Le procès en appel pour abus de confiance des ex-dirigeants du complément de retraite des enseignants et fonctionnaires (Cref) est l’occasion de comprendre comment 450 000 épargnants se sont fait piéger par ses fausses promesses. Deontofi.com publie les plaidoiries des quatre avocats défenseurs des victimes du Cref, telles que présentées à l’audience du 6 décembre 2013. (Tous les articles sur l’affaire Cref ici)
Plaidoirie de Maître Francis Terquem, première partie (1 sur 2).
J’ai cru comprendre que trois lignes de défense se dessinaient, entame Maître Terquem à propos des avantages dissimulés que s’octroyaient les anciens dirigeants du Cref accusés d’abus de confiance. Premièrement, on nous dit « nous avons informé, car les avantages étaient mentionnés dans le rapport au trésorier, approuvé en assemblée générale ». On peut aussi interpréter cette discrétion comme une marque de conscience du caractère anormal des avantages, analyse l’avocat. C’est d’une mauvaise foi absolue ! Dans le même esprit, on a la demande de contraventionnaliser l’infraction en nous disant « on a omis d’informer sans volonté de détournement de fonds ».
Sur le plan juridique, la défense a développé deux autres lignes, qui peuvent être résumées par deux termes. Le premier est « militant », employé par Monsieur Teulade. Le second est presque un gros mot. On nous a dit : « nous gérions un fonds de pension considérable ». Un fonds de pension ! Là, on nous renvoie à l’histoire du Cref, de la Mutualité française et du syndicalisme.
Après la seconde guerre mondiale, on a vu deux conceptions du financement de la retraite. Je le rappelle, car on nous a dit que cette explication nécessitait beaucoup de pédagogie et de nombreux déplacements, note l’avocat en pointant avec une once de sarcasme cet argument avancé par les accusés pour justifier leurs avantages contestés.
La retraite par répartition nécessite deux éléments incontournables, poursuit Maître Francis Terquem. D’abord sur le plan démographique : il faut une population en augmentation afin de conserver un ratio de quatre cotisants pour un retraité. Ensuite, il faut que les cotisations soient obligatoires, sinon c’est une aberration. Dans ses conclusions écrites, l’avocat rappelle d’ailleurs que dès 1994, « l’ARCAF (Association Nationale des Fonctionnaires Epargnants pour la Retraite) a dénoncé l’aberration économique et les dangers de ce fonctionnement en répartition facultative et a conseillé à ses adhérents de ne pas souscrire au CREF », car le principe de « répartition facultative » du CREF « reposait entièrement sur un pari, dit de la « boule de neige », selon lequel il y aurait au moins autant de cotisations dans le futur que dans le passé, sans la moindre garantie pour les épargnants. »
Pourquoi a-t-on rendu possible cette aberration à propos d’un système complémentaire, qui n’est par définition pas obligatoire ? Ce malheureux monsieur Parma n’était pas obligé d’adhérer, rappelle son défenseur pour souligner la force de recrutement du réseau mutualiste malgré son aberration intrinsèque. Pourquoi, à la fin des années 1980, la FEN (NDLR Fédération de l’Education nationale, se lance dans la construction d’un système de retraite par répartition facultatif ? Cela tient à l’histoire du mouvement ouvrier et salarié français. Il y a eu une division majeure de la FEN, entre les militants communistes et F.O., qu’on dit créé par les anglo-saxons, sur fond d’influence de la CIA (Central Intelligence Agency, l’agence de contre-espionnage américaine) et de l’AFL-CIO (American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations, premier syndicat aux Etats-Unis), lors de la scission de la CGT.
L’avocat reprend ce résumé historique dans les conclusions qu’il remet à la Cour : « Le Complément-Retraite de la Fonction Publique dit « CREF » était issu de la création, en 1949, d’une caisse autonome mutualiste par un syndicat de secrétaires de Mairie, membre de la FEN, destinée à leur permettre d’obtenir un juste retour du travail accompli lors de leur mission d’instituteurs. Ce régime a ensuite été ouvert à d’autres secteurs, le corps enseignant en 1954, les adhérents de la MGPTT en 1987 et ceux de la Mutuelle de la Fonction Publique (MFP) en 1988, puis à toutes les mutuelles de la Fonction publique. »
Dans les années 1980, la première cohabitation de 1986 est marquée par la célèbre Loi Madelin, offensive pour libéraliser les retraites complémentaires, et pourquoi pas la Sécurité sociale, rappelle Maître Terquem, en référence aux premiers contrats de retraite privés dits « Loi Madelin ». Le patronat n’a d’ailleurs jamais renoncé à ça, glisse-t-il. Tout le monde était d’accord sur les rôles : la santé à F.O., la retraite à la FEN. Le partage a été décidé par la quatrième République.
C’est un peu cursif, car c’est oublier que la Grande-Bretagne a aussi été à l’avant-garde du mutualisme et des idées sociales au XIXème Siècle. Mais admettons cette assimilation entre anglo-saxons et néolibéraux. Cette offensive est donc l’occasion de prouver que cette faction a trahi, et qu’on va pouvoir prendre une revanche. C’est un choix purement idéologique, totalement impossible d’un point de vue mécanique, conclut le plaideur.
La Loi va permettre cette opération étonnante, en émettant deux réserves qui ne peuvent être remplies, car ce sont les deux limites qui empêchent sa réalisation, reprend Maître Terquem. C’est une pyramide, et ces règles visent à empêcher qu’elle se développe : dès lors qu’une union départementale n’a pas recueilli l’intégralité des cotisations de ses membres, elle doit être retirée du système. Or, logiquement, sur 450 000 adhérents, si un ou dix sortent, le système ne peut plus fonctionner. Cette règle est enfreinte, c’était une condition sans laquelle le Cref n’aurait pas existé, et qu’il a enfreint pour se lancer dans une fuite en avant, décrypte Francis Terquem.
L’avocat détaille cette contradiction dans ses conclusions écrites : « Les articles R 323-1 à R 323-5 et suivants du Code de la Mutualité (ancien) ont prévu que les caisses autonomes assurant la couverture du risque vieillesse par répartition seraient autorisées à exercer leur activité, à compter du 31 juillet 1988, par dérogation à la règle de couverture intégrale de leurs engagements, que dans des cas très limités d’adhésions collectives et de versements obligatoires pendant cinq ans minimum.
Le cadre juridique dérogatoire organisé par ces textes prévoyait, notamment, les principes de l’adhésion collective, de la suspension des versements aux allocataires d’une Mutuelle adhérente en cas d’arrêt de versement des cotisations et de la constitution d’une provision technique avec plafonnement des allocations en fonction des provisions et réserves constituées. »
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