « Titres Prime Stone ») et Rohan Participations (ci-après, les « Titres Rohan Participations »), tous deux gérés par la société Rohan Investissement et qualifiés par les contrôleurs, le collège de l’AMF et la mise en cause d’« autres FIA » (autres fonds d’investissements alternatifs) au sens de l’article L. 214-24, III du code monétaire et financier.

L’AMF a procédé à un contrôle des méthodes de vente de ces placements, portant sur 5 dossiers de souscription du CLN Abengoa, 3 souscriptions d’EMTN Leonteq, et 3. dossiers de souscriptions au capital de Prime Stone ou de Rohan Participations.

Défaut d’information, information trompeuse et conflits d’intérêt

Il est reproché à Financière de Diane :

– de n’avoir établi aucun des documents réglementaires CIF dans le cadre du conseil portant sur les EMTN Leonteq, la CLN Abengoa et les Titres Prime Stone, en méconnaissance des dispositions des articles 325-3, 325-4 et 325-7 du règlement général de l’AMF ;

– d’avoir fourni, dans le cadre du conseil portant sur la CLN Abengoa, une information inexacte, trompeuse et pouvant amoindrir la portée des avertissements sur le risque présenté par cet investissement, en méconnaissance des dispositions de l’article 325-5 du règlement général de l’AMF ;

– d’avoir proposé des titres financiers faisant l’objet d’une offre au public irrégulière, ce qui caractérisait un comportement contraire à l’intérêt de ses clients, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 541-8-1, 2° du code monétaire et financier ;

– d’avoir omis de traiter une situation de conflits d’intérêts résultant des relations contractuelles entre la société Rohan Investissement et Mme Zubcevic et de ne pas avoir fourni à ses clients une information complète, exacte et compréhensible relative au montant et au mode de calcul de la rémunération de cette dernière en tant que salariée de Rohan Investissement, en méconnaissance des dispositions des articles L. 541-8-1, 5° du code monétaire et financier et 325-6, 2° et 325-8 du règlement général de l’AMF.

En pratique, la Financière de Diane, cabinet de CGP membre de l’association professionnelle Anacofi, n’a établi aucun des documents d’entrée en relation, lettre de mission, ou rapport écrit prévus en ce qui concerne les CIF par les articles 325-3, 325-4 et 325-7 du règlement général de l’AMF, pour au moins les 10 dossiers de clients contrôlés. (p.4)

N’ayant pas peur du ridicule, la défense plaide la prescription, estimant que la plupart des entrées en relation avec ces clients datant de plus de trois ans, leurs irrégularités ne pourraient être poursuivies par le gendarme boursier. Elle estime par ailleurs s’être mise en conformité par « l’établissement systématique, depuis 2017, de documents réglementaires CIF conformes ».

Sur ce plan, l’AMF réplique qu’une lettre d’entrée en relation doit être établie dès que le conseiller en investissement financier établit une nouvelle recommandation à ses clients, s’il ne l’avait pas fait antérieurement, par exemple dans le cas d’une relation ancienne antérieure à l’entrée en vigueur de cette obligation, selon l’article 325-3 du règlement général de l’AMF. (p.5)

Ignorance des réglementations du Conseil en investissement financier

« Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la mise en cause, l’article 325-3 du règlement général de l’AMF n’est pas entré en vigueur le 18 juin 2013, mais le 31 décembre 2007, soit antérieurement à la création de Financière de Diane. Dans sa version en vigueur du 31 décembre 2007 au 18 juin 2013, cet article prévoyait déjà une obligation pour les CIF de remettre à leurs clients un document d’entrée en relation », précise l’AMF pour mettre les points sur les i.

En clair, non seulement l’argument d’une improbable prescription de ses infractions est nul, mais la Financière de Diane ou son avocate semblent ignorer la réglementation du Conseil en investissement financier. On a du mal à le croire, sachant que l’avocate du cabinet épinglé a travaillé pendant plus de 4 ans à la direction de l’instruction et du contentieux des sanctions de l’Autorité des marchés financiers.

Comme dans la plupart des procès de délinquance financière de dirigeants, il est vrai qu’on s’est habitué à voir des professionnels qualifiés préférer plaider l’incompétence par mauvais foi, plutôt qu’admettre que oui, ils connaissaient les règles, et non, ils ne les respectaient pas.

Pour mémoire, tous les conseillers en gestion de patrimoine (CGP) exerçant une activité de conseillers en investissements financiers (CIF), notamment lorsqu’ils recommandent des placements et répartitions d’actifs, ont l’obligation de fournir 3 documents à leurs clients.

Document d’entrée en relation (présentant le conseiller)

L’article 325-3 du règlement général de l’AMF, dans sa version en vigueur du 18 juin 2013 au 7 juin 2018, non modifiée depuis dans un sens moins sévère, dispose : « Lors de l’entrée en relation avec un nouveau client, le conseiller en investissements financiers lui remet un document comportant les mentions suivantes : / 1. Son nom ou sa dénomination sociale, son adresse professionnelle ou celle de son siège social, son statut de conseiller en investissements financiers et son numéro d’immatriculation au registre mentionné au I de l’article L. 546-1 du code monétaire et financier ; / 2. L’identité de l’association professionnelle à laquelle il adhère ; / 3. Le cas échéant, sa qualité de démarcheur et l’identité du ou des mandants pour lesquels il exerce une activité de démarchage ; / 4. Le cas échéant, l’identité du ou des établissements promoteurs de produits mentionnés au 1° de l’article L. 341-3 du code monétaire et financier avec lesquels il entretient une relation significative de nature capitalistique ou commerciale ; / 5. Le cas échéant, tout autre statut réglementé dont il relève ».

Lettre de mission (décrivant la relation de conseil et ses rémunérations)

L’article 325-4 du règlement général de l’AMF, dans sa version en vigueur du 31 décembre 2007 au 7 juin 2018, non modifiée depuis dans un sens moins sévère, prévoit : « Avant de formuler un conseil, le conseiller en investissements financiers soumet à son client une lettre de mission, rédigée en double exemplaire et signée par les deux parties. / La lettre de mission, rédigée conformément à un modèle type élaboré par l’association à laquelle le conseiller en investissements financiers adhère, comporte notamment les indications suivantes : / 1. La prise de connaissance par le client du document mentionné à l’article 325-3 ; / 2. La nature et les modalités de la prestation, en adaptant la description de celle-ci à la qualité de personne physique ou morale du client ainsi qu’à ses caractéristiques et motivations principales ; / 3. Les modalités de l’information fournie au client, en précisant, lorsque la relation est appelée à devenir durable, les dispositions spécifiques convenues en matière de compte rendu de l’activité de conseil et d’actualisation des informations mentionnées aux 3° et 4° de l’article 325-3 ; / 4. Les modalités de la rémunération du conseiller en investissements financiers, en précisant, s’il y a lieu, le calcul des honoraires correspondant à la prestation de conseil et l’existence d’une rémunération perçue de la part des établissements mentionnés au 4° de l’article 325-3 au titre des produits acquis à la suite des conseils prodigués. Un exemplaire de la lettre est remis au client après signature ».

Rapport écrit (sur les recommandations du conseiller)

L’article 325-7 du règlement général de l’AMF, dans sa version en vigueur du 31 décembre 2007 au 7 juin 2018, non modifiée depuis dans un sens moins sévère, dispose : « Le conseil au client est formalisé dans un rapport écrit justifiant les différentes propositions, leurs avantages et les risques qu’elles comportent. / Ces propositions se fondent sur : / 1° L’appréciation de la situation financière du client et de son expérience en matière financière ; / 2° Les objectifs du client en matière d’investissements. / Ces deux éléments sont exposés, dans le rapport, de façon détaillée et adaptée à la qualité de personne physique ou morale du client ».

Risques cachés des produits structurés

Deontofi.com le martèle depuis des années, le principal danger des produits structurés est lié à l’incompréhension de leurs risques par les clients. Il est vrai qu’ils sont rarement aidés par les vendeurs de ces produits, comme en témoigne cette affaire.

Dans un courriel de présentation du CLN Abengoa, l’AMF relève que la Financière de Diane a omis de mentionner les risques encourus, la définition de la notation financière « B » évoquée, et le fait que ce soit une notation de court terme, ainsi que les caractéristiques du produit (durée, définition de l’évènement de crédit et la mesure du taux de recouvrement en cas de défaut), « à l’exception du taux du coupon annuel » (p.6 $18), et du « taux de rendement annuel de cette CLN, présenté comme s’élevant à 6,02 % » (p.7 §29).

Ces dérives sont malheureusement fréquentes pour vendre des produits structurés : on vous fait miroiter un gain potentiel élevé (ici le taux du coupon annuel), en occultant ses conditions d’obtention et les risques de ne pas l’obtenir, pourtant plus probables que les chances de l’obtenir.

Sur ce point, la défense de la conseillère épinglée est intéressante, car elle pointe une pratique malheureusement répandue : « l’émission de cet instrument n’était alors qu’au stade de projet et qu’il ne peut pas lui être reproché d’avoir omis des précisions sur certaines caractéristiques qui n’étaient pas encore déterminées par l’émetteur » (p.6 §20).

Perte quasi-totale pour les clients des CLN

Certes, les conseillers financiers ne peuvent pas vraiment savoir à l’avance à quel point les produits structurés qu’ils vendent sont mauvais, même s’ils pourraient s’en douter en les étudiant un peu mieux, car le résultat est bien là : une « perte quasi-totale subie par les investisseurs du fait du défaut de la société Abengoa ».

Or, ce risque n’était pas clairement annoncé et expliqué aux souscripteurs, insiste l’AMF, puisque : « Le courriel de présentation ne contient, en revanche, ni la définition de l’évènement de crédit susceptible d’entraîner un remboursement anticipé, ni les hypothèses de survenance d’un tel évènement, ni les modalités de calcul des sommes dues en cas de remboursement anticipé. Et surtout, il ne comporte aucune mention des risques encourus par les investisseurs, liés aux CLN en général et à la CLN Abengoa en particulier, notamment celui de perte totale du capital investi. » (p.7 §29).

Ce défaut d’information est en infraction avec l’article 325-5 du règlement de l’AMF, en vertu duquel : « Toutes les informations, y compris à caractère promotionnel, adressées par un conseiller en investissements financiers, présentent un caractère exact, clair et non trompeur ». Car l’obligation d’information « exacte, claire et non trompeuse » prévue à cet article 325-5 du règlement de l’AMF vaut pour chaque correspondance adressée par un conseiller à ses clients. (p.7 §30).

Pour sa défense, la conseillère ira jusqu’à fournir des « attestations de ses clients sur la qualité de l’information qui leur a été dispensée », mais ne provenant évidemment pas des clients plumés par ses conseils perdants en produits structurés, puisque l’AMF note que ces attestations complaisantes « n’émanent d’aucun des clients de l’échantillon concerné par le présent grief ».

Exemples bidon des produits structurés CLN

La communication trompeuse des produits structurés ne concerne pas seulement leur prescription par les conseillers en placements, mais également les scénarios de gains ou de pertes mis en avant par les banques émettrices de ces titres, pour les rendre plus attractifs en minimisant leurs risques de perte. Dans cette affaire, mais ses constats vaudraient aussi bien aux CLN Rallye émis aussi par la Société générale, l’AMF note que « La brochure commerciale, dans sa partie relative aux « illustrations du mécanisme » de remboursement, présentait d’une part un scénario favorable dans lequel aucun évènement de crédit n’était survenu permettant à l’investisseur de bénéficier d’un taux de rendement annualisé égal à 6,04 % hors frais et fiscalité, et d’autre part un scénario défavorable dans lequel un évènement de crédit était survenu au cours du cinquième trimestre, entraînant pour l’investisseur une perte totale de 13,658 % du capital investi. Comme le souligne le rapport de contrôle, l’hypothèse d’un taux de recouvrement de 80 % sur lequel se fonde ce scénario défavorable apparaît peu réaliste s’agissant d’une CLN dont la valeur de liquidation, lors de la survenance d’un évènement de crédit, est déterminée en fonction de la valeur résiduelle des obligations standards émises par l’entité de référence, soit à un moment où leur valeur est au plus bas » (p.7-8 §32).

Un pas de plus et le gendarme boursier mettrait en cause la tromperie évidente des émetteurs de ces produits structurés. Mais il ne le franchira pas, estimant assez hypocritement : « il convient d’analyser les documents critiqués dans leur intégralité. Or, la brochure précitée contenait plusieurs références explicites au risque d’une perte totale en capital en cas de survenance d’un évènement de crédit. »

Le foutage de gueule du scénario négatif

Vous avez bien lu : si une banque écrit qu’il y a un risque de perte totale et qu’elle montre un exemple de perte faible, retenez que « ce n’est qu’un exemple » mais qu’en réalité vous êtes bien exposé « au risque d’une perte totale en capital ». Autrement dit, l’exemple est un « foutage de gueule » sans aucune valeur représentative du plus probable « scénario négatif ».

Comment peut-on espérer « orienter l’épargne des Français vers le long terme » en méprisant autant l’information des épargnants ?

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