Un géant mondial de l’immobilier vous protège-t-il des placements hôteliers perdants ?

On voit de plus en plus de propositions d’investissements financiers, ou même dérivés de l’immobilier, reposant sur des montages de sociétés par actions simplifiées, des SAS, voire des SARL. Méfiez-vous, c’est interdit. On n’a pas le droit de faire d’appel public à l’épargne (APE) avec des SAS. Dans la plupart des cas, on n’a pas le droit non plus de vous démarcher pour vous proposer ces « placements » souvent sulfureux.

De nombreux scandales ont déjà ruiné des milliers d’épargnants avec ces montages d’immobilier ou autres « idées de génie » vendues sous forme de titres de PME, en actions ou obligations convertibles (cartes de paiement cadeaux pour les Comités d’entreprise dont le prestataire pille la caisse – vraie arnaque de zy-va en cours-, production d’énergie renouvelable imaginaire, murs de boutiques pas si bons pour alimentation bio, sarl de leasing automobile en Europe de l’est…).

La clé de l’embrouille est toujours plus ou moins liée à la survalorisation des actifs vendus, sur la base de rendements illusoires, avec siphonnage des épargnants par diverses manipulations comptables, à l’image des scandales Hôtels de Paris ou Maranatha.

Comme pour le procès des placements « Hôtels de Paris » du Groupe Patrick MACHEFERT, les investisseurs lésés par le placement « Dynamique Hôtel » de CBRE ont appelé à la rescousse Maître Nicolas Lecoq-Vallon, avocat réputé en défense des épargnants, avec son associée Maître Hélène Feron-Poloni, dont le cabinet LecoqVallonFeronPoloni accumule les victoires judiciaires.

Souvent, les professionnels affirment à tort « on a le droit car on a moins de 100 souscripteurs ». D’abord le seuil n’est pas celui des souscripteurs, mais le nombre de prospects sollicités. Ensuite, encore faut-il que ce soit vrai, et démontrer qu’il y a eu moins de 100 personnes prospectées pour vendre ces titres (seuil actuel à 150 personnes, lire en fin d’article).

Dans cette affaire récente d’immobilier hôtelier packagé en société, présentée par CBRE Global Investors, cet enfumage a été doublement condamné par la Cour d’appel de Versailles, dans deux arrêts du 16 septembre 2021 et du 14 juin 2022.

CBRE Coldwell Banker Richard Ellis, géant immobilier condamné

CBRE est un géant américain figurant parmi les leaders mondiaux de l’immobilier commercial, avec près de 28 milliards de dollars de chiffre d’affaires, et autant en valeur boursière à Wall Street, où CBRE fait partie de l’élite des 500 sociétés de l’indice S&P 500. Pour beaucoup d’épargnants, cette carte de visite crédibilise une image de sérieux qui met en confiance. Alors quand la société d’investissement du groupe, CBRE Global Investors, leur fait miroiter 15% de rendement dans un programme de restructuration immobilière d’hôtels, ils plongent !

Voici ce que nous apprennent ces deux arrêts de Cour d’appel, dont le point commun est de condamner le même placement en private equity Dynamique Hôtels, dont les souscripteurs mécontents ont connu la ruine, au lieu des 15% annuels vantés par CBRE.

« La société CB Richard Ellis Global Investors France (ci-après société CBRE) – filiale de la société CB Richard Ellis se présentant comme leader mondial des services immobiliers – a créé en décembre 2006 la société Dynamique Hôtels (ci-après société Dynamique Hôtels ou société DH) afin de mettre en oeuvre un programme d’investissement en hôtellerie. Cette création avait pour but l’achat d’hôtels sous-performants, en vue de leur revente ultérieure après un vaste programme de valorisation, de repositionnement commercial et d’optimisation de gestion.

Pour financer ce programme, Dynamique Hôtels a eu recours à des emprunts bancaires et à des fonds propres levés via des émissions successives d’actions et d’obligations convertibles intervenues entre décembre 2006 et juin 2009 ».

(arrêt 2021 p.2)

Monsieur O. (arrêt 2021) avait souscrit aux actions de DH pour 507 500 euros (dont 7 500 euros de commissions d’entrée) le 9 mars 2007 ; tandis que les époux G. (arrêt 2022) ont souscrit à plusieurs programmes d’investissements immobilier de la société DH entre juin 2008 et novembre 2009 pour un total dépassant 1 million d’euros (1 065 000 euros précisément). En détail,

« l’opération à laquelle les consorts G. ont souscrit en date du 30 juin 2008 concerne 100 000 actions pour un montant de 105 000 euros auxquels s’ajoutaient 1 500 euros de frais de souscription et 900 000 OC2 pour un montant de 945 000 euros auxquels s’ajoutaient 13.500 euros de frais de souscription. Le montant total des engagements souscrits par les consorts G. le 25 juin 2008 s’élevait donc à la somme de 1 065 000 euros ».

(arrêt 2022 p.17)

CBRE Global Investors faisait miroiter 15% par an !

Comme le notent les juges « la société DH n’a jamais permis la distribution d’un quelconque dividende alors même que la rentabilité annoncée par cette dernière était de 15% par an » ! (arrêt 2021 p.22).

Dans les deux procès sur cette affaire, le point commun concerne les conditions de commercialisations irrégulières de ce montage financier, par ailleurs totalement bancale, comme l’a prouvé sa ruine ultérieure ayant déclenché la colère des investisseurs trompés sur la marchandise, qu’ils croyaient moins risquée.

« Dans le prolongement de la crise financière de 2008, Dynamique Hôtels a rencontré des difficultés de refinancement qui ont conduit à la conclusion d’un premier accord de conciliation le 15 juin 2009 puis à l’homologation d’un plan de sauvegarde financière accélérée le 3 octobre 2013 et enfin à la conclusion d’un nouvel accord de conciliation le 10 juillet 2014. En sa qualité d’actionnaire de DH, Monsieur O. a été informé de ces difficultés. »

(arrêt 2021 p.2)

Face à cette catastrophe, les épargnants piégés ont réclamé des comptes à CBRE et sa filiale Dynamique Hôtels SAS.

« Estimant qu’il avait été incité à souscrire à ce programme par des manoeuvres dolosives des sociétés DH et CBRE et que ces dernières avaient manqué à leurs obligations d’information et de conseil, Monsieur O. les a assignées, le 26 novembre 2013, devant le tribunal de grande instance de Nanterre, aux côtés d’autres entités liées (sociétés du même groupe) afin d’obtenir, à titre principal, la nullité de ses souscriptions et, à titre subsidiaire, une indemnisation correspondant aux montants investis ».

(arrêt 2021 p.2)

De leur côté, les époux G. ont aussi assigné « la société CBRE en son nom propre et venant aux droits de la société CBRE global investors France ainsi que les sociétés DH et Dynamique hôtels management, devant le tribunal de grande instance de Nanterre », pour faire annuler leurs souscriptions et en obtenir le remboursement (arrêt 2022 p.3).

Première condamnation du placement hôtelier DH de CBRE Global Investors

En première instance, dans le cas de Monsieur O (arrêt 2021), par un jugement du 25 septembre 2019, le Tribunal de commerce de Nanterre a annulé la souscription des titres, condamnant la société CBRE, ou plus précisément sa société Dynamique Hôtels, à restituer ses 500 000 euros de souscriptions à Monsieur O, tandis que la maison mère CBRE était condamnée à lui restituer les 7 500 euros de commissions prélevées sur son investissement.

Dès le lendemain, 26 septembre 2019, le Tribunal de commerce de Nanterre a rendu un jugement favorable par lequel il :

« – dit que la souscription des époux G. a été effectuée dans le cadre d’un appel public à l’épargne en violation de l’interdiction de le faire pour une SAS ;

– condamné la société Dynamique Hôtels à rembourser à M. et Mme G. la somme de 1 065 000 euros correspondant au montant des sommes qu’ils ont apportées, avec intérêt au taux légal à compter du 8 juillet 2013, date de l’acte introductif d’instance ;

– ordonné la capitalisation des intérêts ;

– condamné la société CBRE en son nom propre et venant aux droits de la société CBRE global investors France à relever et garantir la société Dynamique Hôtels des condamnations prononcées à son encontre ».

(arrêt 2022 p.3)

Dans les deux cas, le géant américain des boulettes immobilières a fait appel. C’est donc sur la base de cette jurisprudence de la Cour d’appel de Versailles que nous allons examiner les irrégularités commises par CBRE, et à travers son montage DH, dans la commercialisation de ce type d’investissement en capital-risque immobilier, dont elle a été condamnée à dédommager le préjudice.

Ventes illégales de capital-risque immobilier en titres de PME non cotées

Si l’on écarte les classiques arguments dilatoires utilisés par la défense du géant immobilier pour échapper à ses responsabilités, telle que l’inévitable discussion sur la prescription, le point central de ces procès est bien d’avoir mis en lumière les irrégularités les plus flagrantes des placements d’investissements en capital-risque, que l’on retrouve dans de nombreux montages proposés aujourd’hui aux clients de banque privée ou de gestion de patrimoine, sans parler des pieds nickelés faisant campagne sur Internet pour placer leurs titres de holdings OPA ou autres élucubrations de leasing pour voitures d’occasion, aux rendements illusoires.

Dans le cas des titres de Dynamique Hôtels, utilisés par CBRE pour financer la restructuration de biens immobiliers, ces derniers étaient proposés à des clients aisés dans le cadre d’une « convention de placement de titres (…) signée avec la société Projet management services, (…) le groupe BNP Paribas et (…) la banque Indosuez » [ndlr banque privée du Crédit agricole], apprend-on dans l’arrêt 2022 p.15.

Deontofi.com avait déjà consacré un article détaillant les règles à respecter et les nombreuses infractions au respect de ces règles dans la commercialisation d’investissements en capital risque sous forme de titres financiers. Car cette technique est utilisée à toutes les sauces, y compris pour vendre des investissements dans les énergies renouvelables, infrastructures ou n’importe quelle lubie « alternative » packagée en titres de sociétés.

Ce que disent nos lois et tribunaux

Reprenons ici les argumentes examinés avec clarté et pédagogie dans l’arrêt de la Cour d’appel du 16/9/2021 (mise en gras par nos soins, mots soulignés par les juges).

1-2 – sur la demande de nullité tirée d’une violation des règles relatives à l’appel public à l’épargne (ci-après APE). * sur la charge de la preuve que l’opération réalisée relève des règles de l’APE (arrêt 2021 p.13)

(…) Il résulte de l’article L.227-2 du code de commerce, dans sa version applicable au présent litige, que la société par actions simplifiée (forme sociale de la société DH) ne peut faire publiquement appel à l’épargne.

Il résulte de l’article L.411-1 du code monétaire et financier, dans sa version applicable au présent litige, que l’appel public à l’épargne est constitué par l’une des opérations suivantes: (…) l’émission ou la cession d’instruments financiers dans le public en ayant recours soit à la publicité, soit au démarchage, soit à des établissements de crédit ou à des prestataires de services d’investissement.

L’article L. 411-2 II du même code, dans sa version applicable au présent litige, est ainsi rédigé :  » Ne constitue pas une opération par appel public à l’épargne l’émission ou la cession d’instruments financiers lorsque (….) 4° Nonobstant le recours au démarchage, à la publicité ou à un prestataire de services d’investissement, l’offre s’adresse exclusivement (…) b) A des investisseurs qualifiés ou à un cercle restreint d’investisseurs, sous réserve que ces investisseurs agissent pour compte propre. (…) Un cercle restreint d’investisseurs est composé de personnes, autres que des investisseurs qualifiés, dont le nombre est inférieur à un seuil fixé par décret. »

(arrêt 2021 p.14)

En l’occurrence, l’existence d’un appel public à l’épargne n’est pas niée par CBRE puisque « les parties admettent qu’il y a eu émission d’instruments financiers dans le public avec recours à des prestataires d’investissement (intervention de deux prestataires au moins, notamment la banque BNP Paribas et la société Project Management Services, ainsi qu’il ressort de conventions conclues avec ces sociétés).

Le débat porte sur la charge de la preuve. L’article L.411-1 du code monétaire et financier porte sur les modalités d’un appel public à l’épargne (APE), tandis que l’article L. 411-2 porte sur les destinataires caractérisant un tel APE, sur lesquels CBRE entretient la confusion.

« La thèse de la société CBRE, selon laquelle l’article L.411-1 caractérise l’appel public à l’épargne par ses modalités (démarchage, publicité, recours à des intermédiaires), tandis que l’article L.411-2 le complète en le caractérisant par les destinataires de l’offre (investisseurs qualifiés et cercle restreint) n’est pas conforme au contenu de ces articles ».

« En effet, les destinataires de l’appel à l’épargne sont bien décrits dans le premier article, comme étant le « public », et l’article L.411-2 a bien pour objet une dérogation (emploi des termes : « ne constitue pas »…) pour écarter la notion d’appel public à l’épargne lorsque l’émission est faite auprès d »investisseurs qualifiés » ou d’un « cercle restreint d’investisseurs ».

(arrêt 2021 p.14)

Pour échapper aux contraintes d’un appel public à l’épargne, CBRE avait indiqué sur les prospectus de son montage Dynamique Hôtels que «  » l’opération de souscription aux titres de Dynamique Hôtels SAS vise un cercle restreint ne comprenant pas plus de 100 investisseurs et est donc effectuée par dérogation aux règles de l’appel public à l’épargne. » (souligné par la cour) » (arrêt 2021 p.15)

Aussi péremptoire que soit cette affirmation, elle résout le problème de charge de la preuve.

« Dès lors qu’elle a elle-même qualifié l’opération de souscription litigieuse de dérogation, ou exception, aux règles de l’appel public à l’épargne, ce qui est conforme à la lettre de l’article L. 411-2, la société CBRE est mal fondée à soutenir le contraire.

« En invoquant l’article L. 411-2 pour faire échapper l’opération souscrite par Monsieur O. aux règles de l’appel public à l’épargne – dont il a été démontré que les conditions étaient cependant réunies – la société CBRE invoque ainsi une exception, de sorte que la charge de la preuve d’un cercle d’investisseurs restreint lui incombe, la cour observant au surplus que cette preuve serait impossible à rapporter pour M. O., les investisseurs pris individuellement n’ayant aucun moyen de savoir auprès de qui l’offre a été diffusée. »

(arrêt 2021 p.15)

En clair, c’est bien toujours à l’émetteur des titres litigieux de prouver qu’il les a proposés à un cercle d’investisseur restreint à 100 prospects maximum, s’il souhaite invoquer la dérogation aux règles de l’appel public à l’épargne.

* sur la preuve de l’existence de l’émission dans un cercle restreint d’investisseurs

« Il résulte de l’article D.411-4 du code monétaire et financier, dans sa version applicable au présent litige, que le seuil mentionné au dernier alinéa de l’article L. 411-2 est fixé à 100, de sorte qu’il incombe à la société CBRE – qui soutient que l’opération souscrite ne constitue pas un appel public à l’épargne – de démontrer que l’offre litigieuse d’instruments financiers n’a été présentée que dans un cercle d’au plus 100 investisseurs. »

(arrêt 2021 p.15)

Pour se défendre d’avoir méprisé les règles de l’appel public à l’épargne, et bénéficier du statut dérogatoire des offres « restreintes » exonérées de visa par l’AMF :

« La société CBRE affirme que seuls 50 investisseurs ont participé à l’opération dont la nullité est sollicitée, ajoutant que le nombre de souscripteurs de chacune des opérations n’a jamais dépassé 50. Elle soutient avoir mis en place des contrôles afin que le seuil ne soit pas dépassé (recours à des professionnels avertis, avec mention du cadre en dehors de l’appel public à l’épargne, système d’agrément des investisseurs contactés), et soutient que la preuve qui lui est demandée est impossible à rapporter en ce qu’il s’agit d’une preuve négative de ne pas avoir contacté, par quelque moyen que ce soit, plus de 100 investisseurs potentiels. »

(arrêt 2021 p.16)

Pas de preuve diabolique pour les démarcheurs

En droit, on appelle « preuve diabolique » une preuve impossible à matérialiser par celui qui en a la charge, en particulier s’il s’agit d’une preuve « négative » comme « prouver que quelque chose n’a pas eu lieu ».

Par exemple, un investisseur ne peut apporter la preuve qu’on ne l’a pas informé des risques d’un placement, comme un patient ne peut apporter la preuve qu’on ne l’a pas informé d’un risque médical.

Pour cette raison, la charge de la preuve incombe à celui ayant la responsabilité de délivrer l’information, en recueillant par exemple un « lu et approuvé » sur une copie de l’information délivrée, ou tout autre moyen de preuve que l’information a été délivrée (courrier RAR, etc.).

Dans le cas des offres de titres « à un cercle restreint » d’investisseurs, la preuve du nombre de prospects démarchés pour une vente de titres n’est pas si diabolique, à condition que les démarcheurs en tiennent le décompte. En pratique, compter le nombre d’investisseurs prospectés ne relève pas de la preuve impossible pour ceux qui les prospectent, à condition de s’en donner la peine.

Or, dans « les deux conventions souscrites [avec les banques pour placer les titres], l’une avec la société Project Management et l’autre avec la société BNP Paribas, même si elles mentionnent la notion de « cercle restreint d’investisseurs », ne comportent aucune clause quant à un nombre maximum de personnes à démarcher ».

CBRE « ne produit aucun élément permettant d’établir le nombre d’investisseurs contactés, ni même le nombre de souscripteurs – qui aurait été à tout le moins un indicateur du nombre d’investisseurs contactés – alors même qu’il lui suffisait d’interroger ses prestataires pour obtenir leurs listes de contacts. La société CBRE aurait à tout le moins pu produire le détail des souscriptions à la suite de l’augmentation du capital décidée le 2 janvier 2007, ce qui ne constitue pas une preuve impossible contrairement à ce qu’elle soutient. La cour ne peut dès lors que constater que la société CBRE n’apporte pas la preuve qui lui incombe d’avoir procédé à l’opération litigieuse dans un cercle restreint d’investisseurs. »

Il est constant que l’opération a été réalisée en ayant recours à des établissements de crédit ou à des prestataires de services d’investissement, de sorte qu’elle remplit les conditions prévues à l’article L. 411-1 précité, et doit être considérée comme une opération faisant appel public à l’épargne, alors même que la société DH ne pouvait y recourir par application de l’article 227-2 précité, de sorte que c’est à bon droit que le premier juge a prononcé la nullité des souscriptions réalisées par M. O. Le jugement sera donc confirmé de ce chef. »

(arrêt 2021 p.16)

2 – sur les conséquences de la nullité des souscriptions réalisées

Qui paye l’indemnisation des épargnants ? C’est une question fréquente dans ces circuits de commercialisation de placements où les responsabilités sont fractionnées pour permettre aux protagonistes de se renvoyer la balle.

Dans cette affaire, la société émettrice des titres litigieux, Dynamique Hôtels, est une filiale de CBRE montée par cette dernière pour collecter des fonds auprès des particuliers, par l’intermédiaire des banques avec lesquelles CBRE avait signé des conventions de placement de titres DH, CBRE prenant au passage sa commission sur les souscriptions.

Compte tenu de ces rôles respectifs, le tribunal de commerce de Nanterre avait d’abord condamné DH à restituer les 500 000 euros de souscriptions à Monsieur O., plus 110 742 euros d’indemnisation au titre de sa « perte de chance » par rapport à ce qu’il aurait pu espérer avec ses placements habituels, et condamné CBRE à lui rembourser la commission de souscription de 7 500 euros. (arrêt 2021 p.17)

Mais DH n’a pas la solvabilité ni l’autonomie financière de sa maison mère CBRE. Dès lors la victime, comme la société DH elle-même, voudraient obliger CBRE à prendre en charge cette condamnation, d’autant que ce naufrage est né de l’initiative de CBRE et de son incompétence dans la collecte des souscriptions.

Malheureusement, « Une condamnation ne peut être prononcée in solidum qu’à condition de démontrer que deux fautes ont concouru à la réalisation du même dommage. Force est ici de constater que M. O. ne précise pas quelle serait la faute commise par la société CBRE ayant concouru au dommage qu’il subit, de sorte que sa demande de condamnation in solidum sera rejetée ».

(arrêt 2021 p.18)

Si la société mère ne peut être tenue « solidairement responsable » des irrégularités que sa filiale a été condamnée à indemniser, la maison mère peut néanmoins être appelée à payer l’indemnisation des victimes de sa filiale, dans le cadre d’un « appel en garantie ».

Là encore, CBRE veut esquiver sa responsabilité au prétexte que le délai de prescription de 3 ans serait dépassé, DH ayant introduit son action en garantie en novembre 2013, alors que l’opération d’appel à l’épargne a eu lieu en mars 2007.

Faire débuter le délai de prescription à la date de souscription est aussi une astuce rabâchée des financiers, sachant très bien que leurs placements douteux en private-equity sont des bombes à retardement n’explosant jamais avant des années de suspense.

Mais en pratique, et en droit, ça ne se passe pas comme ça : la prescription démarre à partir de la découverte de la source du litige, sinon il suffirait de cacher les problèmes assez longtemps pour priver les investisseurs de leur délai d’action en justice.

« Il résulte de l’article 2224 du code civil que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La société DH ne recherche pas la responsabilité de la société CBRE en sa qualité d’ancienne dirigeante de la société DH à l’époque des faits, mais en son nom personnel en ce qu’elle aurait eu un rôle déterminant et exclusif, avant même la création de la société DH, dans le choix des modalités de financement, de sorte que la prescription triennale alléguée ne s’applique pas, seule la prescription quinquennale étant applicable.

La société DH n’ayant eu connaissance de sa mise en cause par M. O. que par l’assignation du 26 novembre 2013, et son action en garantie ayant été formulée dans des conclusions d’octobre 2017, celle-ci n’est pas prescrite ».

(arrêt 2021 p.20)

Les juges ne retiennent pourtant la responsabilité de CBRE que pour son non-respect des conditions de placement des titres, méprisant les règles de l’appel public à l’épargne, en tant que dirigeante de sa filiale DH au moment des faits, dont la responsabilité est bien prescrite dans ce cadre.

Souscriptions remboursées, préjudice plus ou moins indemnisé

Dans son arrêt du 16/9/2021, RG  19/07305, la Cour d’appel de Versailles confirme ou complète le jugement de 1ère instance :

  • prononce la nullité des souscriptions et émissions de titres DH ayant enfreint les règles d’appel à l’épargne,
  • condamne Dynamique Hôtels à rembourser sa souscription de 500 000 euros à M. O,
  • condamne CBRE Global Investors France à rembourser les frais de souscriptions de 7 500 euros,
  • condamne Dynamique Hôtels à verser 112 500 euros supplémentaires à Monsieur O. en réparation de sa perte de chance (de mieux placer ses 500k€), et 5 000 euros d’indemnisation pour son préjudice moral (d’avoir subi le stress d’une ruine financière assortie de suspense judiciaire quand il croyait pouvoir faire confiance à CBRE ), ces deux peines portant intérêt au taux légal en date du 16/9/2021 ; plus 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile (pour payer une partie des frais de procédure et d’avocats que l’épargnant a dû dépenser pour faire valoir ses droits).

Dans son arrêt du 14/6/2022, RG  21/05865, la Cour d’appel de Versailles confirme en partie ou complète le jugement de 1ère instance :

  • prononce la nullité des souscriptions et émissions de titres DH ayant enfreint les règles d’appel à l’épargne,
  • condamne Dynamique Hôtels à rembourser leurs souscriptions de 1 065 000 euros aux époux G., avec intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2013,
  • condamne Dynamique Hôtels à verser 15 000 euros supplémentaires aux époux G. au titre de l’article 700 du code de procédure civile (pour payer une partie des frais de procédure et d’avocats que les épargnants ont dû dépenser pour faire valoir leurs droits).

Enfumages en capital-risque facilités depuis dix ans !

Inquiétez-vous, ce genre d’arnaque n’est pas près de disparaître. Au contraire, les législateurs sous influence du lobby des start-ups et marchands de private-equity, ont changé la réglementation au plus haut niveau (Bruxelles !), pour faciliter ces arnaques aux « faux placements privés ». En effet, le seuil dérogatoire permettant d’ignorer les règles de l’appel public à l’épargne a été relevé de 100 à 150 prospects, par une modification de l’article D.411-4 du code monétaire et financier prévue au décret n° 2012-1243 du 8 novembre 2012 « portant transposition de la directive 2010/73/UE du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 modifiant la directive 2003/71/CE concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières (…) ».

Moralité : si vous croyez à l’honnêteté du non coté, tant pis pour vous !

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