Le procès en appel pour abus de confiance des ex-dirigeants du complément de retraite des enseignants et fonctionnaires (Cref) est l’occasion de comprendre comment 450 000 épargnants se sont fait piéger par ses fausses promesses. Après les plaidoiries des parties civiles, Deontofi.com publie le réquisitoire de l’avocat général, tel que présenté à l’audience du 11 décembre 2013. (Tous les articles sur l’affaire Cref ici)
Réquisitoire de l’avocat général, Maître Dominique Gaillardot, deuxième partie (2 sur 3).
Un argument opposé est de dire que tout s’est fait dans une parfaite transparence. Cette transparence sur le statut d’administrateur « permanent » n’est pas évidente quand ils disent qu’il y avait une « certaine crainte de communiquer sur les questions matérielles ». On a parlé un moment de faire cesser cette fausse transparence qui semble toute relative. On nous dit que tout le monde savait, que tout le monde était informé. D’une part c’est une allégation générale, d’autrr part elle ne peut pas se substituer aux validations des assemblées générales.
Je me suis plongé dans les procès verbaux des AG. En 1994 le rapport du trésorier indique que l’équipe d’administrateurs permanents est passée de quatre à six membres. Puis en 1996, au chapitre 16 du rapport moral du trésorier, il est indiqué que le poste « personnel » qui représente 37,5% des dépenses, recouvre les salaires et charges salariales, le régime d’indemnité des permanents demeurant inchangé. Sur 22 pages brillantes, où l’on explique à juste titre les difficultés des mutuelles et des régimes de retraite, 2 lignes sont réservées à ces questions. S’agissant d’un rapport oral, lu à l’assemblée générale, je veux bien que l’attention soit permanente, mais on ne peut pas parler de transparence. Et qu’est-ce qu’un rapport du trésorier ? Il rend compte du passé, mais ne constitue pas une autorisation pour l’avenir. Voilà pour cette question préliminaire sur la dissimulation.
Revenons-en sur l’indemnité de sujétion de 6 939 francs bruts en 1997, soit environ 78 000 francs par an. Au-delà de l’objet de cette indemnité de compensation de sujétions particulières, il ressort des débats que son but principal était de maintenir une rémunération antérieure, voire de compenser un déroulement de carrière ultérieur. C’est bien une rémunération accordée. Même si la rémunération du travail n’est pas discutée, on est face à une rémunération qui va au-delà du bénévolat. Sur ce problème d’indemnité, au regard de la loi, et sans entrer dans un débat sur l’organisation interne, il est paradoxal de toucher une indemnité compensant une rémunération et de continuer à prétendre que c’est du bénévolat. Et le fait que certains aient pu continuer à les percevoir alors qu’ils n’exerçaient même plus de fonction opérationnelle mais en seul appui au président, montre bien qu’il s’agissait d’une rémunération et pas de la compensation d’une sujétion particulière. Preuve en est que, si cette indemnité qui compensait une sujétion particulière liée aux fonctions, aucune autre ne devrait être prise en compte pour le logement et tout le reste, puisque l’indemnité pour sujétion est recentrée dans leur fonction.
Il est vrai qu’un bulletin ministériel de l’Education nationale de 1996 s’est penché sur ce principe d’indemnité et a fait le lien express avec la rémunération distribuée qui ne doit pas être supérieure au smic. Mais il pose des conditions, qu’elle ait été accordée dans les formes prévues par la loi (on revient à l’AG), mais qu’elle ne doit pas compenser un revenu d’activité ni remettre en cause le bénévolat. On voit bien que cela exclue toute compensation d’une activité passée, ce qui souligne leur caractère de rémunération.
Pour la deuxième indemnité de représentation et frais d’emploi de 3200 francs, elle paraît alors faire double emploi, s’il y a déjà l’indemnité de sujétion et alors même que certaines dépenses sont déjà remboursées sur facture ou payées avec les cartes bancaires de la mutuelle. Il n’y a pas d’autorisation et une forfaitisation de certains frais. Ce n’est pas recevable alors qu’ils sont logés, qu’ils ont une sujétion particulière indemnisée et des cartes bancaires mises à disposition. On a vu le coup des frais de la vie parisienne, la nécessité de s’habiller, etc. L’opacité de ces indemnités dans un compte unique, c’est un véritable avantage statutaire de 3200 francs sans impôts par mois.
De même pour l’indemnité spéciale de René Teulade, qui est président jusqu’en 1999, puis conseiller. En première instance il nous expliquait que c’était la contrepartie du temps consacré à conseiller et à aider le président. Si ce n’est pas une rémunération… De plus, il y a les frais de séjour et les frais kilométriques. C’est une falsification et une dissimulation de ce qui n’est qu’une rémunération, d’autant plus à cette période où il ne pouvait pas toucher de rémunération de la mutuelle de par la loi.
Concernant les logements, il est inutile de rappeler leurs adresses et leur taille, à ceci près qu’ils mesuraient 90 à 200m2 à des adresses prestigieuses, représentant un cumul de loyer plus charges de 16 900 francs par mois pour René Teulade, 17 000 pour Jacques Fleurotte, 16 942 pour monsieur Vaucoret et du même ordre pour monsieur Teulé-Sensacq, seuls monsieur Faure et madame Escande ayant des logements plus petits moins chers. Il s’agit ni plus ni moins de logements de fonction attribués aux administrateurs de façon automatique. On pouvait penser que cela compensait le déplacement de province à Paris, mais c’était aussi le cas pour Norbert Attali à Cergy. Et toute la famille s’installe. Ce n’est prévu ni par la loi ni dans les statuts. Que ce soit un choix pertinent économiquement n’a aucune importance. La seule chose qui compte est que ce soit autorisé par la loi ou non, si les adhérents devaient l’autoriser et s’ils devaient en supporter le coût. On aurait pu admettre que ce soit un simple pied à terre, mais ce n’est pas le cas. C’est une véritable infraction, que de vouloir faire passer pour des frais de séjour le logement de fonction des administrateurs.