Suite de notre feuilleton sur la fraude intrinsèque à l’économie de marché rendant son éthique illusoire. Épisode 4: nous évoquons quelques cas montrant que même informées de fraudes financières, les autorités censées les contrôler et sanctionner font parfois preuve d’une bienveillance sidérante. Extraits d’une contribution académique de Deontofi.com à la revue internationale Éthique Publique, pour son ouvrage intitulé : Éthique et reconfigurations de l’économie de marché : nouvelles alternatives, nouveaux enjeux.
Malgré leur médiatisation, l’impunité des dérives financières reste la norme, avec la complicité plus ou moins passive des autorités.
Dans l’affaire Vivendi Universal, évoquée plus haut, le procès en appel de son ex-président-directeur général, Jean-Marie Messier, a exposé en 2013 la protection implicite dont il avait bénéficié de la part du gendarme boursier français. Ayant repéré et analysé des transactions suspectes sur l’action Vivendi pour le compte de sa direction en 2001, la cellule de surveillance de la Commission des opérations de Bourse (COB) avait officiellement exigé une enquête à des fins de sanctions contre Vivendi, auprès du directeur général de cette autorité, Gérard Rameix. Or, selon la juge responsable du procès, ce dernier a alors demandé au président de l’autorité boursière de l’époque, Michel Prada, d’écrire au président de Vivendi Universal pour lui dire qu’il n’y aurait « pas d’enquête mais un simple rappel à l’ordre » (citée dans Pouzin, 2013a).
Plus récemment, à l’occasion du renouvellement des membres de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers, le 20 décembre 2013, des risques de collusion ont été pointés entre deux juges boursiers et le groupe bancaire BPCE, qui les rémunérait avant leur nomination. Ce type de relation, conjuguée à l’absence de sanctions contre certaines infractions dont l’autorité boursière a connaissance, peut amoindrir son efficacité. À l’occasion d’un litige antérieur, le député Arnaud Montebourg, ministre français de l’Économie de 2012 à 2014, estimait ainsi que « l’AMF est une autorité de connivence avec les marchés financiers » (cité dans Pouzin, 2010 : 77).
En France, l’autorité de supervision du secteur de l’assurance est aussi affaiblie par une bavure. Dans son livre La collusion infernale, le journaliste Jacques de Baudus détaille comment, au début des années 2000, la Commission de contrôle des assurances (CCA), émanation du ministère des Finances, avait empêché le réassureur allemand Hannover Re d’entrer au capital du petit assureur français ITEA (ICD-Vie), finalement mis en liquidation par l’État pour des motifs arbitraires, au profit de la banque Crédit Agricole et de l’assureur CNP, proches du pouvoir.
La collusion et l’indulgence des autorités ne sont pas une exclusivité française. Prenons la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine, créée en 1933, réputée la plus incorruptible pour veiller à l’intégrité des marchés et à la protection des épargnants. Comment la SEC a-t-elle pu laisser prospérer Bernard Madoff en ignorant pendant huit ans les alertes dénonçant son escroquerie ?
À la fin des années 1990, Harry Markopolos travaillait pour la société Rampart Investment Management, à Boston, qui perdait des clients attirés par les performances de son concurrent Bernard Madoff, cofondateur et ancien président du NASDAQ. Dans son livre No One Would Listen : A True Financial Thriller, Markopolos raconte avoir découvert l’arnaque de Madoff quand son patron lui a demandé de copier ses méthodes. Il a dénoncé Madoff à la SEC de façon documentée dès 2000, puis en 2001. Mais il a fallu attendre le krach boursier de l’automne 2008 pour que la pyramide de Ponzi s’effondre et que l’ex-président du NASDAQ soit arrêté par le FBI, jugé et condamné en juin 2009 à 150 ans de prison et au remboursement des 21,2 milliards de dollars volés à ses victimes. Défaillante face à cette escroquerie malgré sa dénonciation, l’autorité boursière américaine a mené une enquête sur l’échec de la SEC à mettre au jour la chaîne de Ponzi de Bernard Madoff, sujet d’un rapport public de 477 pages.
La peur du gendarme ? Une bonne blague pour les fraudeurs de la finance
- Lire la suite, épisode 5 : De l’absence de sanction dissuasive au sentiment d’impunité dans les banques
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Vous faite référence à la Sté ICD vie et M. Jacques DEBAUDUS.
Il faut savoir que la Sté ICD vie était filiale à 95 % de la Sté ICD SA.
Il faut savoir que M. DE BAUDUS était un grand ami de M. LAURENT président du groupe ITEA. Ces propos doivent être pris avec beaucoup de modération.
Si vous vous intéressez au groupe ITEA et ses compagnies d’assurance, vous pourriez vous interroger pour quelle raison le Tribunal de commerce a décidé de laissé la gestion de la liquidation de ces entreprises au travers d’une société dont le président n’était autre que M. Christian LAURENT.
Cher lecteur, le sens de votre commentaire n’étant pas limpide, nous nous sommes rapproché de notre confrère Jacques de Baudus qui nous a communiqué les éclaircissements publiés dans la réponse suivante.
Je suis toujours très circonspect face à des messages qui sont anonymes.
Ce que je peux affirmer :
– Christian Laurent était un entrepreneur d’assurances vie et caution hors pair. J’ai raconté une partie de son histoire dans un bouquin, « la collusion infernale » publié aux éditions Jacob Duvernet (juin 2012).
– Il était effectivement l’un de mes amis dans la mesure où je le connaissais depuis 25 ou 30 ans.
– Christian Laurent a été l’un des tous premiers à se bagarrer contre les banques et les assurances emprunteurs. Il a payé ça très cher puisque la Commission de contrôle l’a placé sous administration provisoire, puis a liquidé ses portefeuilles sans lui verser la moindre indemnité. Deux ans plus tard, le conseil d’Etat censurait toutes les décisions de la CCA mais le mal était fait.
– Christian Laurent a passé ensuite plus de 15 ans à tenter de récupérer une indemnisation de l’Etat, en vain.
– Il est décédé il y a 8 jours.
Voilà ce que je peux dire et qui peut être publié sous mon nom en réponse au commentaire de l’anonyme de service.
Encore une fois, toute cette histoire a été publiée dans « la collusion infernale ». Je ne vois donc pas ce que ce lecteur cherche à » révéler »…
J’ajoute à mes propos précédents qu’à supposer que je fusse « un grand ami » de Christian Laurent, cela n’enlève en rien la vérité des faits que je dénonce et qui peuvent être consommés sans modération aucune.
Le fait que Christian Laurent ait géré par l’intermédiaire d’une société dont il était PDG (Surety Fund) la liquiditation d’ICD Caution (les portefeuilles d’ICD Vie ayant été transférés avant la décision d’annulation du conseil d’Etat) ajoute un piment supplémentaire dans une histoire qui n’en manque pas, et plaiderait plutôt en faveur de la probité de l’intéressé.
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