Commission des sanctions de l’AMF, séance du 8/12/2011.

Siège de l'Autorité des marchés financiers (AMF), 17 Place de la Bourse, à Paris (photo © GPouzin)

Siège de l’Autorité des marchés financiers (AMF), 17 Place de la Bourse, à Paris (photo © GPouzin)

Les faits. En pleine crise financière, en septembre 2008, Natixis qui a un urgent besoin de fonds propre, lance une augmentation de capital de 3,7 milliards d’euros. Les actionnaires ont un droit préférentiel de souscription (DPS) leur permettant de souscrire treize actions nouvelles pour dix anciennes, du 5 au 18 septembre, au prix cassé de 2,25 euros alors qu’elles cotaient autour de 4 euros en août.

La faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, déclenche une panique boursière et bancaire. Les autorités américaines, britanniques puis françaises prennent des dispositions exceptionnelles pour endiguer la spéculation sur la chute des banques. L’AMF publie un communiqué le 19 septembre  pour interdire les ventes à découvert sur les valeurs financières, suivi d’un autre communiqué le 23 septembre, précisant l’interdiction des ventes non sécurisées, dites «ventes à nu», sur 15 valeurs dont Natixis.

Point litigieux : Trois sociétés de gestion, Coudrée Capital Management (CCM), Compania Internacional Financiera (CIF) et CMA Capital ont vendus des titres Natixis à découvert les 18 et 19 septembre 2008. Cette opération courante en Bourse consiste à vendre des actions que l’on ne possède pas, en les empruntant à des actionnaires moyennant un taux d’intérêt, pour les racheter moins cher en cas de baisse et les rendre à leurs propriétaires. Mais les gérants incriminés n’ont pas emprunté les titres Natixis requis pour couvrir leurs ventes. Pariant sur la baisse inéluctable du titre, ils ont acheté des millions de DPS leur permettant de souscrire des actions Natixis à 2,25 euros, qui devaient leur être livrées entre le 25 et le 30 septembre, afin de les livrer à ceux à qui ils avaient vendu des actions anciennes. Mais cette livraison ne pouvait pas intervenir dans le délai de trois jours prévu par la réglementation, qui les obligeait normalement à livrer les titres vendus à découvert les 23 et 24 septembre. La baisse supplémentaire du titre, après la date prévue de livraison, augmente leurs gains sur ces opérations, qui atteignent respectivement 2,6, 1,7 et 1,4 million d’euros pour CCM, CIF et CMA.

Les trois gérants ne contestent pas le dépassement du délai de livraison de trois jours maximum. Ils affirment n’avoir pas pu emprunter les titres pour se couvrir, peu d’actionnaires acceptant de prêter leurs actions Natixis du fait de la crise. Et le communiqué de l’AMF insistant sur l’interdiction absolue de vendre à découvert des valeurs financières, à plus forte raison sans être en mesure de les livrer dans les délais réglementaires, est bien daté du 19 septembre. Mais les gérants affirment avoir vendu leurs titres avant sa diffusion.

Le collège de l’AMF constate un manquement avéré des trois gérants d’actifs qui ont spéculé sur la baisse du titre Natixis, causant des problèmes de recapitalisation pour Natixis et déstabilisant le marché. Les griefs portent sur les articles 570-1 et 570-2 du Règlement général de l’AMF – Livre V –  sur les obligations de couverture et de livraison sous trois jours. Les gérants d’actifs sont également accusés d’avoir aggravé la déstabilisation des marchés financiers. Les amendes requises sont de respectivement 3,2, 2,6 et 2,5 millions d’euros pour CCM, CIF et CMA.

L’AMF veut également sanctionner les trois banques qui auraient dû se substituer aux trois gérants d’actifs défaillants dans le dénouement des opérations. L’article 542-1 du Règlement général de l’AMF – Livre V –  précise que les adhérents compensateurs (Goldman Sachs, UBS et Citibank dans ce cas précis), en tant que commissionnaires ducroire à l’égard des gérants donneurs d’ordre, auraient dû garantir eux-mêmes la livraison des titres. L’AMF leur reproche de ne pas avoir vérifié en amont de l’échéance de livraison que leurs donneurs d’ordres seraient en mesure de livrer les titres vendus, le retard de livraison perturbant les marchés. Elle requiert respectivement 750 000, 450 000 et 750 000 euros d’amende pour Goldman Sachs, UBS et Citibank.

Débat juridique : Qu’est-ce qu’un délai de livraison ? L’obligation de livrer des titres trois jours après leur vente, dite « livraison à J+3 » est-elle une règle formelle intransgressible, ou une tolérance est-elle acceptée pour les retardataires ? Le règlement général de l’AMF est clair, le délai maximum de livraison est bien fixé à J+3 (Art. 570-2), ce que la Commission des sanctions a confirmé dans plusieurs décisions dont la jurisprudence est rappelée, notamment les décisions dites « Banque d’Orsay »  du 24 septembre 2008 et « Infogrames » du 27 novembre 2008. Mais en pratique, l’organisation des infrastructures de marché prévoit bien une tolérance, rappellent les avocats des banques incriminées. La chambre de compensation LCH Clearnet, c’est-à-dire l’organisme chargé de vérifier que l’argent et les titres livrés par les acheteurs et les vendeurs compensent bien les ordres qu’ils ont exécuté, a prévu une procédure spécifique si les actions vendues ne lui sont pas livrées à J+3. Elle met normalement en demeure ses adhérents, c’est-à-dire les intermédiaires des vendeurs à découvert, à J+6, de livrer au plus tard à J+9 les titres qui devaient l’être à J+3. Si les intermédiaires sont encore défaillants à cette date, LCH Clearnet lance en J+10 une procédure de rachat obligatoire des titres manquants.

Ce dispositif visant à empêcher l’accumulation de transactions non dénouées, dites « suspens », ayant entraîné des catastrophes passées, est-il une tolérance par rapport au règlement de l’AMF, ou une mesure de sécurité pour éviter qu’une infraction n’entraîne une crise plus grave ?

Délibéré : après sept heures de débat, la décision de la Commission des sanctions de l’AMF est attendue en février 2012.

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