Trop intrusives avec leurs clients honnêtes, pas assez avec leurs clients escrocs, les banques luttent mal contre le blanchiment

Gilles Pouzin de Deontofi.com était l’invité de Cédric Decoeur, rédacteur en chef de BFM Patrimoine, pour répondre aux questions des épargnants sur BFM Business TV ce mardi 26 avril 2022.

1/ « Ma banque, où j’ai mon compte depuis 2009, me réclame un justificatif d’identité et de domicile. Suis-je obligé de répondre et fournir les documents demandés ? » Pascal

– C’est un sujet qui préoccupe énormément les gens et on le voit à travers l’intérêt et les réactions des questions de Deontofi.com, puisque c’est le sujet qui génère le plus de questions.

– Il faut dire que ça surprend. Quand on est dans une banque depuis plus d’une dizaine d’années et qu’on vous redemande une pièce d’identité.

– Absolument, ça surprend d’autant plus que les procédures ont évolué, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, qui est connu des banquiers sous l’acronyme LAB-FT, donc la Lutte Anti Blanchiment et contre le Financement du Terrorisme.

Cette LAB-FT prévoit des obligations de vigilance pour les banquiers.

Pour ce lecteur nous avons fait une mise à jour en rappelant les articles de loi concernés.

Il y a par exemple l’article L561-6 du Code monétaire et financier qui dit : « Pendant toute la durée de la relation d’affaires et dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat » on le verra, «  dans la limite de leurs droits et obligations », c’est très important aussi la limite de ces droits et obligations, « une vigilance constante et pratiquent un examen attentif des opérations effectuées en veillant à ce qu’elles soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu’elles ont de leur relation d’affaires ».

On voit que ce texte est très large, en même temps avec des précautions, des définitions un peu vagues, qui sont précisées par l’article réglementaire, l’article R561-12 du Code monétaire et financier, qui rappelle un certain nombre de choses : ce qu’il faut vérifier avant l’entrée en relation, comme on l’a vu, et durant toute la relation d’affaires, les banques doivent recueillir des informations mises à jour qu’elles doivent tenir à disposition de leur autorité, l’ACPR.

– Je suis désolé je comprends bien, mais quand le client a ouvert son compte il a donné son identité. Or, son adresse ou son statut familial peuvent avoir changé, mais son identité n’a aucune raison d’avoir bougé, si je puis me permettre !

– Il est vrai, absolument. En même temps ça fait partie de la réglementation, mais à l’époque les vérifications étaient peut-être mal faites, ou elles étaient faites mais la banque n’en a pas gardé de trace et n’a plus de dossier à jour. Donc les archives des banques ne sont pas toujours à jour et la réglementation les oblige.

Et vous allez voir que cette réglementation n’est pas que pour enquiquiner les clients. Malheureusement elle est souvent utilisé par les banques de façon un petit peu abusive, on peut en parler aussi, pour faire du cross-selling marketing, c’est-à-dire de la vente croisée de produits, par exemple quand on connaît mieux l’étendue du patrimoine et des revenus d’un client, c’est quand même plus facile de lui proposer des placements et de lui dire « ramenez tout chez nous, prenez notre crédit, etc ».

Mais en dehors de cet aspect il y a peut-être aussi un aspect protecteur, on en reparlera. Donc les banques, par cette réglementation bancaire, ont l’obligation de justifier auprès des autorités, la mise en œuvre de ces mesures, et leur adéquation au risque de blanchiment. C’est important, cette « adéquation ». Là-dessus, il y a un arrêté, du 2 septembre 2009, qui liste ce que les banquiers doivent faire :

En application de l’article R. 561-12, les éléments d’information susceptibles d’être recueillis pendant toute la durée de la relation d’affaires aux fins d’évaluation des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme peuvent être :
1° Au titre de la connaissance de la relation d’affaires :

― le montant et la nature des opérations envisagées ;
― la provenance des fonds ;
― la destination des fonds ;
― la justification économique déclarée par le client ou le fonctionnement envisagé du compte.
2° Au titre de la connaissance de la situation professionnelle, économique et financière du client et, le cas échéant, du bénéficiaire effectif :
a) Pour les personnes physiques :
― la justification de l’adresse du domicile à jour au moment où les éléments sont recueillis ;
― les activités professionnelles actuellement exercées ;
― les revenus ou tout élément permettant d’estimer les autres ressources ;
― tout élément permettant d’apprécier le patrimoine ;

Etcaetera…

– Donc on voit qu’il y a des obligations.

– Des obligations pour la banque. Pas pour le client.

– Donc qu’est-ce qu’on risque ? Que risque ce lecteur s’il dit « la banque a mon adresse puisque je reçois ses courriers et courriels, ma carte d’identité je l’ai montrée pour ouvrir mon compte », s’il ne répond pas à la banque ?

– Il ne risque généralement rien ou pas grand-chose. Néanmoins, ce que nous recommandons à Deontofi.com c’est de faire preuve d’un esprit de coopération éclairé avec la lutte anti-blanchiment et ses procédures. On vous demande une pièce d’identité à jour, généralement vous l’avez car vous en avez besoin pour d’autres choses ; un justificatif de domicile, une facture télécom, vous l’avez aussi. On peut refuser de le donner. Mais comme les banques ont une obligation de le recueillir, parfois elles font un excès de zèle et elles vous bloquent l’accès à vos comptes. Parfois d’abord l’accès internet, vous n’avez plus accès aux informations, mais parfois ça va plus loin et elles peuvent carrément bloquer le compte comme dans une procédure anti-blanchiment qui, souvent, n’est pas justifiée, car le compte fonctionne tout à fait normalement.

Donc ce que nous conseillons, c’est d’avoir une réponse appropriée. De coopérer si les demandes ne sont pas trop inquisitoires et intrusives.

– Oui, parce qu’on a déjà vu des clients auxquels on demandait un peu plus qu’une pièce d’identité et un justificatif de domicile.

– Absolument, même beaucoup plus. Et ceux-là je leur dit : refusez et allez de front. J’ai une lectrice qui nous écrit : « j’ai la double nationalité, je suis née à l’étranger, mariée en France, je travaille en France, je suis citoyenne française ; ma banque me réclame un justificatif de ma nationalité d’origine, et on me demande de fournir une pièce d’identité de ma nationalité de naissance ». Là je dis à cette dame : « écoutez, expliquer à votre banque qu’elle se trompe, qu’elle fait une grave erreur d’interprétation de ses obligations de vigilance anti-blanchiment, d’une part, et que si vous aviez des représailles de votre banque face à votre refus de lui donner votre pièce d’identité extra-nationale, vous pourriez lui proposer de mettre ce débat sur la place publique. Et je pense que cette banque, qui revendique la diversité et l’inclusion sociale, va trop loin.

– Donc on n’est pas obligé, mais après tout, si ce n’est qu’une carte d’identité et un justificatif de domicile on l’envoie par mail et ça s’arrête là.

– Et les déclarations de patrimoine c’est pareil. Vous pouvez déclarer absolument ce que vous voulez, ce n’est pas le fisc, vous pouvez donner les indications que vous voulez.

2/ « Quelles sont les précautions à prendre vis-à-vis des investissements non cotés, notamment dans des sociétés promettant des rendements intéressants, dans le leasing automobile ou l’immobilier ? » Bastien

– C’est très court une minute et demi pour expliquer ce sujet, parce qu’il y a deux grands aspects. Premièrement, le non coté, c’est très risqué. Même quand c’est bien fait, même quand c’est dans des banques d’affaires ayant pignon sur rue.

– On rappelle, plus il y a de rendement, plus il y a de risque. Il n’y a pas de formule magique.

– Le non coté, il y a quand même énormément de risque. On est collé, on ne peut pas récupérer son argent. Et dans le meilleur des cas, on le récupérera peut-être, avec une moins-value ou une plus-value, dans de nombreuses années.

Le problème, c’est qu’en dehors de ce qui se fait dans les grandes banques avec un minimum d’encadrement, il y a aujourd’hui énormément de propositions sur Internet pour des investissements de ce type, dans des PME, qui vous promettent monts et merveilles. Souvent autour de l’immobilier, mais j’entends parler de cette histoire de leasing qui est très inquiétante, parce que la personne qui mène cette campagne sur Internet, et sur Linkedin et les réseaux sociaux, a déjà été sanctionnée par l’AMF, et continue, alors que ce qu’elle fait est illégal.

Alors pourquoi c’est illégal ? Parce qu’on vous dit « mais ce sont des actions de PME qui ne font pas appel public à l’épargne ». Or, le démarchage pour les titres non cotés est interdit par l’article L341-10 du Code monétaire « en particulier pour celles qui échappent à l’obligation de rédiger un prospectus ». Le problème est qu’il y a des petits malins qui disent « oui mais depuis le 21 juillet 2018, les offres de titres de sociétés non cotées dont le capital est inférieur à 8 millions d’euros, ne requièrent pas de publier un prospectus préalablement visé par l’AMF ». Certes, elles n’ont pas l’obligation de prospectus, mais elles ont l’interdiction de démarchage, justement dans ce cas. Donc premièrement, démarchage interdit : ce sont des offres illégales.

Deuxièmement, et ça il faut faire très attention, si jamais vous avez éventuellement une confiance aveugle dans ces investissements, que vous ne voulez pas lire Deontofi.com ni écouter les conseils de prudence, vous allez investir dedans :

N’investissez jamais par chèque, faites un virement ! Pourquoi ? Parce que si cette société est frauduleuse, peut-être qu’à un moment, sa banque va s’en apercevoir. Elle devrait déclencher des alertes anti-blanchiment et elle devrait bloquer ses comptes. Si elle ne le fait pas, et qu’elle laisse l’escroquerie prospérer, la banque risque d’être condamnée pour blanchiment.

C’est ce qui est arrivé à la Caisse d’Epargne, très récemment, dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 21 décembre 2021 dans l’affaire d’escroquerie Vivalavi ; c’est ce qui est arrivé aussi à la Société générale, dans un jugement du 17 février 2022 sur l’affaire Revel. Ces banques sont condamnées pour blanchiment, l’une au pénal, l’autre pour sa responsabilité civile, de ne pas avoir effectué leur vigilance anti-blanchiment. Et donc elles doivent rembourser les clients victimes de leur blanchiment, à condition qu’ils aient payé par virement. Parce que s’ils ont payé par chèque, ils ne savent pas dans quelle banque a été encaissé leur chèque. Et ce n’est pas la banque condamnée à les indemniser qui va leur dire « ah, moi j’ai votre chèque, et au dos il est marqué qu’il a été encaissé chez moi ».

Donc soyez très prudents. Ne croyez pas ces publicités qui vous disent que c’est légal. Et ne payez pas par chèque.

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