Parmi les adeptes des procédures judiciaires abusives pour déstabiliser et décrédibiliser les observateurs critiques de ses pratiques, l’Association française d’épargne retraite (Afer) et son président actuel, Gérard Békerman, collectionnent les bévues d’une façon aussi désopilante qu’intrigante. Leur acharnement contre La Lettre de l’Assurance, de notre confrère Jacques de Baudus, en donne un exemple affligeant. (Retrouvez ici toute La saga de l’Afer au prisme de la déontologie financière)
L’affaire aurait pu être oubliée depuis longtemps. Elle n’aurait même jamais dû encombrer les tribunaux, dans le propre intérêt de l’Afer. Mais son président en a décidé autrement. Pour des raisons qui nous échappent, tant ce procès est absurde et contre-productif, il réclame aujourd’hui à la Cour de cassation de faire condamner notre confrère pour un délit inexistant, comme l’a reconnu la Cour d’appel, et le tribunal correctionnel avant elle. Résultat ? Ce harcèlement judiciaire mérite bien qu’on vous raconte son objet, satire potache moquant une publicité pas très glorieuse pour l’Afer. De quoi s’agit-il ?
Il y a un peu plus de trois ans, le 2 mars 2012, un communiqué de l’Afer est titré « En attaquant l’assurance vie, c’est la France qui est attaquée ! ». Rien que ça !
Le lendemain, Jacques de Baudus publie un billet d’humeur dans La Lettre de l’Assurance et sur son site Internet, moquant le ton et la mise en scène grandiloquente de ce communiqué, il est vrai bien pompeux. Brocardant le slogan patriotique incongru du marchand d’assurance vie, notre confrère lui répond par un titre au vitriol : « Patin, Pétain, potin, putain la honte ! Ou quand l’Afer donne envie de vomir… ».
Le communiqué « n’est pas signé, toute bonne délation se délectant dans l’anonymat », observe Jacques de Baudus en ajoutant avec malice que « sous le couvert d’un patriotisme creux », le collaborateur zélé de l’Afer auteur de cette campagne « fait appel aux instincts nationalistes les plus bas ; il flatte les comportements nauséeux (…) : il utilise les procédés de la désinformation les plus basiques (…) ». Avant de conclure par un sarcasme fidèle à ses bons mots « L’Afer : l’épargne « qu’on fiente » ? ».
Se sentant peut-être indisposé par sa propre publicité, le président de l’Afer ne cesse depuis de réclamer en justice la condamnation de notre confrère pour « injure publique envers un particulier », délit prévu et réprimé par les articles 29, 33 alinéa 2, 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, en lui réclamant au passage 15 000 euros d’indemnisation, la suppression de l’article et la publication de sa condamnation, plus une astreinte de 1000 euros par jour de retard à l’exécution de ces injonctions.
Certes, on peut estimer que la critique est au moins d’aussi mauvais goût que l’objet de sa raillerie. On a même le droit de ne pas apprécier ce genre journalistique. Ce n’est pas celui des journaux sérieux, car l’humour n’a pas vraiment sa place dans leur ligne éditoriale. A l’inverse, la satire est indispensable à Charlie Hebdo, au Canard Enchaîné, ou à La Lettre de l’Assurance, qualifiée par certains de « canard déchaîné de l’assurance ».
Fidèle à sa devise «des faits, un ton», Jacques de Baudus est apprécié de ses lecteurs pour sa capacité à traiter les nouvelles austères de son secteur, en y mêlant anecdotes et badinages, avec un sens impayable des calembours et contrepèteries, capables de dérider les plus grises journées d’un assureur ou d’un journaliste financier. Sa lecture est toujours un bon moment, et la plupart des gens dont il caricature les traits ou les gaffes ne lui en tiennent pas rigueur. Sauf Gérard Békerman. Grâce à qui on parle encore de cette affaire aujourd’hui.
Par un premier jugement du 2 juillet 2013, la 17ème chambre du Tribunal de grande instance de Paris avait déjà relaxé Jacques de Baudus en prononçant la nullité de sa citation en justice par l’Afer et son président. Alors que leur entêtement semblait immanquablement voué à l’échec, comme nous l’écrivions en 2014 (lire L’Afer de Gérard Békerman, aussi contrôlée que contestée), l’association d’assurance vie et son président ont été une nouvelle fois désavoués par un arrêt de la Cour d’appel du 5 mars 2015. Assurés de perdre (du temps, de l’argent, leur crédibilité…), l’Afer et son président veulent maintenant réclamer à la Cour de cassation de faire condamner notre confrère pour un délit inexistant, si l’on en croit les informations transmises à Maître Fabrice Korodi Katona, l’avocat du journaliste, par les avocats de l’Afer, Maître Xavier Cazottes substituant Maître Olivier Pardo.
Sur le fond, la satire n’est pas un délit de presse. La justice est claire sur ce point : « l’objectif était de dénoncer la ressemblance de cette communication d’entreprise au thème de la révolution nationale du maréchal Pétain ; il s’agit de l’exercice d’un droit de critique avec l’usage de termes polémiques ou ironiques qui viennent en réponse à un communiqué au ton véritablement décalé ; de plus les termes incriminés n’étaient pas dirigés contre la personne morale mais contre le communiqué de presse ; ils ne peuvent être qualifiés d’injurieux », explique l’arrêt du 5 mars 2015 (enregistré au registre général RG n° 13/05648).
« Si cette critique se présente bien dans des termes parfois grossiers et vulgaires, elle ne peut pourtant être considérée comme méprisante à l’égard de la personne morale elle-même mais constitue plutôt une critique incisive sur son mode de communication », ajoute la Cour en précisant que « l’expression « torchon misérable » n’est qu’un jugement de valeur, certes acide, mais concernant uniquement le billet critiqué » et qu’en conséquence « ces termes ne peuvent être considérés comme outrageants » à l’égard de l’Afer.
Nuance. « L’Afer, l’épargne qu’on fiente » est un jeu de mots grossier qui vise bien la personne morale », juge en revanche la Cour d’appel. Mais « aussi vulgaire soit-elle, cette expression n’a pas excédé les limites que permet l’humour et la satire, dans le registre habituel » de La Lettre de l’Assurance. Verdict : l’injure n’est pas caractérisée, le journaliste est relaxé, l’Afer est déboutée. Et pourtant elle s’entête dans son harcèlement judiciaire, préparant dans la foulée un pourvoi devant la Cour de Cassation… voué à l’échec juridique, mais qui poursuit peut-être d’autres motifs.
Étrange affaire. Alors que Jacques de Baudus cultive un talent caché de pianiste de jazz, quand Gérard Békerman est aussi un grand joueur de piano, on aimerait croire que ce lien musical donnerait à chacun l’occasion de voir son bon côté mélomane chez l’autre.
On gagne souvent à éviter les généralités hâtives sur des personnes ou des organisations.
Par exemple, Deontofi.com n’est pas l’ennemi des banques, des assurances ou des professionnels de la finance. Au contraire ! Quand d’autres voudraient jeter les bébés avec l’eau du bain, Deontofi.com tente plus modestement de comprendre pourquoi l’eau est trouble, sans pouvoir dire si le bain intoxique les bébés ou s’il est pollué par les plus infectés d’entre eux. Car beaucoup restent propres.
Une organisation n’est jamais monolithique, compte tenu de la diversité des individus qui la composent. Les individus ne sont pas réductibles à une personnalité unique, compte tenu de la variété de leurs facettes. Ces facettes des personnalités ne sont jamais figées, mais d’une complexité changeante selon les circonstances. Et même les traits de caractères ne suffisent à définir des individus, vu le contexte unique entourant chacun de leurs actes.
Dans cet esprit, Deontofi.com ne juge pas les organisations, ni même les individus, mais se concentre sur l’analyse des faits et des actes. Bien sûr, d’un point de vue social, on se définit aussi par ses actes, et les faits sont têtus. Mais il semblait utile de rappeler cette approche méthodologique de Deontofi.com, pour cet article et en général.
Personnellement, j’ai connu Gérard Békerman autrefois, au début des années 2000, toujours avenant, quand nous parcourions la France de ville en ville, de Strasbourg à Toulouse, Lyon, Marseille ou Lille, avec la sympathique troupe du Forum de l’investissement, organisé par l’agence de communication Win, dont Gérard était un pilier, et dont j’animais pendant des années des conférences pour les épargnants, en tant que rédacteur en chef du magazine Le Revenu. Était-ce le bon temps ?
Force est de constater que dix ans plus tard, à l’examen des faits, Gérard Békerman apparaît sous un autre visage dans son habit de président de l’Afer. Deontofi.com n’est pas l’ennemi de Gérard Békerman, ni des assureurs, des banques ou de quiconque. Mais avec toute l’estime qu’inspire son souvenir, il faut bien admettre que plusieurs de ses actes (sûrement pas tous), semblent aujourd’hui en léger décalage avec les principes de déontologie financière qui nous sont chers, et c’est un euphémisme.
A suivre (bientôt) : les dernières démêlées judiciaires de l’Afer pour étouffer les critiques de l’association SOS Principes Afer.