Même les citoyens réputés les mieux armés pour se défendre ne sont pas toujours en mesure de comprendre et déjouer les petites mesquineries, clauses abusives et grandes tartufferies imaginées par les banques et intermédiaires financiers pour les flouer, comme le rappelle un récent arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne et un autre de la Cour d’appel de Versailles.
Quand leurs filoutages sont démasqués par des clients assez sophistiqués et bien entourés pour les débusquer, la première parade des banquiers malhonnêtes est de dénoncer la mauvaise foi de ces clients « qui savaient très bien ce qu’ils signaient » et ne se plaignent que pour faire payer à la pauvre banque leur propre irresponsabilité.
Heureusement les juges ne sont pas dupes et les tribunaux rejettent souvent cet argument lancé comme une bouteille à la mer par des avocats à court d’argument pour défendre les banques hors-la-loi.
Dans sa mission de protection « préventive » auprès du ministre de la Consommation et de l’Institut national de la consommation (INC), la commission des clauses abusives (CCA) épingle les clauses qui peuvent présenter un caractère abusif dans contrats et conditions générales de vente des prestataires de biens et services pour le grand public, mais elle entretient aussi un précieux recueil de jurisprudence de décisions de justice condamnant ces pratiques.
L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne* (CJUE, 03/09/15) signalé par la Commission des clauses abusives est à ce titre particulièrement intéressant, car il confirme l’illégalité d’une clause abusive glissée dans un contrat complexe au détriment d’un client avocat.
L’affaire est croustillante : en 2008 un avocat emprunte à titre personnel auprès de sa banque pour acheter un logement. La banque exige une caution pour garantir le remboursement du prêt immobilier. L’emprunteur propose que son cabinet d’avocat (dont il est propriétaire) se porte caution auprès de la banque pour garantir le remboursement du crédit. Jusqu’ici tout va bien, ce type de montage est pratiqué couramment dans le monde des professions libérales et commerçants.
Mais l’avocat découvre plus tard que la banque l’a arnaqué en insérant discrètement dans son contrat une clause entraînant le paiement d’une « commission pour risque » qui plombe le coût de son crédit et qu’il estime abusive. En mai 2013, cinq ans après la souscription de son crédit, il saisit la justice pour faire constater le caractère abusif de cette clause, obtenir son annulation et le remboursement des « commissions pour risques » indûment prélevées par sa banque en application de cette clause.
Quand deux hommes d’affaires se font des coups-bas dans la rédaction de leurs contrats, le législateur considère que c’est un peu leur problème, tant qu’ils respectent les lois et les codes en vigueur. Mais pour les particuliers, c’est différent, car ils sont en position de faiblesse vis-à-vis des professionnels qui ont des moyens et un pouvoir économique plus important pour leur imposer des conditions défavorables par des clauses abusives détournant ou contournant les lois de protection des consommateurs.
Dans un litige comme celui-ci, le point clé était donc de savoir si l’avocat était un professionnel averti, comme le clamait la banque pour continuer à le plumer, ou un particulier floué, comme la Cour de justice de l’Union européenne l’a finalement jugé quand l’affaire a été portée devant elle par le tribunal saisi par l’avocat.
Selon ses termes, la CJUE a en effet confirmé que « L’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’une personne physique exerçant la profession d’avocat, qui conclut un contrat de crédit avec une banque, sans que le but du crédit soit précisé dans ce contrat, peut être considérée comme un «consommateur», au sens de cette disposition, lorsque ledit contrat n’est pas lié à l’activité professionnelle de cet avocat. La circonstance que la créance née du même contrat est garantie par un cautionnement hypothécaire contracté par cette personne en qualité de représentant de son cabinet d’avocat et portant sur des biens destinés à l’exercice de l’activité professionnelle de ladite personne, tels qu’un immeuble appartenant à ce cabinet, n’est pas pertinente à cet égard ».
En clair, ce n’est pas parce que l’on est avocat, médecin, ou même expert comptable, que l’on est à l’abri d’une filouterie de sa banque. De même, les banques ne peuvent pas se retrancher derrière le prétendu « professionnalisme » de leurs clients pour leur faire avaler toutes les filouteries imaginables sans s’exposer à une remise en cause de ses clauses abusives par la justice, au plus haut niveau de la hiérarchie judiciaire européen.
Pour en savoir plus, lisez ici l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne* (CJUE, 03/09/15)