Puisque l’opinion publique refusait que la Loi Macron place le « secret des affaires » au-dessus de la liberté d’expression et d’information des citoyens sur les turpitudes des dirigeants, les amis d’Emmanuel Macron ont imaginé un autre rempart contre la transparence : la fin de l’obligation de publication des comptes des entreprises.
Jusqu’ici, les entreprises ont l’obligation de publier chaque année leurs comptes, dans les deux mois suivant leur approbation en assemblée générale, avec un minimum d’informations élémentaires enregistrées au greffe du Tribunal de commerce et annexées au registre du commerce et des sociétés (RCS). En vertu de l’article L232-21 du Code de commerce, cette obligation de publication concerne « 1° Les comptes annuels et, le cas échéant, les comptes consolidés, le rapport sur la gestion du groupe, les rapports des commissaires aux comptes sur les comptes annuels et les comptes consolidés, éventuellement complétés de leurs observations sur les modifications apportées par l’assemblée qui leur ont été soumis ; 2° La proposition d’affectation du résultat soumis à l’assemblée et la résolution d’affectation votée ou la décision d’affectation prise ».
Ces informations sont succinctes, par rapport à toutes les opérations qu’elles peuvent couvrir sans la révéler, mais elles permettent néanmoins d’avoir quelques repères pour identifier et étudier des activités économiques cachées, malhonnêtes ou illégales. Parmi d’autres sources, ces informations ont permis l’investigation de nombreux scandales, abus de confiance et détournements de fonds, financement occultes et corruption, évasion fiscale, fraudes et blanchiment d’argent criminel.
Or, dans un amendement numéro SPE818 déposé le 8 janvier 2015 par 11 députés, dont Mr Dominique Lefebvre (PS) très à l’écoute des doléances de lobbies financiers, reprises dans son rapport sur l’épargne à l’origine du PEA-PME et des fonds d’assurance vie euro-croissance, ces ennemis de la transparence ont obtenu pour les entreprises le droit à la confidentialité de leurs comptes vis-à-vis du public. Cet amendement adopté le lendemain du massacre de Charlie Hebdo, tout un symbole, modifie l’article L. 232‑25 du code de commerce qui réservait jusqu’ici l’exonération de publication des comptes aux micro-entreprises, en l’étendant à toutes sortes de structures les plus opaques dorénavant autorisées à «obtenir que les informations les concernant restent confidentielles et ne soient pas libres d’accès». Une mesure soi-disant nécessaire pour «assurer la confidentialité de leur activité et de leur comptes afin de protéger leurs marchés et leurs marges». En fait pour rendre la détection des scandale politico-financiers encore plus difficile pour les citoyens, lanceurs d’alerte, syndicalistes et journalistes d’investigation.
Si cet amendement avait été adopté sans modification, sa légalité même aurait été très contestable. Dans un communiqué, le syndicat CFTC rappelait ainsi «qu’une telle disposition serait contraire au droit européen : la publication des comptes pour une entreprise est une obligation imposée par une directive européenne (Directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises), autorisant les seules exceptions pour les microentreprises».
Finalement, la nocivité de cet amendement a été considérablement atténuée, après le débat à l’Assemblée nationale à son sujet le 12 février 2015. « Tel qu’il a été défendu et adopté par la commission – provisoirement, je l’espère, car je souhaite qu’il ne le soit pas par notre Assemblée –, il aurait pour conséquence de permettre à toute entreprise de ne pas rendre publics ses comptes sociaux, a indiqué le député Christian Paul. Avant d’ajouter que « dans la vie économique et dans la vie des entreprises, la transparence est une question d’ordre public. Pour les fournisseurs, les clients, les investisseurs ou les créanciers, ainsi que pour les salariés ».
Un peu plus tard, Emmanuel Macron rappelait avoir lui-même « émis un avis défavorable à l’amendement proposé en commission » avant d’appeler habilement à « un compromis entre, d’une part, la volonté commune de transparence de la vie des affaires et, d’autre part, la protection que certains acteurs recherchent ». Il a précisé que « La directive du 26 juin 2013, en cours de précision, prévoit la publicité des états financiers des entreprises, avec certaines exceptions, parmi lesquelles la confidentialité des comptes des micro-entreprises – c’est-à-dire de moins de dix salariés ».
Le lendemain, on tergiversait pourtant encore. « Il s’agit d’offrir la possibilité de ne pas rendre public leur compte de résultat aux petites entreprises définies selon trois critères : un bilan inférieur à 4 millions d’euros, un chiffre d’affaires net total de moins de 8 millions d’euros ou un effectif inférieur à 50 salariés. Si au moins deux de ces critères sont dépassés l’entreprise n’aura pas une telle possibilité », expliquait le ministre à propos de l’amendement rectifié, en insistant sur l’utilité d’ajuster les obligations de publications des comptes dans un contexte où « un tiers des entreprises ne déposent pas leurs documents comptables, souvent en arguant de la confidentialité des informations ». Il précise plus tard le chiffre exact : 31% des entreprises n’ont pas publié leurs comptes en 2011. Dans la foulée, le ministre est favorable à cette version rectifiée de l’amendement, en se disant « convaincu que certaines entreprises de moins de 50 salariés déposeront plus facilement leurs comptes parce qu’elles auront la garantie que leur compte de résultat ne sera pas connu de la terre entière ». L’amendement rectifié est cette fois adopté avec le soutien du gouvernement.
Deux semaines après l’annonce par le président de la République d’une promesse de législation pour « renforcer la transparence de la vie économique », parallèlement à celle de la vie politique, les péripéties de Monsieur Macron semblent donc bel et bien relever de la provocation, en faisant passer les revendications du Medef pour l’intérêt de la Nation, ou en mimant l’emballage d’une loi aboutissant au contraire de son libellé, comme la loi «TEPA là» de 2007. A moins qu’elles n’annonce une nouvelle victoire de l’obscurantisme contre la démocratie et le droit des citoyens à une information libre et pluraliste, y compris sur les turpitudes économiques qu’on veut à tout prix étouffer.