Dans le procès en appel pénal des dirigeants d’Altran, poursuivis pour divers délits comptables et boursiers (faux et usage de faux, diffusion d’informations trompeuses, présentation de comptes non sincères…), l’audience du 28 janvier 2014 était consacrée aux plaidoiries des parties civiles que Deontofi.com a suivi attentivement. Nous publions ici le compte-rendu exclusif de la plaidoirie orale de Maître Frédérik-Karel Canoy, avocat intervenant pour les actionnaires floués d’Altran.
Plaidoirie de Maître Frédérik-Karel Canoy :
Vous avez dans ce dossier Altran, toutes proportions gardées, comme dans l’affaire Enron, une falsification de bilan motivée par les plus-values des dirigeants sur leurs stock-options, entame Maître Frédérik-Karel Canoy. Dans Vivendi il y avait aussi eu une falsification de bilan, mais elle n’avait malheureusement pas été retenue dans la prévention.
La vraie question est de savoir si les actionnaires individuels seront un jour indemnisés. Je voudrais insister avec mes confrères sur notre étonnement qu’Altran soit partie civile. La société Altran a été condamnée pour information trompeuse et a le toupet de se constituer partie civile. On assiste à la présence d’une soi-disant victime qui vient perturber l’action des parties civiles.
Je reviens à l’article 2 du code de procédure pénale, qui prévoit une réparation complète. Le préjudice des actionnaires est certain, personnel et direct, comme dans les affaires Sidel, Regina-Rubens, Marionnaud, ou Gaudriot, même si on ne sait pas encore ce que deviendra ce dossier car il a été renvoyé, et aussi depuis le 29 novembre 2000 quand avait été déclarée recevable l’action civile des actionnaires du Comptoir des entrepreneurs (CDE).
La 11eme chambre criminelle, votre chambre, a reconnu le droit des actionnaires à être parties civiles. Est-ce qu’aujourd’hui Altran peut se dire victime comme les autres parties civiles alors que la société a commis une faute. Je dis non. Selon l’article 1384 alinéa 5 du Code civil, Altran est civilement responsable des actes de ses dirigeants. Dans l’affaire Sidel, la société a été mise en cause sur le fondement de cet article. Altran, pour sa défense, dit qu’il n’y a pas de lien subordination quand on est président de la société. Cet argument doit être rejeté car les dirigeants administrateurs ou mandataires sociaux agissaient pour le compte de la société.
Il serait hallucinant qu’Altran puisse bénéficier d’un statut de victime, ce n’est pas du tout une victime, cela ne repose sur rien. Je demande qu’Altran soit reconnu civilement responsable de diffusion de fausse information.
Il y a encore très peu de jurisprudence pour ces affaires qui ont éclaté avec bulle internet derrière laquelle les coupables s’abritent. L’argument est usé, cela n’a rien à voir, Altran n’est pas une société internet. Et le mobile des dirigeants est ni plus ni moins patrimonial, pour doper les plus-values de leurs stock-options, d’où leurs agissements frauduleux. Dire « je ne suis au courant de rien » n’est pas faire preuve de responsabilité et c’est un peu dommage d’utiliser cet argument en défense. On vous a reproché, madame le président, d’avoir cité la décision de l’AMF, alors qu’elle est justement la base de constat de ces infractions, de cette propagande.
Je représente une soixantaine d’actionnaires, sur 30 000. Du fait qu’il n’y ait pas encore d’actions collectives, et la réforme envisagée ne touche pas ce domaine; les dirigeants se disent qu’ils ne risquent pas de condamnations ; au pire des peines de sursis et très peu de dommages et intérêts, alors autant continuer à frauder ! Une meilleure prise en considération des victimes inciterait sans doute à plus de responsabilité si les dirigeants risquaient d’avoir à les indemniser collectivement dans ce type d’affaires.
On examine dans ce procès les malversations couvertes par la période d’instruction (NDLR, la prescription pénale étant de trois ans, le juge pénale ne réprime que les fraudes des trois années précédent leur découverte), mais il y en a peut-être eu avant, ou après, ou peut-être encore maintenant. Qui nous dit que c’est fini ?
De même, le commissaire aux comptes ne réagit que lorsqu’il y a une plainte : il se dépêche de porter plainte ou d’engager une autre action pour se désolidariser des magouilles alors qu’avant il ne voit jamais rien.
C’est de l’esbroufe, c’est l’enfumage du tribunal ! Ce n’est pas sérieux de la part d’Altran de dire que c’est la faute de la bulle internet. La longueur de la procédure n’est pas normale, ce qui a pour conséquence de nuire aux actionnaires. Je demande à la Cour 20 000 euros pour chaque client au titre des articles 475 et 480-1, les coupables étant tenus solidairement de réparer l’infraction. Ils vont plaider la faute détachable en s’appuyant sur la jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation, mais elle ne s’applique pas. C’est l’arrêt du 7 septembre 2004 de la chambre criminelle de la Cour de cassation qu’il faut retenir, et qui engage leur responsabilité civile. La théorie de la faute détachable est applicable à l’égard de tiers, or les actionnaires ne sont pas des tiers de la société.
On a vu que les infractions étaient caractérisées, avec des épisodes rocambolesques, comme la théorie d’un complot du FBI, ou du lanceur d’alerte déclencheur de l’article du Monde. Comment ? Pourquoi ? Est-ce que ce sont des cadres qui ont dénoncé la fraude ? La chute du cours [NDLR de 65 à 2 euros] aurait dû suffire à la COB pour diligenter une enquête.
La condamnation et l’indemnisation seront des éléments importants de votre décision, conclut l’avocat en s’adressant à la Cour. Au-delà de la perte de chance, que vous pouvez indemniser de 0 à 100% de la perte, le système mis en place relève de la fraude en bande organisée. On pourrait demander trois fois préjudice subit, ce serait dissuasif. Ces affaires sont malheureusement récurrentes, Ce n’est pas la dernière ! ajoute maître Canoy, presque désabusé par la capacité de la justice à réprimer les fraudes financières qu’il dénonce depuis une quinzaine d’années.