Une effervescence inhabituelle s’est emparée de Brazzaville, samedi 28 et dimanche 29 avril 2018 à l’occasion du premier sommet de la Commission du Bassin du Congo. L’accueil des onze chefs d’Etats africains venus participer a cette réunion était en soi un événement exceptionnel. En plus de son altesse Mohamed VI roi du Maroc, invité d’honneur, et du président du Congo Brazzaville, Denis Sassou N’Guesso, les participants incluaient les présidents Teodoro Obiang Nguema Mbazogo (Guinée équatoriale), Paul Kagamé (Rwanda), Ali Bongo Ondimba (Gabon), Alpha Condé (Guinée), Mahamadou Issoufou (Niger), Macky Sall (Sénégal), Faustin Touadera (Centrafrique), Evariste Carvalho (Sao Tomé-et-Principe) et Joao Lourenço (Angola).
Tandis que le défilé des présidents descendant de leurs avions occupait la chaîne de télévision nationale, Brazzaville était en liesse: cortèges de figurants avec banderoles d’accueil et sono saturée sous un soleil de plomb à la sortie de l’aéroport, rues bloquées et embouteillages en centre ville pour libérer les voies diplomatiques, noria de camions et d’équipages en transit à l’hôtel Pefaco Maya Maya, établissement cinq étoiles apprécié pour sa commodité et son service hors pair, dans un décor dépaysant, à 50 mètres de l’aéroport.
Au-delà du folklore côté rue, les présidents se sont réunis le dimanche au palais des congrès flambant neuf de Kintélé, aux portes de Brazzaville, pour le premier sommet de la Commission climat du Bassin du Congo et du Fonds Bleu pour le bassin du Congo, ou Blue Fund, un projet de coopération entre une dizaine d’états africains, leurs partenaires des pays industrialisés et les institutions internationales (Banque africaine de développement BAD…), pour promouvoir le développement durable et la préservation des millions d’hectares de forêt du bassin du Congo, second poumon vert de la planète.
Second poumon de la planète derrière l’Amazonie
Peu de gens le savent, mais avec 220 millions d’hectares de forêt, le bassin du Congo est le second réservoir d’oxygène au monde, derrière l’Amazonie. L’enjeu de sa préservation pour nous procurer un air respirable est donc aussi vital que le sauvetage de l’Amazonie. Il en va de la survie de l’humanité.
Rien qu’au Congo Brazzaville, on compte 22 millions d’hectares de forêt couvrant 65% du territoire, dont plus de la moitié sont encore préservés de toute exploitation humaine, en dehors des activités criminelles comme le braconnage d’espèces protégées (rapportant près de 20 milliards de dollars par an aux trafiquants au niveau mondial, selon la Convention internationale sur le commerce d’espèces sauvages menacées d’extinction).
Ayant germé dans le sillage de la COP 21 et des accords de Paris de 2015 pour lutter contre le réchauffement climatique, l’idée du Fonds Bleu est née lors de la COP 22 en 2016, à Marrakech, avant d’être officiellement lancée par le président Denis Sassou N’Guesso, lors d’une conférence le 9 mars 2017 à l’hôtel Pefaco d’Oyo, établissement d’un luxe inattendu, planté en pleine jungle sur les rives de la rivière Alima, un affluent du fleuve Congo.
L’objet du Fonds Bleu est de subventionner des projets de développement durable et d’exploitation raisonnée, pour aider les pays concernés à préserver l’incroyable diversité et l’écosystème du second poumon vert de la planète. Les douze pays signataires réunis autour de cette initiative en 2017 à Oyo (Angola, Burundi, Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale, République Centrafricaine, République du Congo-Brazzaville, République Démocratique du Congo-RDC Kinshasa, République Unie de Tanzanie, Tchad, Rwanda et Zambie) ont d’abord voulu alerter le monde de l’urgence à préserver leur forêt, étalée sur 4 millions de kilomètres carrés, soumise à la pression d’une population de 100 millions d’habitants, face aux menaces de dégradation et de déforestation galopante.
L’exploitation raisonnée de la forêt se développe
Beaucoup d’efforts sont déjà entreprise pour préserver les richesses naturelles et environnementales contre une exploitation abusive. Dans le domaine forestier par exemple, le Forest Stewardship Council (FSC, conseil de gérance des forêts) a été créé il y a vingt-cinq ans, en 1993, pour encourager une exploitation raisonnée des forêts tropicales, plus respectueuse sur le plan environnemental mais aussi social. Au Congo Brazzaville, par exemple, l’exploitation forestière est la seconde richesse du pays, derrière le pétrole, avec 5,6% du PIB. Sur les 10,6 millions d’hectares de forêt faisant l’objet d’exploitation forestière, soit à peine la moitié des 22 millions d’hectares de forêt du pays, 2,5 millions d’hectares, soit 23,5% des exploitations forestières, ont reçu le label FSC, notamment par l’Industrie Forestière de Ouesso (IFO), filiale du groupe allemand Interholco-Danzer. « Le Bois FSC est demandé sur le marché européen et, depuis la crise de 2009, les compagnies forestières certifiées FSC ont réussi à stabiliser leur marché vers l’UE malgré des conjonctures parfois difficiles », expliquait récemment le directeur du programme FSC du bassin du Congo, cité par BrazzaMag.com.
En dehors des exploitations forestières, la région du bassin du Congo compte 22,6 millions d’hectares de forêts protégées, soit 14% de la surface totale, selon la Commission des forêts d’Afrique centrale. Au Congo Brazzaville, on recense ainsi 13 aires protégées de préservation de la faune, couvrant 13% du territoire.
Mais le diable est dans le détail. Car la protection de la nature n’est pas toujours synonyme de développement pour les populations, comme en témoignent les habitants du parc naturel de Conkouati, sur la rive atlantique du Congo Brazzaville, au sud de sa frontière avec le Gabon. Des dizaines de villages ruraux abritent des milliers de personnes qui vivaient principalement de cultures vivrières, de chasse et de pêche jusqu’à ce qu’à la transformation de leur habitat en parc naturel, par un décret d’août 1999. Depuis, ils n’ont plus le droit de chasser et on leur tolère à peine de pêcher, pour préserver la faune, il est vrai luxuriante, entre les buffles sauvages et autres gibiers, les éléphants de forêt ou les chimpanzés, même s’ils se raréfient. Pour se nourrir, les paysans sont invités à compter davantage sur leurs cultures, mais comme ils ne chassent plus, les animaux ravagent leurs parcelles de manioc, les éléphants piétinant allègrement les clôtures électriques à énergie solaire. Bien sûr, la protection de la nature et le tourisme créent un peu d’activité. Le Parc de Conkouati emploie une quarantaine de personnes, dont une vingtaine d’éco-gardes forestiers. Les enfants de chasseurs se reconvertissent en guides, traquant la piste des animaux avec autant d’enthousiasme pour le plaisir des safaris photo. Mais au bout du compte, la préservation de la nature appauvrit plutôt les populations, qui ne sont déjà pas riches.
Les pays pauvres ont besoin d’argent pour préserver le climat
Même si certains jouissent d’une manne pétrolière appréciable, la plupart des pays de la région sont parmi les plus pauvres de la planète. La République du Congo Brazzaville s’inscrit ainsi au 145ème rang mondial avec un PIB inférieur à 2000 dollars par habitant (1850 en 2015), et un indice de développement humain (IDH) de 59,2% (143ème rang mondial). Mal préparé et pris à contre-pied par la rechute du pétrole de plus de 100 dollars le baril dans les années 2011 à 2014, à moins de 30 dollars au plus bas de février 20016, le Congo Brazzaville est ainsi entré dans l’initiative des pays pauvres très endettés (PPTE ou HIPC pour Heavily Indebted Poor Countries en anglais), un programme d’assistance du FMI.
Au programme du sommet de la Commission du Bassin du Congo, il était donc aussi question d’argent. « Le financement du Fonds Bleu pour le Bassin du Congo constitue le défi majeur de sa mise en œuvre, a déclaré le roi Mohamed VI du Maroc. Nous devons innover et créer des mécanismes qui identifieront et mobiliseront les ressources financières; il nous faut convaincre les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, publics ou privés ».
L’objectif serait de pouvoir disposer de 100 millions d’euros de financements annuels pour subventionner différents projets environnementaux ou liés à l’économie verte, mais également l’exploitation raisonnée de la forêt ou la pisciculture pour préserver l’écosystème côtier afin de réduire la dépendance de l’économie et des populations.
Car les pays bénis des dieux par cette nature luxuriante si précieuse pour l’avenir de l’humanité, sont malheureusement moins biens dotés sur le plan économique et manquent cruellement d’argent. C’est un euphémisme. Même si plusieurs possèdent des gisements de matières premières enviables (pétrole, phosphates, potasse et autres produits miniers), leur sensibilité aux fluctuations des marchés les rend vulnérables. Sans parler des faiblesses inhérentes à leur gouvernance socio-économique, comme la corruption. Ce fléau qui n’épargne aucun pays du monde, que ce soit les Etats-Unis, la France, le Brésil, la Russie ou la Chine, est particulièrement nocif pour l’économie africaine.
Sur l’ensemble du continent, la corruption aurait un coût annuel de 148 milliards de dollars, ce qui représenterait la moitié des recettes fiscales des pays d’Afrique, et le quart de leur PIB, selon une récente estimation de la fondation Mo Ibrahim, créée en 2006 par le milliardaire anglo-soudanais éponyme, et présentée au cours de l’Ibrahim Governance week-end organisé du 27 au 29 avril à Kigali (Rwanda), citée par Les Dépêches de Brazzaville.
Si la préservation du second poumon vert de la planète est une priorité, améliorer la déontologie financière serait aussi essentiel pour donner une chance à ces projets de développement durable d’aboutir à des progrès réellement durables.