Après avoir passé en revue les différentes facettes de l’instruction sur la manipulation de cours de Vivendi, lors de ses rachats d’actions de septembre 2001, la présidente passe à l’étape des questions aux prévenus. Extraits de l’audience devant la 5ème chambre correctionnelle de la cour d’appel de Paris, le 4 novembre 2013. (Tout le feuilleton ici)

Douze ans après les faits, les dérives de l'ex-PDG de Vivendi sont rejugées devant la 5ème chambre correctionnelle de la cour d'appel de Paris, en novembre 2013 (photo © GPouzin)

Douze ans après les faits, les dérives de l’ex-PDG de Vivendi sont rejugées devant la 5ème chambre correctionnelle de la cour d’appel de Paris, en novembre 2013 (photo © GPouzin)

La présidente Mireille Filippini entame ses auditions en interrogeant Philippe Guez, PDG de Deutsche Bank Equities, qui semble un acteur clé au cœur de cette affaire de manipulation de cours : « Monsieur Guez, vous avez été chargé de procéder aux rachats d’actions pour le compte de Vivendi, vous êtes le premier à lancer des alertes, rappelle la magistrate. Expliquez-nous ce qu’il s’est passé. »

– Notre service Bourse traite essentiellement avec des gérants de fonds, précise Mr Guez. Vivendi Universal n’est pas un client usuel mais un client de la banque.

– Comment êtes-vous entré en relation avec Vivendi ?

– Hubert Keller (à l’époque chez Deutsche Bank où il avait Vivendi comme client) m’a dit qu’il avait un mandat écrit et m’a transmis un mandat oral d’exécuter les rachats.

– Était-ce le seul client de ce type ?

– Vu la nature du client et la taille de l’ordre, c’est très rare. Par rapport à ce qui a été dit je dois préciser qu’à aucun moment nous n’avons acheté des titres pour le compte de Deutsche Bank, il y avait juste un problème de débit-crédit, chaque jour je m’inquiétais d’être payé à J+3 (NDLR le délai de règlement pour prendre livraison des titres achetés est de trois jours, le courtier n’a rien à débourser avant).

– Comment étiez-vous payé ?

– On a avancé 400 millions d’euros, un peu plus.

– Vous ne vous êtes pas demandé s’il n’y avait pas un problème avec ces opérations ?

– Deux règlements m’ont alertés. Premièrement, par rapport au dépassement des 25% de titres échangés dans la séance, notre rôle interne est d’informer le client qu’il sort de la présomption de légitimité car cela pourrait être un indice de manipulation. Deuxièmement l’achat en période d’abstention de rachats avant la publication des résultats peut être un indice de manquement d’initié. Mais à aucun moment je n’ai pensé qu’il y avait manipulation de cours.

La présidente rappelle l’évolution des cours et des rachats décrite par l’instruction.

– Pour moi il est important d’informer Vivendi, poursuit Mr Guez. S’il y a un problème au regard de la présomption de légitimité, je veux qu’ils me répondent si leurs achats sont légitimes pour être dédouané.

– Vous êtes quand même pas mal inquiet, renchérit la présidente. Vous parlez de prison, vous écrivez Help !

– Je l’étais car personne ne me répondait.

– Vous dites à Hubert Keller, « il faut que tu parles à Vivendi Universal, à Jean-Marie Messier ».

– Je voulais cette lettre de confirmation.

– Le 25 septembre à 15h28 vous êtes inquiet que Vivendi ait demandé de maintenir le cours à 50.

– C’est faux.

– Mais vous l’écrivez en plus de la conversation.

– Oui mais c’est faux.

– Vous avez écrit « cela me semble définitivement illégal ».

– Pendant mon interrogatoire, pendant ma garde à vue, il y a des choses que je ne savais pas.

– Oui mais là c’est votre mail avant l’enquête.

– Je crée la panique pour avoir une réponse, comme je le confirme dans les interrogatoires.

– Vous répondez à un mail de Mr Blondet prenant note que la limite de vos ordres passe à 50 euros, alors que le cours était à 47 euros précédemment, relance la présidente après avoir commenté le listing des transactions du courtier. Le 25 septembre à 15h35 vous accusez réception du relèvement de limite à 50 € et vous passez tous vos ordres à 50 dans la dernière demi-heure.

– Mais il n’a pas coté 50.

– Absolument, mais vous avez continué à passer des ordres à 50. Qu’en pensez-vous ?

– Ils n’ont pas eu d’influence sur le cours, on ne fait que suivre la hausse.

– Reprenant son listing, la présidente énumère de nombreux ordres exécutés à un cours inférieur à la limite saisie (NDLR « ce qui laisse présumer d’une volonté que le cours monte au niveau de prix que l’acheteur accepte de payer, plutôt que d’acheter au prix inférieur auquel les vendeurs acceptent de vendre »).

– Notre objectif est d’exécuter des gros ordres aux meilleures conditions pour le client.

– C’est quoi pour vous les meilleures conditions ? Le meilleur prix ?

– Oui.

– Mais vous semblez toujours passer des ordres supérieurs aux cours cotés.

– Quand on achète pour un gros client, si l’on n’achète pas les quantités demandées on se fait engueuler. Si on achète trop cher on se fait engueuler aussi, alors on met des ordres inférieurs aux cours cotés pour profiter des replis, mais aussi supérieurs pour avoir des quantités. Mais on s’est toujours préoccupé d’acheter le moins cher possible.

– Alors c’est quoi cette conversation ?

– C’est le fixing en direct, on arrête la Bourse et on laisse les offres et demandes s’indiquer dans le carnet d’ordres, sauf les ordres cachés. Vivendi me dit, s’il y en a beaucoup on va les acheter. On met les ordres, mais ça ne traite pas.

– Alors pourquoi vous parlez de prison ?

– Madame le président, c’est une façon de parler, je ne peux pas vous répéter le langage des salles de marché, on dit bien pire que ça.

– Et quand le déontologue vous dit d’arrêter tout achat pour Vivendi.

– Il est gentil le déontologue, il me dit d’arrêter le 25 au soir et de reprendre le 26 au matin. Champarnaud est informé depuis le 18 septembre. Il ne m’a pas beaucoup aidé. Mais je suis formel, il n’y a pas eu de maintient du cours, pas de contribution à la formation du cours. Je suis entré en panique quand j’ai vu le communiqué de Vivendi en pleine séance à l’ouverture de Wall Street, c’est totalement inhabituel. Mais tout ce que je dis dans mon mail, factuellement, est faux, car je veux des instructions.

– Le 26 septembre Vivendi ouvre à 48,90 et clôt à 50, vous saisissez des ordres à 50,25.

– Je n’ai jamais passé un ordre supérieur à 50 €.

– C’est votre listing.

– Je n’avais pas d’instruction pour acheter au-dessus de 50, ils ont été exécutés à 50.

– Pour quelle raison passez-vous des ordres plus chers que le cours ?

– La seule raison est la quantité.

– Le 27 septembre vous achetez à un cours moyen de 50,50€. La magistrate énumère à nouveau différentes transactions.

– 25% du marché et plus, ça peut influencer la moyenne, mais ça ne la fait pas, répond le courtier.

– A l’ouverture de New York le 25 septembre avec le communiqué de presse, cela pouvait avoir un impact, quand il est dit en plus que l’action est à un prix attractif au cours de 49,50.

– Cela ne fait pas monter le cours.

– Mais vous dites qu’il y en a beaucoup à la vente.

– Toutes les dix minutes, quand il y a des titres qui s’offrent à notre limite, on les achète. On achète pour 1,7 milliard d’euros au meilleur prix mais à aucun moment on ne fait le cours. Je suis le seul à alerter d’irrégularités, car même si les opérations sont légitimes elles ne bénéficient plus de la présomption de légitimité qui doit être prouvée par la société, et personne ne me répond.

Après les auditions de Messieurs Blondet et Dupont-Lhotelain, non retranscrites ici, cette audience du 4 novembre 2013 s’achève vers 19h.

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