Article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 : «La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi» (photo © GPouzin)

Engagé pour la défense de la liberté d’informer, notamment en tant que secrétaire général puis vice-président du Syndicat des journalistes CFTC, Gilles Pouzin était auditionné, le 27 novembre 2018, par le groupe de travail sur la création d’une « instance de déontologie professionnelle de la presse et des médias » (ci-après désignée comme « Conseil de presse »), confié par M. Franck Riester, ministre de la Culture et de la Communication à M. Emmanuel Hoog, président de l’Agence France Presse (AFP).

Voici les 3 propositions portées devant cette commission, au nom du syndicat des journalistes CFTC qui m’avait dépêché à cette occasion.

1/ Rendre le passage par le conseil de presse obligatoire avant toute saisine du juge du fond pour les délits de presse, pour étendre le champ de compétence du conseil de presse aux faux démentis.

Les faux démentis contribuent à décrédibiliser le travail des journalistes. Les procès bâillons sont aussi nuisibles pour la démocratie que la propagation de fausses nouvelles. La CFTC avait demandé dès 2009 la création d’un « délit de mensonge délibéré à la presse » qui pourrait être inscrit dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, en contrepoids des sanctions de délits de presse commis par la presse elle-même, comme l’injure ou la diffamation.

Avoir un conseil de presse ne servant qu’à examiner des attaques discréditant la qualité de l’information journalistique, serait un comble face à l’impunité des fausses nouvelles et autres mensonges délibérés à la presse qui prolifèrent sur Internet avec la complicité des éditeurs de réseaux sociaux (comme Facebook dans le scandale Cambridge Analytica, ou encore Linkedin censurant des articles de journalistes sans preuves).

Comme pour d’autres juridictions, on pourrait trier les plaintes en diffamation abusives avant leur accès au juge.

On sait malheureusement que les spécialistes des procès-bâillons, en diffamation pour discréditer des informations qu’ils savent vraies, n’iront pas spontanément saisir un conseil de presse. Ils préfèrent engorger les tribunaux, sachant qu’ils perdront au bout d’un long délai durant lequel ils peuvent se prévaloir de ces poursuites abusives pour continuer à discréditer publiquement des informations vérifiées par des journalistes professionnels.

Pour éviter ce contournement, il faudrait rendre la médiation du conseil de presse obligatoire en préalable à toute saisine de la justice pour un délit de presse.

Ce mécanisme de désengorgement des tribunaux est déjà appliqué dans de nombreux domaines judiciaires, notamment en parallèle des affaires de prud’hommes ou en matière de divorce et d’affaires familiales.

La Loi oblige déjà à passer par des médiateurs avant de saisir la Justice

Aujourd’hui, en matière de consommation, depuis la Loi Justice au XXIème siècle du 18 novembre 2016, la médiation est déjà un préalable obligatoire avant d’avoir accès au juge pour tous les litiges d’un montant inférieur à 4000 euros (relevant du tribunal d’instance).

Dans le cadre de la loi de programmation justice 2018-2022 (en cours d’adoption), le gouvernement voulait relever ce seuil de médiation obligatoire préalable à la saisine du juge (à 10 000 euros selon nos informations).

Il semble possible et réaliste, d’appliquer ce principe de désengorgement des tribunaux pour les mauvais procès contre la presse, dans la mesure où la matière de ces procès est bien sujette à interprétation et vérifications, plus qu’à l’investigation d’un juge d’instruction comme pour la plupart des autres affaires correctionnelles.

Il ne s’agirait pas de priver les contribuables de la possibilité de saisir le juge des référés, dans des situations d’urgence au regard d’une accusation de diffamation, mais le juge de référé continuerait de ne se prononcer que sur l’urgence, pas sur le fond.

Au lieu de renvoyer le fond au juge du fond, il obligerait le justiciable, comme pour bien d’autres litiges, à emprunter la voie de la médiation, ici s’agissant d’un médiation par le conseil de presse, entre des justiciables estimant avoir été diffamés par la révélation d’informations produite par des journalistes professionnels, et ces derniers avec leurs éditeurs. Le conseil de presse n’aurait évidemment aucun pouvoir judiciaire ni coercitif, tout comme n’importe quel autre médiateur, mais son travail d’examen des allégations de délit de presse serait un défrichage précieux du dossier pour le juge qui en serait saisi en cas de refus du résultat de la médiation par les parties concernées (le plaignant contre l’auteur et l’éditeur).

S’agissant de préjudices non matériels, le montant des dommages-intérêts ne seraient pas retenus comme critère de passage obligatoire par la médiation.

Sanctionner le recours abusif au juge du fond pour les plaintes en diffamation déjà rejetées par le Conseil de presse

Par ailleurs, il serait salutaire de dissuader davantage les procès en diffamation abusifs, dans le respect des droits des justiciables. Les attaques répétées des gouvernants contre la crédibilité des journalistes ont déjà entraîné un déferlement de haine contre les médias les plus sérieux, très inquiétant pour l’avenir de la démocratie, comme le souligne le dernier rapport de Reporter Sans Frontières (lire ici l’article de RFI et écouter l’interview de Christophe Deloire de RSF).

Si le recours à une médiation était obligatoire avant toute saisine du juge du fond, concernant les délits de presse, l’avis du Conseil de presse sur les cas qui lui seraient soumis ne saurait conditionner l’accès au juge. En cas d’avis négatif du Conseil de presse, par exemple quand le plaignant n’apporte aucune preuve ou aucune précision sur la diffamation dénoncée, le plaignant conserverait la possibilité de saisir le juge du fond, qu’on ne peut pas lui interdire.

La liberté d’expression n’a jamais été aussi célébrée dans le monde qu’après l’assassinat de Charlie Hebdo en janvier 2015. Pourquoi ne pas sanctionner les plaintes abusives des fossoyeurs de l’information ?

En revanche, pour dissuader de telles saisines très probablement abusives, nous proposons d’étendre l’amende administrative en cas de saisine du juge du fond après qu’un examen par le conseil de presse ait conclut à l’absence de preuve de la diffamation alléguée, si le demandeur est débouté par le juge, confirmant la pertinence de l’avis du Conseil de presse sur le cas de diffamation allégué.

Le principe d’une telle amende administrative est prévu par la loi sur le secret des affaires du 30 juillet 2018. Pour éviter que cette loi ne soit utilisée comme alibi pour accroître l’opacité et la dissimulations d’informations abusivement démenties alors que leur révélation est d’utilité publique, l’article L. 152-8 de cette loi prévoit que les société invoquant abusivement le secret des affaires pourraient être condamnées à une amende allant jusqu’à 20% du montant demandé par les entreprises en dommages et intérêts contre l’atteinte alléguée à leur secret des affaires.

La loi sur le Secret des affaires s’est révélée une réelle menace contre la liberté d’informer, comme en témoigne le journal Le Monde qui annonçait fin novembre poursuivre la CADA qui lui refuse l’accès à des documents administratifs dans le cadre de l’enquête des Implant Files menée par le Consortium international de journalisme d’investigation (icij.org). (Le Monde du 29/11/2018 p.19 « Le Monde attaque en justice l’opacité de l’administration« ).
Dans ce contexte on peut douter que les amendes contre l’invocation abusive du secret des affaires soit un jour appliquées. Mais étendre ce principe d’amende administrative pour responsabiliser les auteurs de plaintes en diffamation abusives, portées devant le juge alors qu’elles auraient été considérées comme sans fondement par l’avis d’un Conseil de presse, aurait une portée pédagogique d’instruction civique.

Art. L. 152-8.- LOI n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires :

Toute personne physique ou morale qui agit de manière dilatoire ou abusive sur le fondement du présent chapitre peut être condamnée au paiement d’une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 20 % du montant de la demande de dommages et intérêts. En l’absence de demande de dommages et intérêts, le montant de l’amende civile ne peut excéder 60 000 €.
L’amende civile peut être prononcée sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts à la partie victime de la procédure dilatoire ou abusive.

2/ Un conseil de presse ouvert à la critique des fausses informations hors presse.

La mauvaise information chasse la bonne. Aujourd’hui, l’information produite par des journalistes professionnels représente à peine 5% de la quantité d’informations non vérifiables circulant sur Internet, avec des effets délétères sur notre démocratie, comme vu avec l’interférence de puissances étrangères ayant instrumentalisé les réseaux sociaux, tant pour l’élection de Donald Trump que pour favoriser le Brexit.

On pourrait lutter contre les fausses nouvelles, avec un peu plus de volonté politique. (© GPouzin)

On ne peut lutter contre toutes les fausses informations, par manque de moyens. En revanche, il est essentiel de condamner publiquement des fausses informations, lorsque leurs auteurs sont identifiables, et que ces fausses informations démentent ou détournent des informations publiées par la presse. Ainsi, le travail des « vérificateurs » (les fact-checkers qui travaillent dans de nombreuses rédaction à vérifier des rumeurs ou informations relevant parfois de la pure manipulation), devrait être complété par l’intervention d’un conseil de presse qui pourrait valider le caractère nuisible d’une fausse information, relevant par la suite d’une amende administrative.

Prenons un exemple concret. En 2016, un économiste propageait sur Facebook une fausse information affirmant aux épargnants que «Depuis samedi 10 décembre, votre épargne en assurance vie peut être légalement réquisitionnée», en les appelant à signer une obscure pétition.

https://deontofi.com/requisition-de-votre-epargne-en-assurance-vie-par-letat-faut-il-croire-facebook/

Comme d’autres journalistes de « fact-checking » le font dans d’autres domaines (politique, économique, etc.) Deontofi.com a travaillé au déminage de cette fausse information.

Il est proposé que l’enquête journalistique ayant vérifié et démontré la nuisance d’une fausse information de ce type puisse être soumise au conseil de presse pour validation contradictoire après convocation de l’auteur ou principal diffuseur de la fausse nouvelle, qui pourrait faire l’objet d’une amende administrative comme celle prévue contre les entreprises invoquant abusivement le secret des affaires pour discréditer ou étouffer l’information de qualité qu’elles dénigrent.

3/ Renforcer l’éducation à l’information et le souci de vérification.

Comme on ne peut empêcher la prolifération d’une industrie de l’escroquerie financière sur Internet, on ne peut empêcher la prolifération des fausses nouvelles, notamment des théories complotistes les plus fantaisistes, qui ont malheureusement un effet réellement dangereux pour la stabilité de nos démocraties.

S’ils veulent pouvoir critiquer les médias qui les informent, les citoyens défendent avant tout leur droit à une information fiable. (© GPouzin)

Le seul moyen de ralentir ou d’endiguer les effets de l’explosion de fausses nouvelles, c’est de mieux former le public à la reconnaissance des vraies et fausses nouvelles, des sources, des producteurs d’information professionnelle, et de leurs méthodes de travail.

Les deux précédentes propositions relèvent de cette mission d’évangélisation du conseil de presse pour favoriser l’information de qualité et condamner la propagation d’informations non sourcées ou non vérifiables et souvent fausses, qui constitue aujourd’hui 95% des informations circulant sur les réseaux sociaux.

Le risque d’un conseil de presse dédié à la critique du faible pourcentage d’information de presse parfois défaillantes, serait de contribuer à entretenir le sabotage de l’information journalistique au profit de la désinformation invérifiable qui constitue aujourd’hui 95% de l’information consommée par nos concitoyens.

Même si 10% de l’information journalistique devait être considérée comme défaillante, cela ne représenterait que 0,5% de l’information consommée (10% des 5% d’information journalistique consommées). Ces ordres de grandeur ne sont pas des affirmations scientifiques mais résument des travaux de sociologie et de journalisme réalisés ces dernières années sur ce sujet aux Etats-Unis.

Objectif 100% de citoyens vigilants contre les fake news

En ce sens, le travail d’un conseil de presse devrait être relayé par davantage de formation des consommateurs d’information, en commençant pas les écoles, collèges et lycées, où l’éducation nationale doit davantage promouvoir le rôle des professeurs documentaliste dont beaucoup travaillent déjà en coordination avec des professionnels des médias (fact-checkers, médiateurs…) pour éduquer nos concitoyens à distinguer la bonne information de la mauvaise.

En outre, dans sa mission pédagogique, un conseil de presse pourrait jouer un rôle de portail de la déontologie de l’information. Parmi d’autres exemples dont il pourrait s’inspirer, on note que la Commission des clauses abusives (http://www.clauses-abusives.fr/), qui n’a pas de fonction judiciaire mais émet des avis sur les clauses abusives dans les contrats grand-public, propose sur son site Internet des références utiles, notamment de jurisprudence dans ce domaine.

Dans sa mission pédagogique, un Conseil de presse devrait être un relais vers les ressources utiles à la déontologie de l’information, par exemple avec un annuaire des sites ou rubriques de médias dédiés à cette thématique, comme Deontofi.com.
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