English version here. Troisième partie de l’audience du 18 novembre 2013 devant la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Paris qui examine, en marge de la débâcle de Vivendi, les conditions d’exercice des stock-options d’Edgar Bronfman, l’ex-patron de Seagram, après sa démission. (Tout le feuilleton ici)

Edgar Bronfman était entendu dans le cadre du procès en appel de l'affaire Vivendi, en novembre 2013. (photo © GPouzin)

Edgar Bronfman était entendu dans le cadre du procès en appel de l’affaire Vivendi, en novembre 2013. (photo © GPouzin)

Après un rappel des événements de l’année 2001 qui avaient conduit Edgar Bronfman à démissionner et à préparer la vente de ses stock options approchant de leur échéance, l’homme d’affaires a expliqué la façon dont les dirigeants de Vivendi ont sollicité l’avis du conseil d’administration sur un projet de rachats complexe impliquant six sociétés différentes, sans indiquer clairement qu’ils s’apprêtaient à larguer 55 millions d’actions d’autocontrôle pour financer cette opération. Alors qu’il avait retardé l’exercice de ses stock options à début janvier pour éviter tout malentendu, cette mauvaise surprise est rendue publique trois jours après sa transaction.

–         Pour conclure que j’ai utilisé une information privilégiée, vous devez croire que j’ai adopté une attitude morale du 17 décembre jusqu’à la fin de l’année, et que le 3 janvier, je suis devenu un escroc. C’est la seule explication possible, clame Edgar Bronfman avec humilité, comme pour souligner la gravité de cette démonstration par l’absurde.

Fin décembre, j’ai emmené ma famille à Anguilla et n’ai eu aucune relation sur l’information de la vente du 7 janvier. Le 3 janvier, comme nous en avions la coutume depuis des années Doug Morris et moi…

–         Qui est-il ? s’enquiert la présidente.

–         C’est l’homme que j’avais recruté en 1985 pour diriger Universal Music. C’était un appel de nouvel an particulièrement émouvant pour la première année où il dirigeait toujours Universa Music mais ne me rapportait plus. Il avait au moins un million d’options, il boursicote beaucoup et il me dit « as-tu vu comme l’action Vivendi Universal se porte bien ? ». Cela m’a rappelé qu’on était en 2002, j’ai appelé à Vivendi Franck Raisor et lui ai dit, « commençons ce programme sans rien changer mais pas en dessous de 57 $  », qui était l’équivalent de 63 ½ €. Je lui ai dit « s’il te plait prends ton temps, je ne veux pas perturber le marché ».

–         Cela en faisait beaucoup, note la présidente.

–         Oui, cela devait prendre plusieurs jours.

–         Le volume à cette époque était de 2 à 4 millions de titres échangés par jour. 1,5 million c’est énorme, qualifie la présidente.

–         Je sais, et je le savais, reprend Edgar Bronfman. C’est pourquoi j’ai spécifié de prendre le temps. Si on le fait en un jour, on pousse le cours vers le bas. J’ai aussi mis une limite, donc je savais aussi que s’il y avait des hauts et bas dans les semaines suivantes je ne pourrais vendre que quand le cours dépasserait la limite, cela pouvait prendre des jours ou des semaines. Il m’a faxé le formulaire, je l’ai signé et refaxé. A la clôture du 4 janvier, il n’a rappelé pour me dire qu’il en avait vendu 570 000, soit un peu plus d’un tiers. J’étais un peu surpris que ce soit passé d’un coup.

–         Le 4 janvier le volume a été de 5 millions 178 000 actions, l’informe la présidente en consultant le listing détaillé du dossier d’instruction. Vous avez indiqué à Raisor qu’il fallait vendre en plusieurs fois pour ne pas peser sur le cours.

–         Je ne suis pas sûr d’avoir dit en plusieurs fois, répond Edgar Bronfman, comme s’il attachait une importance méticuleuse à sa précision. Ce que j’ai dit était « s’il te plaît, prends ton temps et ne perturbe pas le marché ».

–         Que pensez-vous de cette vente de 55 millions d’actions ? Elle ne pouvait que perturber le marché !

Edgar Bronfman, l'ex-patron de Seagram, venu éclairer la justice sur le contexte de l'affaire Vivendi dont les dirigeants sont rejugés à la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d'appel de Paris, en novembre 2013. Dessin ©Yanhoc

Edgar Bronfman, l’ex-patron de Seagram, venu éclairer la justice sur le contexte de l’affaire Vivendi à la Cour d’appel de Paris, en novembre 2013. Dessin ©Yanhoc

–         « Madame President », je suis poursuivi pour délit d’initié, ce que je n’ai pas fait, clame à nouveau Edgar Bronfman avec sincérité, pour que la juge entende sa supplique. Tous mes actes sont cohérents avec mon innocence. Je n’ai pas l’expertise pour comparer la vente de mes options à celle de l’autocontrôle de Vivendi, mais je ne sais pas non plus ce qu’il serait arrivé si Vivendi avait vendu 35 millions d’actions au lieu de 55 millions. Si je savais qu’il y aurait cette vente du 7 janvier, pourquoi attendre le 4 pour vendre, avec un cours limite qui me mettrait dans l’impossibilité de vendre ? Cela n’a pas de sens ! Mes conseillers me disaient que si j’interrompais mes ventes de stock options, ce serait un indice de culpabilité. Ce n’était pas mon avis. Pour croire cela, il faudrait que j’ai espéré que personne ne remarque que j’avais vendu pour 13 millions de dollars d’actions avec mes options du 4 janvier, ce qui serait fou de ma part, pour commencer.

Ce qui était plus important encore pour moi est que j’étais administrateur et que par conséquent j’avais l’obligation d’enregistrer auprès de la SEC un formulaire 144 le jour même où je vendais ou achetais des actions. Le vendredi 4 janvier 2002 je remplis ce document, et au moment même où la SEC reçoit ce document, elle le rend public sur le site web de diffusion de ces informations, qui s’appelle EDGAR. (NDLR, acronyme formé par les initiales de l’a base de données Electronic Data Gathering, Analysis, and Retrieval). L’évocation de cette coïncidence entraîne un instant l’auditoire dans une rêverie superstitieuse, relâchant la tension.

Il y a eu de nombreuses ventes par mon oncle, le frère de mon père, qui n’étaient pas soumises aux engagements de la famille de ne plus vendre d’actions en 2001. Mon avocat m’a dit que pour exercer mes options, à cause des ventes de mon oncle, je devais aussi remplir un formulaire 13D, que j’ai rempli le 8 janvier et qui a été rendu public au même moment. Il était impossible que j’arrête mes ventes en pensant que personne n’aurait vu que j’avais déjà vendu. Je les ai interrompues car je ne savais pas ce qu’il se passait. Et d’après l’annonce, Vivendi Universal était en train de placer ses actions et je ne voulais pas être sur leur chemin. Donc je suis allé rencontrer Jean-Marie Messier pour discuter de la vente des actions d’autocontrôle, à New York au cours d’un déjeuner le 7 janvier. J’avais préparé un mémo pour Mr Messier des points qui me semblaient essentiels pour Vivendi Universal. Ce même 7 janvier, 37 millions d’actions ont été vendues immédiatement. Ce sont les 17 ou 18 millions d’actions restantes qui ont donné une indigestion au marché.

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