L’audience de la Commission des sanctions de l’AMF du 20 septembre 2012 examinait les irrégularités financières de la société de gestion OFI AM et deux de ses dirigeants Gérard Bourret et Thierry Callault. Lire la décision de la Commission des sanctions de l’AMF du 20 décembre 2012.
Mise à jour du 16 février 2016 : Même quand ils savent que leurs embrouilles sont avérées et que leur cas est indéfendable, les fripouilles ont pour coutume de publier des faux démentis, de faire des procès abusifs aux journalistes pour décrédibiliser leurs révélations, ou de contester les jugements en leur défaveur ou les sanctions dont ils font l’objet, afin de pouvoir se pavaner publiquement en arborant une « innocence factice de principe ».
Dans l’affaire ci-dessous, la société OFI Asset Management, MM. Gérard Bourret et Thierry Callault avaient ainsi attaqué la sanction de l’AMF à leur encontre devant le Conseil d’Etat. Deux ans plus tard, ils avaient jugé raisonnable de se désister, comme le gendarme boursier vient de le signaler :
Recours formé par la société OFI Asset Management et MM. Gérard Bourret et Thierry Callault devant le Conseil d’Etat contre la décision SAN-2012-21
Par ordonnance du 4 décembre 2014, le Conseil d’Etat a donné acte du désistement de la requête de la société.
Relisez le compte-rendu de leur audience à la Commission des sanctions de l’AMF sur l’enjeu de leurs tricheries
I : Madoff, une confiance aveugle.
Un fonds de fonds est un fonds d’investissements qui, au lieu d’acheter des titres sur les marchés financiers, confie la majorité de l’épargne de ses clients à d’autres fonds. Cette pratique, autrefois interdite, est devenue le fond de commerce d’une industrie florissante. OFI AM gérait ainsi le fonds Oval Alpha Palmares (OAP) en replaçant l’argent collecté dans d’autres fonds, notamment dans Herald USA, un fonds de Bernard Madoff, de juin 2006 à fin 2008. « Le risque Madoff représente 3,7% des actifs », précisait à l’époque Thierry Callault, directeur général délégué, au Figaro (22/12/2008). OFI AM n’a jamais vraiment vérifié ce qu’il advenait de l’argent de ses clients confié à Madoff.
II : Ratios de dispersion des risques, la « patate chaude ».
Se « refiler la patate chaude » consiste à se débarrasser de quelque chose qui gêne en le vendant. La crise financière de 2008 a révélé des exemples de cette pratique. Chez OFI AM, Oval Palmarès Europe (OPE) est un fonds de fonds de trésorerie « alternative » pénalisé par deux fonds à son actif : Elgin Corporate Credit et Eden Rock Structured Finance, pris au piège des « subprimes ». Pour soulager ses clients coincés dans le fonds OPE dont les actifs sont invendables, OFI AM fait racheter leurs parts par le fonds Oval Alpha Palmarès, en juin 2008. Refiler des actifs invendables du fonds OPE au fonds OAP n’étant pas dans l’intérêt des porteurs de ce dernier, l’AMF a condamné OFI AM à 300 000 euros d’amende le 30 juin 2011, sanction contestée auprès du Conseil d’Etat.
Entre les actifs invendables d’OPE et ses investissements chez Madoff, le fonds Oval Alpha Palmarès a lui-même fait une indigestion de « patates chaudes ». Le fonds OAP a ainsi concentré bien plus de 10% de ses actifs sur un même placement (jusqu’à 23,87%) tout au long de 2008, avec des investissements représentant jusqu’à 40% des fonds dont il rachetait les parts, comme son fonds OPE en perdition. Comme dans l’affaire des parts d’OPE rachetées par Oval Alpha Palmarès, sanctionnée en 2011, OFI AM a fait souscrire jusqu’à 60% des parts d’Oval Alpha Palmarès lui-même, par un autre de ses fonds.
III : Conflits d’intérêts, des dirigeants très mutualistes.
Depuis sa création en 1971, la société Ofima Gestion, devenue Ofivalmo puis OFI AM, était contrôlée à 100% par une quinzaine de mutuelles dont la Macif (27%) et la Matmut (21,76%). L’affaire prospère et les dirigeants comprennent l’intérêt de s’y associer avec les salariés. Début 2007, alors que les mutuelles plus minoritaires (Maaf, FNMF,…) sont sorties du capital au profit d’un renforcement de la Macif et de la Matmut, les salariés et dirigeants ont acquis 25% d’OFI AM. En juin 2007, les dirigeants montent un rachat de l’entreprise par les salariés (RES) en créant OFI RES, qui contrôle alors 29,4% d’OFI AM, les 70,6% restant étant répartis entre Macif et Matmut. « Quand je l’ai proposé, sur 200 salariés, 160 sont entrés au capital de la société », précise Gérard Bourret, le directeur général. Dans ce contexte, les dirigeants lancent une émission de 600 000 obligations convertibles en actions, pour eux et d’autres salariés, ouverte jusqu’à fin août 2007. Sept mois après, six personnes souscrivent, dont quatre qui re-souscrivent. Au final, c’est une bonne affaire pour les salariés et dirigeants dont la participation au capital d’OFI AM augmente encore : « les 25% ont donné 40% », explique Gérard Bourret à la commission des sanctions. Ils les revendront quelques mois plus tard au profit d’une reprise à 100% du capital par la Macif et la Matmut. « On a libéré le LBO pour sortir les intérêts privés alors que les mutualistes montaient à 100% », résume Gérard Bourret, qui ajoute par ailleurs : « moi j’avais 3% du LBO, c’est tout ».
Points litigieux
Les faits exposés mettent OFI AM en porte-à-faux avec plusieurs règlementations et lois que les protagonistes n’auraient pas respectées.
Concernant le défaut de contrôle sur le placement Madoff.
L’article 313-54, alinéa VII, du règlement général de l’AMF prévoit que : « la société de gestion enregistre de manière adéquate et ordonnée le détail de ses activités et de son organisation interne ». Ce qui ne semble pas avoir été le cas concernant le contrôle nécessaire sur les investissements réalisés par les fonds de fonds chez Madoff.
L’article 411-34 de l’AMF précise par ailleurs que les comptes des fonds de fonds, comme des autres fonds et Sicav, « doivent être tenus de manière à permettre l’identification directe, à tout moment, de tous ses éléments d’actif et de passif ». Or, les actifs investis dans les placements de Madoff sont conservés par Madoff, au sein de sa société BMIS, ce qui ne permet pas à OFI AM « l’identification directe, à tout moment, de tous ses éléments d’actif ». L’article 412-2-2 alinéa 2°, prévoit encore que les actifs des fonds « sont conservés, au sens de l’article 323-2 du règlement de l’AMF, de manière distincte des actifs propres du conservateur et de ses mandataires ». Ce qui n’est pas le cas chez BMIS.
Concernant le dépassement des ratios d’investissement.
Les principes définissant les ratios d’investissement, que les sociétés de gestion doivent surveiller et ne pas dépasser, sont définis aux articles L214-1 et suivants du Code monétaire et financier. Des règles particulières sont déclinées à partir de ces textes, portant notamment sur des « ratios émetteur » (5, 10 et 40%), des « ratios d’actifs dérogatoires » (10%) et des « ratios d’emprise » (35%), pour éviter une concentration des risques sur un nombre trop restreint de lignes ou d’émetteurs. Les fonds mis en cause n’ont pas respecté ces ratios.
Concernant les souscriptions et attributions de titres d’OFI AM par les dirigeants.
En vertu des articles 313-18 et suivants du règlement général de l’AMF, « la société de gestion de portefeuille doit prévenir les conflits d’intérêts et, le cas échéant, les résoudre équitablement dans l’intérêt des mandants ou des porteurs. Si elle se trouve en situation de conflit d’intérêts, elle doit en informer les mandants ou porteurs de la façon la plus appropriée ».
OFI AM n’a pas prévenu la situation de conflit d’intérêt alors qu’au regard de l’article 313-19 de l’AMF, les dirigeants qui pilotaient et profitaient de l’opération RES pouvaient avoir « un intérêt au résultat d’une transaction réalisée pour le compte de celui-ci qui est différent de l’intérêt du client au résultat ».
Cette procédure de détection des conflits d’intérêt aurait dû être écrite noir sur blanc, comme l’impose l’article 313-20 de l’AMF: « le prestataire de services d’investissement établit et maintient opérationnelle une politique efficace de gestion des conflits d’intérêts qui doit être fixée par écrit… ».
Concernant l’implication de dirigeants dans une émission de titres qu’ils supervisent et dont ils sont souscripteurs, l’article 313-21 du règlement de l’AMF oblige les sociétés de gestion à prendre : « des mesures visant à interdire ou à contrôler la participation simultanée ou consécutive d’une personne concernée à plusieurs services d’investissement (…) lorsqu’une telle participation est susceptible de nuire à la gestion adéquate des conflits d’intérêts ». Mesures qu’OFI AM et ses dirigeants n’ont pas prises.
Débat juridique
Qu’est ce que l’obligation de « due diligence » ?
Un contrôle rigoureux des « placements » proposés par Madoff aurait permis d’identifier leur vacuité. A défaut de pouvoir vérifier les caractéristiques réelles des fonds de Madoff, OFI AM aurait pu renoncer à y placer l’argent de ses clients, évitant ainsi la perte constatée fin 2008 avec la révélation de l’escroquerie. Pour sa défense, OFI AM fait valoir qu’elle n’a pas moins contrôlé la réalité des placements Madoff que bien d’autres banques et sociétés de gestion trompées par l’escroc. Elle estime avoir rempli ses obligations en rédigeant des rapports sur l’évolution de son placement Madoff. Les avocats de la défense dénoncent aussi « le flou » réglementaire qui ne définirait pas clairement les vérifications imposées aux fonds de fonds.
Le règlement COB n° 96-03 de la Commission des opérations de Bourse précisait pourtant depuis longtemps que « la sélection doit reposer sur l’application d’une série de critères quantitatifs et qualitatifs à des fonds cibles, de façon à établir une liste des fonds éligibles. A partir de cet univers d’investissement possible sont déterminés les investissements effectifs qui doivent faire l’objet d’un suivi permanent (contacts périodiques, visites…) ».
A quoi servent les ratios de dispersion des risques?
Pour limiter les risques dans les fonds, le règlement de l’AMF leur interdit d’investir plus de 10% de leurs actifs dans un même placement. De même, il leur est interdit de détenir plus de 35% des titres d’une même société ou d’un autre fonds. Ces proportions ont été largement dépassées par les fonds mis en cause. OFI AM ne conteste pas ces dépassements mais déclare les avoir fait dans l’intérêt des porteurs, pour permettre des retraits de certains fonds dont les actifs étaient invendables. L’AMF conteste l’intérêt que d’autres fonds d’OFI AM avaient à souscrire les parts des fonds en difficulté, au détriment de leurs propres porteurs, et en tous cas en infraction avec les ratios prudentiels qu’ils devaient respecter.
Qu’est-ce qu’un conflit d’intérêt ?
L’émission de titres réservée aux salariés est contestée en raison de son opacité dans un contexte de conflit d’intérêt des dirigeants mis en cause. « Nous avons gardé des obligations convertibles pour associer le maximum de collaborateurs », justifie simplement Gérard Bourret, directeur général d’OFI AM. Vu autrement « les dirigeants ont fait du portage pour un montant très déterminé d’avance pour des collaborateurs non déterminés », analyse le président de la Commission des sanctions de l’AMF. Concrètement « les dirigeants ont acheté et revendu, et racheté à certains collaborateurs quittant l’entreprise », précise un avocat. Or, le directeur général qui présidait à toutes ces décisions était aussi bénéficiaire de l’opération, actionnaire d’OFI AM, gérant du fonds d’actionnariat salarié, membre du comité chargé de la répartition entre les salariés et les dirigeants des titres qu’il possédait lui-même pour en redistribuer. Administrateur du groupe Matmut, il est aussi potentiellement en situation de conflit d’intérêt quand l’assureur décide d’augmenter sa participation au capital d’OFI AM, concrétisant sa plus-value personnelle.
Cette situation de conflit d’intérêt aurait pu être gérée si elle avait été identifiée et déclarée, mais les dirigeants mis en cause ont considéré au contraire qu’elle devait avoir un caractère confidentiel. « OFI AM ne prévient pas le contrôle interne, considérant l’opération comme non significative, alors qu’il aurait pu empêcher la mise en situation de conflit d’intérêt. Gérard Bourret et trois personnes couvrent le dispositif », entend-on à l’audience. « Est-ce cohérent avec rigueur, professionnalisme, respect des procédures ? », interroge un membre de la commission des sanctions.
« C’est le collectif de salariés qui, suite aux licenciements, a fait une dénonciation », suspecte Gérard Bourret à l’audience, laissant suggérer que tous les salariés-actionnaires n’y ont pas trouvé leur compte. Pour l’ensemble des infractions relevées en contrôlant ces opérations, l’AMF requiert un blâme et une nouvelle sanction de 500 000 euros pour OFI AM, ainsi qu’un avertissement et des sanctions individuels de 60 000 euros pour Gérard Bourret et Thierry Callault, qui a quitté l’entreprise début 2012. Un an après la sanction de 300 000 euros prononcée à l’encontre de la société de gestion « le chevauchement des deux procédures et le blâme laissent penser que l’AMF considère OFI AM comme un délinquant » analyse un avocat lors de l’audience, perspicace. Lire la décision de la Commission des sanctions de l’AMF du 20 décembre 2012.