L’entêtement judiciaire des dirigeants de l’Afer pour étouffer les critiques de leurs pratiques ne visent pas que La Lettre de l’Assurance. Car ses attaques sans queue ni tête contre notre confrère ne sont qu’un épisode du long feuilleton des procès à répétition de l’Afer, curieuse tradition de cette association sur laquelle Deontofi.com avait levé le voile en 2014. (Retrouvez ici toute La saga de l’Afer au prisme de la déontologie financière)
Vendredi 3 avril 2015, François Nocaudie et Bertrand Gaumé, respectivement fondateur et président de l’association SOS Principes Afer, étaient ainsi convoqués une nouvelle fois devant la 17ème chambre correctionnelle du TGI de Paris, pour répondre d’un prétendu délit de diffamation dont les accusaient l’Afer et son président Gérard Békerman. En ce vendredi Saint, début d’un week-end de Pâques appelant à l’évasion, j’étais le seul journaliste dans cette salle d’audience presque vide, encadrée d’un dispositif de « confidentialité » particulièrement stricte.
Pour la première fois de ma carrière, le gendarme de service vint m’interdire de prendre des notes à l’aide d’un clavier, fut-il en mode « hors connexion », m’expliquant « j’ai des consignes », alors que les journalistes et avocats utilisent couramment leur téléphone, tablette ou PC pour rédiger des compte-rendus sans enfreindre l’interdiction d’enregistrer ou de communiquer avec l’extérieur que les honnêtes gens savent respecter. J’obtempérai et consignai donc le déroulement des plaidoiries dans mon carnet, à l’ancienne.
Bref, il n’y avait guère de public ce jour-là, à part une poignée d’étudiants en droit passés en coup de vent, et j’étais le seul journaliste. Même le président de l’Afer, Gérard Békerman n’était pas venu se confronter aux lanceurs d’alerte de SOS Principes Afer qu’il accusait de diffamation. J’arrivai après les débats, pour écouter la plaidoirie de Maître Olivier Pardo, du cabinet Pardo Sichel & Associés, avocat travaillant souvent pour l’Afer, voire de plus en plus souvent, vu les procès en rafale de l’Afer.
Cette fois-ci il n’est plus question de satire potache, mais de gros sous, sur fond d’intrigue politico-financière impliquant le président de l’Afer. De quoi s’agit-il ? La plainte de l’Afer porte sur le contenu d’une résolution soumise au vote des adhérents de l’Afer par l’association SOS Principes Afer et ses représentants, son fondateur François Nocaudie, et son président actuel Bertrand Gaumé.
Cette résolution porte sur une demande de restitution de l’augmentation de l’indemnité que Gérard Békerman s’est fait accorder par son conseil d’administration, à compter du 1er avril 2010, pour « ses frais non remboursables » soupçonnés d’être destinés à des financements politiques, ce qui constituerait un « inadmissible contournement de la loi sur le financement des partis politiques », précise la résolution, puisque la loi « interdit directement ou indirectement aux personnes morales, ce qu’est l’Afer, de faire des dons aux partis politiques », comme l’explique plus longuement SOS Principes Afer dans son Infolettre N° 17 du 23 mai 2012.
S’estimant victime d’une diffamation publique, l’Afer dépose plainte dès la publication de cette infolettre présentant les explications de vote de SOS Principes Afer sur les résolutions soumises à l’assemblée générale des adhérents, réunie à Biarritz le 26 juin 2012.
Mais est-ce réellement le texte de la résolution présentée aux épargnants qui est visé par la plainte de l’Afer ? Ou l’activisme de François Nocaudie, qui la relaye au-delà du microcosme, sur son site internet SOSprincipesAfer.fr ? Et cette résolution est-elle vraiment diffamante pour l’Association française d’épargne retraite, ou vise-t-elle plus spécifiquement son président Gérard Békerman ? Les plaidoiries aident à y voir plus clair.
Maître Olivier Pardo, fidèle avocat de l’Afer, rappelle en préambule l’importance de l’Afer, avec ses 720 000 adhérents et 45 milliards d’euros d’épargne, pour justifier que « ce qui se dit sur elle est essentiel pour la confiance ». « Il y a eu cette affaire du fait que l’association versait des sommes occultes de nature à briser cette confiance. Monsieur Nocaudie est crédible ! Ce qu’il dit est entendu car c’est lui qui a porté l’affaire Athias », rappelle Maître Pardo, en omettant de préciser que son client avait tout fait pour empêcher SOS Principes Afer de faire condamner les protagonistes de ce scandale, dont l’assureur Aviva.
« Les informations distillées par François Nocaudie ont une portée incontestable : premièrement parce qu’il a un site web, ajoute l’avocat de l’Afer, flattant implicitement son audience, deuxièmement parce qu’il est relayé par la presse. Ce qu’écrit monsieur Nocaudie est sérieux », assure l’avocat de l’Afer en citant le passage de la résolution qui agace son client : « Il y a eu là un contournement inadmissible de la loi sur le financement des partis politiques », avec une mention de l’article 11-4 du Code électoral, qui interdit aux personnes morales (comme l’Afer) de faire des dons directs ou indirects aux partis politiques.
« Quand j’étais étudiant en droit, ce qui est un peu lointain, ajoute l’avocat de l’Afer, un dicton disait « je n’ai jamais déjeuné avec une personne morale »… « Oui je m’en souviens » confirme la présidente, avant que l’avocat n’ait achevé son effet de manche : « Je n’ai jamais déjeuné avec une personne morale, mais c’est elle qui a payé l’addition ».
« Quand on dit que quelqu’un a violé une disposition légale punie par une sanction pénale, il y a diffamation, reprend l’avocat de l’Afer. Pour un épargnant, il est difficile de confier son argent à quelqu’un qui commet un délit de ce type. Il s’agit de propos bien entendu faux, ai-je besoin de la préciser ? » poursuit Maître Pardo. Selon lui, les soupçons de SOS Principes Afer seraient donc diffamants pour l’Afer, d’autant que François Nocaudie ne saurait plaider la bonne foi qui « repose sur quatre éléments, rappelle l’avocat : la légitimité, la prudence, le sérieux et l’absence d’animosité personnelle ». Il évoque alors l’article de Mediapart écrit par Martine Orange. On y parle de Gérard Békerman. Il aurait déclaré que son supplément de charges de 70 000 euros par an était destiné à financer un parti politique, mais ce n’est pas un aveu direct, selon Maître Olivier Pardo, car il s’agit de propos rapportés à la journaliste par un tiers préférant rester anonyme qui bénéficie de la protection du secret des sources garanties par la loi.
« On nous accuse de tout, se plaint l’avocat de l’Afer. La vraie raison est qu’il y a un autre assureur qui voudrait avoir ces 45 milliards d’euros, et eux sont plutôt de son côté. On est dans la déstabilisation. Tout ce qu’on fait, c’est mauvais. Pour ces raisons nous demandons 20 000 euros de dommages et intérêts, 5 000 euros de remboursement des frais de justice et la publication du jugement ».
A 16h30, la parole est à la défense. « Je défends depuis quinze ans François Nocaudie et Bertrand Gaumé », explique d’emblée leur avocat, Maître Loïc Dusseau, pour replacer ce procès dans son contexte.
« Il y avait une belle idée consumériste dans les années 1970, selon les principes de départ de l’Afer dont François Nocaudie est un des plus anciens courtiers. Aujourd’hui l’Afer compte 720 000 adhérents pour 45 milliards d’encours. En augmentant les frais de gestion de 0,01% on récolte des millions d’euros. Gérard Athias c’est un peu le Crozemarie de l’assurance vie. Comme à l’ARC [ndlr Association de recherche contre le cancer] on s’est aperçu qu’il y avait une vaste corruption portant sur 150 millions d’euros actuels. Une belle fortune dont ont bénéficié Gérard Athias et André Le Saux, leurs proches et leurs héritiers, madame Le Saux, ses filles. Et on retrouve tout ce monde, Athias, Le Saux et Békerman, dans les cocktails du premier cercle.
On ne va pas refaire ce procès, même si on nous a poursuivi pendant dix ans. On a gagné [NDLR l’Afer a intenté et perdu 8 procès en 13 ans contre les révélations du fondateur de SOS Principes Afer]. François Nocaudie a passé tout ce temps pour défendre ces principes, pas pour l’argent, car il a perdu du temps et de l’argent. Mais pour les 300 000 victimes de l’Afer pour qui il a obtenu la reconnaissance de ces infractions au préjudice des adhérents et de l’Afer, qui elle-même n’était pas partie civile, et qui ne seront jamais indemnisés malgré la condamnation solidaire d’Abeille Vie devenue Aviva. Les dirigeants de l’Afer refusent depuis le départ d’aller chercher l’argent.
Voilà comment aujourd’hui, Gérard Békerman est payé 300 000 euros par an par Aviva à la tête d’une assemblée générale verrouillée. Dans ce contexte il vient nous poursuivre en diffamation, pas sur l’article incriminé, mais bien sur la résolution (…). Qu’il verse des dons aux partis politiques n’est pas illégal, et il n’est pas indiqué qu’il y ait une violation de la loi. Mais si la hausse de ses honoraires est faite pour cela, c’est un contournement, puisque la loi interdit aux personnes morales de financer les partis politiques. Qui l’a commis ? Le président Gérard Békerman. Au préjudice de qui ? De l’Afer et de ses adhérents. L’Afer n’est pas coupable, elle est victime. C’est pour ça que nous avons déposé une plainte pénale dans la foulée, le 8 juin 2012, avant même l’assemblée générale de l’Afer. Cette plainte ne vise pas l’Afer, car elle n’est coupable de rien, elle est victime d’abus de confiance et de trafic d’influence qui visent clairement Gérard Békerman et son conseil d’administration.
On vient de vous expliquer cette résolution. On ne demande pas la dissolution de l’Afer pour comportement illégal, mais la révocation de son président pour faute, dans l’infolettre du 23 mai 2012, pour financement de parti politique sous prétexte de lobbying au profit des épargnants. L’Afer n’est pas victime et n’est donc pas recevable en tant que partie civile. »
En résumé, l’avocat estime que le soupçon de contournement évoqué par SOS Principes Afer vise précisément Gérard Békerman en tant qu’individu, et non l’association qui serait victime des pratiques de son président. Gérard Békerman serait donc le seul à pouvoir s’estimer diffamé et à pouvoir se constituer partie civile dans cette plainte, ce qu’il n’a pas fait. On le comprend, vu le coût de ces procès sans issus qu’il est plus confortable de financer avec l’argent de l’Afer que de sa propre poche.
La présidente donne la parole à François Nocaudie qui s’avance à la barre pour plaider lui-même sa bonne foi, accoutumé à devoir s’expliquer devant un tribunal à chaque fois qu’il soulève un lièvre à l’Afer. « Je voudrais rappeler que l’augmentation du salaire du président, dans une association normale, c’est l’assemblée générale des adhérents qui devrait en décider et pas le conseil d’administration », explique-t-il comme si cette évidence légale pouvait s’imposer à l’Afer. « Je ne veux aucun mal à l’Afer, où j’ai une partie très importante de mes économies. Mais j’ai rêvé d’une Afer dont je défends encore les principes, et j’ai déchanté ».
« Délibéré le 22 mai », annonce la présidente avant de lever l’audience. Verdict : SOS Principes Afer, François Nocaudie et Bertrand Gaumé n’ont commis aucun délit de diffamation à l’encontre de l’Afer.
Dans son jugement du 22 mai 2015, la 17ème chambre correctionnelle du TGI de Paris déboute leurs accusateurs de cette plainte infondée : « L’Afer, en tant que personne morale, n’est pas mise en cause (…). Il y a lieu de déclarer la constitution de partie civile de l’Afer irrecevable ».
L’affaire est entendue, et la sagesse commanderait d’en rester là.
Mais quand l’Afer perd, sévère, l’Afer persévère…
Par ici : Quatre procès perdus par l’Afer, pas perdus pour tout le monde !
Merci à François Nocaudie de son énergie inlassable pour mener le bon combat. Je suis désolé d’apprendre qu’il y a laissé des plumes au plan financier. C’est le monde à l’envers ! Les honnêtes gens décaissent, les malfaisants encaissent. L’Afer n’est pas en cause, c’est Bekerman qui l’est. Merci à la justice de l’avoir confirmé. Bravo à SOS Principes Afer !