(Tout le procès Pérol ici) Pérol17 : Jeudi 25 juin 2015, 3ème jour du procès, dernière partie du témoignage de Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, qui raconte comment la Commission de déontologie a été manipulée alors qu’elle n’avait pas validé le parachutage de François Pérol à la tête des Banques Populaires Caisses d’épargne.
– Je reviens sur Fouquet, reprend le juge en lisant un extrait du témoignage donné par ce conseiller d’État, à l’époque président de la Commission de déontologie de la fonction publique : « Monsieur Guéant me dit que François Pérol va être nommé et me demande comment procéder, car ce n’était pas le candidat annoncé. Mr Guéant ignorait tout du fonctionnement de la Commission de déontologie, il découvrait la question et n’y comprenait pas grand-chose. J’ai expliqué que la saisine de la Commission était obligatoire, et les conditions dans lesquelles elle était facultative. Je reçois une demande de François Pérol par fax le 21 février, à laquelle je réponds à titre avec la jurisprudence relative à un départ de membres de cabinet pour le privé. La présidence, comme indiqué à l’AFP n’a pas consulté la Commission, mais je découvre le soir à la télévision que le président de la République, en Italie, avait fait une déclaration disant que la Commission de déontologie avait été saisie. Le Monde a publié ma lettre en disant que c’était un avis favorable… ». Votre commentaire ?
– Monsieur Fouquet m’apprend le fonctionnement interne de la Commission de déontologie, que j’ignore et je le confesse. Il eut été préférable que la Commission ait pu se réunir dans un délai court. Ce qu’il dit est que sa saisine est facultative dans certaines conditions.
– Comment se fait-il que le président de la République dise que la Commission de déontologie a été saisie alors que ce n’est pas le cas ? Est-ce un raccourci ou ce qu’on lui a dit ?
– C’est un raccourci.
– « Quand Guéant m’appelle il pensait qu’on pouvait réunir la Commission de déontologie en 48h », relit le juge dans l’audition d’Olivier Fouquet.
– La conclusion de la lettre de Fouquet, je la lis comme un avis favorable, assume l’ex-secrétaire du président de la République.
– Selon votre analyse, précise le juge.
– Franchement oui, car il avait moins de pouvoir que n’importe quel directeur de cabinet du ministre des finances, justifie Claude Guéant à propos de François Pérol. Or, la Commission avait autorisé à plusieurs reprises des membres de cabinet du ministère des finances à prendre des responsabilités dans des banques.
– Est-ce que vous ne minimisez pas, alors que la presse vous considère comme le deuxième homme ayant le plus de pouvoir de France ? intervient Maître Henri Moura, avocat des parties civiles.
– Il n’a aucun pouvoir administratif, ne signe pas d’arrêtés. S’ajoute un pouvoir politique, car il a l’oreille du président et de parlementaires. Mais il n’a aucun pouvoir administratif.
– On est dans la période post-2007, le supérieur hiérarchique de l’intéressé est responsable de saisir ou non la Commission de déontologie. Vous estimez donc sa saisine nécessaire ? reprend le juge.
– Je le répète, je ne suis pas expert, mais cela nous semblait confortable pour régler le problème auquel nous faisions face.
– Lequel ?
– Ce passage du public au privé.
– Comment percevez-vous l’émoi suscité par cette affaire ? Pas seulement l’émoi du public, mais aussi de la Commission de déontologie, dont deux membres ont démissionné ?
– La déclaration du président en Italie a pu leur donner le sentiment d’être instrumentalisés, cela peut se comprendre, résume Claude Guéant sans renier sa part de cette manipulation présidentielle.
– Quand vous avez été entendu par le juge sur la réunion du 21 février 2009, où le nom de François Pérol a été annoncé, vous dites d’abord ne pas y avoir participé. Puis quand vous entendez que plusieurs personnes disent que vous étiez présent, vous dites « j’y étais mais n’en avait pas le souvenir ». Aujourd’hui vous en avez un souvenir précis ?
– Au risque de décevoir, je ne suis pas aussi machiavélique. Ma mémoire n’est pas infaillible. Beaucoup de mes souvenirs ont été reconstitués par cette affaire, parfois en lisant la presse.
– Quelles sont les obligations quand on quitte l’Elysée, en termes d’archives ? intervient Maître Jérôme Karsenti, avocat des parties civiles.
– Je suis attaché au principe de délicatesse, Monsieur Guéant n’est pas poursuivi par ce tribunal, s’interpose le juge. Mais je suis aussi attaché au principe de vérité, poursuit-il à l’adresse du témoin, invité à parler le plus librement.
– Effectivement, on a dit que j’aurais fait disparaître des archives, répond Claude Guéant sans détour. J’ai quitté l’Elysée pour l’Intérieur fin février 2011, je n’ai emporté aucune archive. J’en avais très peu car ma méthode est de conserver peu de papier. Et je voudrais signaler à Monsieur Karsenti que mes archives ont été retrouvées à l’Elysée et versées aux archives nationales.
– L’instruction dit le contraire, relance Maître Karsent.
– Elle se trompe, réplique le témoin.
– Ce n’est pas la première fois, ironise l’avocat. Vous nous dites que c’est le président qui a eu l’idée de cette nomination. Mais on nous dit aussi que quand le nom de François Pérol est avancé, il met un certain temps à se laisser convaincre.
– C’est le président qui a présenté cette décision, commente son ex-bras droit. Il a dû s’auto-convaincre de laisser partir son secrétaire général adjoint, car il n’était pas facile de s’en séparer en cette période. D’autres personnes ont pu lui en parler, mais je ne sais pas qui. François Pérol n’avait pas du tout envie de prendre cette fonction, c’est un homme de devoir, assure son ex-collègue. Et on a parlé d’intérêt, il aurait été plus intéressant de retourner dans la banque d’affaire que diriger BPCE, croit savoir l’ancien fonctionnaire. Dès lors que le président lui a demandé de prendre cette fonction, il l’a considéré comme un devoir.
– La réunion du 20 février me laisse perplexe, intervient à son tour Maître Richard Valeanu, autre avocat des parties civiles. Pourquoi cette note du 21 février n’évoque-t-elle pas François Pérol en laissant le choix aux dirigeants ?
– L’auteur étant François Pérol, il peut difficilement mentionner lui-même sa nomination, observe l’ex-secrétaire de l’Elysée.
– Pourquoi ne pas dire les choses franchement ?
– Comme c’est le président qui l’a décidé, quand il a eu cette conviction il m’en a parlé, c’est à lui de l’annoncer.
– Vous avez rappelé cette compression du temps, interroge à son tour la procureure, Madame Ulrika Weiss.
– Le quinquennat présidentiel correspond à une législature, le président gouverne, résume sobrement l’ancien fonctionnaire.
– Des articles de presse évoquent un chantage, vous dites que c’est faux.
– Dans sa note Comolet observe que le président rappelle l’aide en premier, sinon il l’aurait mentionnée en dernier, justifie Claude Guéant.
– Mais cette somme aurait-elle été débloquée ? Plutôt qu’un chantage, n’est-ce pas une condition élyséenne ?
– Une condition de l’ensemble des services de l’État, rappelle l’ex-bras droit du président Sarkozy.
– Quand Fouquet vous a parlé de situations similaires et d’avis favorables. Pensait-il à l’avis du 22 décembre 2004 sur le départ de François Pérol chez Rothschild, disant qu’un conseiller ministériel peut devenir associé-gérant au département banque d’affaires, sous réserve qu’il s’abstienne de traiter des dossiers sur lesquels il est intervenu… Vous en avait-il informé ?
– Je savais qu’il l’avait fait mais n’avais pas eu connaissance de cette décision.
– Qui fait émerger la question déontologique en urgence ? Est-ce que François Pérol vous dit qu’il a déjà saisi la Commission de déontologie dans un cas similaire qui sert de calque.
– Non car il était au Trésor.
– Non, conseiller technique au cabinet du ministère des finances.
– Monsieur Guéant n’a pas de preuve tangible, en tout cas pas de preuve matérielle, que Monsieur Pérol ait exprimé des avis sur les Banques Populaires et les Caisses d’épargne, s’interpose à son tour Maître Pierre Cornut-Gentille. Le tribunal et l’instruction tentent de tirer des preuves de notes, dont les vôtres, et d’interprétations sur l’influence de Monsieur Pérol. Vous dites qu’il est normal que le président se soit emparé du sujet.
– La note de Monsieur Pérol dans la perspective de la réunion du 21 février fait la synthèse et rappelle les demandes des services de l’État, commente sobrement Claude Guéant.