Contre la fraude bancaire, et dans le cadre des obligations de lutte anti-blanchiment, les banques ont des obligations de précaution, parfois agaçantes pour les particuliers qui y voient une sorte d’inquisition (« d’où vient votre argent? ») ou une restriction à l’utilisation de leurs moyens de paiements (paiements par carte inhabituels parfois bloqués). Étrangement, certaines banques se montrent bien moins prudentes avec leurs clients professionnels, en particulier pour des transferts importants inhabituels d’entreprises victimes de fraudes « au faux président ».
L’affaire qui nous occupe illustre le décalage entre les procédures strictes imposées aux banques, et leur réalité souvent plus désinvolte. Elle rappelle la vigilance dont chacun doit faire preuve, dans sa vie privée comme professionnelle, pour esquiver les tentatives d’escroqueries par ruses et usurpation d’identité, facilitées par l’anonymat d’Internet et des télécommunications. Si la prudence de tous est essentielle, le jugement de cette fraude pointe aussi la responsabilité spécifique des banques, vis-à-vis de leurs clients et de leurs obligations de lutte anti-blanchiment.
Si vous n’en avez jamais entendu parler, la « fraude au président », ou plus précisément au « faux président », est une arnaque assez simple en apparence : des escrocs usurpent l’identité d’un dirigeant d’entreprise pour extorquer à ses subalternes des transferts d’argent, souvent sous prétexte de financer une soi-disant opération financière ultra confidentielle requérant la plus grande discrétion. En pratique, il ne suffit pas d’avoir un bagout de bonimenteur pour emporter le butin. Les escrocs mêlent des méthodes de contre-espionnage, des compétences de hackers (piratage informatique) et de blanchiment d’argent criminel pour arriver à leurs fins.
De plus en plus d’entreprises tombent dans le panneau et se font ainsi plumer des millions. Depuis 2010, des PME ou multinationales françaises se seraient ainsi fait dévaliser près de 300 millions d’euros, selon Le Figaro. Parmi les cas emblématiques, le groupe Michelin s’est fait délester de 1,6 million d’euros, selon LeParisien.fr, tandis que Seretram, qui met en boîte le maïs Géant Vert dans les Landes, s’est fait siphonner 17 millions d’euros. L’arnaque n’est pas nouvelle, même les comptables de l’Elysée auraient failli se faire avoir de 2 millions d’euros en 2011, selon l’article de notre confrère Thierry Fabre dans Challenges titré « Menace sur le CAC 40 : les nouveaux escrocs pêchent au gros ».
La nouveauté, dans ce genre d’affaires, est que la justice reconnaît la responsabilité des banques vis-à-vis de l’argent confié par leurs clients. Même si elles ont parfois tendance à l’oublier, on sait déjà que les banques ont l’obligation de rembourser leurs clients victimes de fraudes sur leur carte bancaire. Mais comme les particuliers sont généralement peu informés de leurs droits, l’article que nous avons consacré à ce sujet, avec des conseils pour se faire rembourser, est l’un des plus consultés sur Deontofi.com.
Dans un cas de fraude au faux président, la responsabilité de la banque n’est pas de la même nature que dans une fraude sur carte bancaire. Dans ce dernier cas, la loi oblige la banque à rembourser d’abord, quitte à contester ensuite si elle peut prouver que son client est responsable de la fraude dont il demande le remboursement. Dans une fraude au faux président, les escrocs parviennent à se faire envoyer des virements en trompant les salariés de l’entreprise victime. Il est alors facile pour les banques de plaider qu’elles n’ont fait qu’exécuter les ordres de l’entreprise cliente. Mais le fait d’exécuter un ordre n’exonère pourtant pas la banque de ses responsabilités, quand elle oublie la moitié des vérifications figurant dans ses obligations de vigilance vis-à-vis des risques de blanchiment.
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