Deontofi.com retranscrit le réquisitoire du procureur de la république au procès en appel pénal d’Altran et de ses ex-dirigeants, déjà reconnus coupables de divers délits financiers (faux, usage de faux, information trompeuse…). Le représentant du ministère public y dresse un récapitulatif sans concession des turpitudes de dirigeants malhonnêtes exposées par les débats de ce procès crucial. Il y relève avec finesse les incohérences et les contre-vérités que les coupables tentent de faire avaler aux juges pour échapper à la justice en plaidant l’incompétence et l’irresponsabilité.
Réquisitoire de monsieur l’avocat général Nicolas Baietto à l’audience du 29 janvier 2014, première partie (1 sur 4).
Altran, c’est l’histoire d’un succès, et de dirigeants qui n’ont pas su adapter leur groupe à sa nouvelle réalité. C’est l’histoire d’un narcissisme, analyse le procureur. Le modèle était devenu, monsieur Martigny l’a dit, « magique tant il était rentable ». On a même parlé d’autogestion, c’est assez extraordinaire dans un groupe de 200 filiales ! C’est une affaire d’image, pas seulement du groupe, en externe comme en interne, mais d’égo.
L’excès de confiance des dirigeants a porté atteinte à la confiance des marchés, des institutions bancaires, des salariés et des épargnants.
Cette histoire d’autogestion est quand même extravagante. La question à laquelle les dirigeants n’ont pas su répondre était « comment faire face à cette crise économique et boursière quand on n’a connu qu’une croissance prodigieuse, qu’on est parti de rien pour devenir un fleuron mondial et qu’on a racheté son concurrent américain, au moment de renégocier une grosse ligne de crédit de plusieurs centaines de millions, au moment du lancement d’une énorme émission obligataire et quand les analystes financiers trouvent que le modèle de financement manque de transparence ».
En 2000, les concurrents d’Altran se demandent « comment font-ils ? ». Comme dit monsieur Martigny avec la modestie qui le caractérise « on était devenus champions du monde de rentabilité ». C’est dommage qu’il n’ait pas pensé qu’il pouvait devenir perdant, il n’y aurait pas eu de honte, tout le monde en était là. C’était une solution absurde de lutter contre la crise, de vouloir l’arrêter en faisant de fausses écritures comptables. Le problème est que le temps a passé, il a fallu voir les difficultés à sortir de ce mensonge dans lequel ils s’étaient enfermés durant une période longue.
Le tribunal est familier de ce contraste entre le temps de vie économique et financière et de justice. Cela demande du temps, parfois aussi prend trop de temps. Ce délai est insatisfaisant, j’en suis véritablement désolé, cette affaire aurait mérité d’être jugée plus tôt.
Aujourd’hui, on peut voir une similitude entre la situation actuelle et celle dans laquelle se trouvait Altran au moment des faits. Le temps joue aussi en faveur de la défense qui peut se concerter, je pense à la personne morale qui se présente comme victime, mais dont les questions montrent qu’elle a du mal à distinguer deux personnes qui n’en font qu’une [NDLR Altran a été reconnue coupable]. Aussi du point de vue de la répression, il est inutile de croire qu’on aura une sanction aussi sévère que peu après les faits. C’est une forme d’injustice.
Comme on a beaucoup critiqué le juge d’instruction, je voudrais le défendre, car l’instruction n’a pas duré dix ans mais quatre. On a aussi dit que certaines personnes n’avaient pas été mises en examen alors qu’elles avaient participé comme les autres accusés, mais s’il avait fallu mettre en cause tout le monde impliqué, on y serait encore et le dossier serait de plus en plus compliqué. Ce n’est pas parfait, il aurait fallu englober l’exercice 2002 en entier. Monsieur Fontana explique que monsieur Friedlander continue à parader jusque fin 2002 à propos du chiffre d’affaires et de la croissance rentable, alors qu’en réalité la société est en perte. Il aurait fallu dans l’absolu reconstituer toute la comptabilité du groupe. Pour reprendre le lapsus de monsieur Bonan, cela aurait été « titanique » ! C’était trop de travail, on a limité ce travail à six filiales françaises. Quand bien même ce périmètre était limité, on n’a pas réussi à rétablir la vérité, il y a plusieurs chiffres dans le dossier. Ce n’est pas très important. Ce qu’on comprend est qu’il y a eu des fraudes.
Aujourd’hui on va semer le doute, poursuit le procureur en référence aux arguments des accusés, dire qu’on n’a pas bien compris, que les fausses factures à établir ne fabriquent pas de cash. Oui, on a compris, mais les chiffres son faux, il y a un faux bilan, une présentation de comptes infidèles en 2001, et faux sur 2002, qui contribuent au délit de fausse information. Le cœur du débat n’est pas la matérialité des faits, ni même l’élément intentionnel des prévenus. Le cœur de l’affaire est l’imputabilité des faits. Ces deux fondateurs expliquent qu’ils avaient pris du recul et seraient étrangers à ces faits. Je voudrais revenir sur cette déduction car on nous dit qu’il y a beaucoup de déductions, celle-ci est fragile.
On est dans un dossier qui privilégie l’oralité. On cultive le secret, il n’y a pas d’écrit, donc on a dû recueillir énormément de témoignages, évidemment sujets a subjectivité et interprétation. Ce n’est pas l’essentiel. Quand on examine la responsabilité d’un dirigeant, on s’interroge sur ses devoirs, sa responsabilité, pas seulement ce qu’il a fait mais aussi ce qu’il n’a pas fait. Surtout ici ou il y a des dirigeants de droit, de fait, mais pas de dirigeants de paille, et qui disent n’avoir été au courant de rien alors qu’ils siégeaient au comité de direction et étaient informés. Le tribunal tiendra compte, pour apprécier leur responsabilité, de ce qu’ils n’ont pas fait, de leur abstention.
D’ailleurs les fondateurs l’ont dit, ils ont bien voulu reconnaître. Ils ont dit qu’ils auraient dû réorganiser la direction, qu’ils auraient dû écrire ces délégations de pouvoir « encadrées et implicites » comme dit monsieur Martigny, c’est assez surréaliste ! Il dit même « on n’aurait pas dû aller en Bourse ». Oui, il n’y aurait pas eu de problème. Cela fait beaucoup de « on aurait dû ».
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