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(Tout le procès Pérol ici) Pérol22. Mardi 30 juin 2015, audience du procès de François Pérol consacrée aux plaidoiries des parties civiles. Deuxième partie de l’intervention de Maître Jérôme Karsenti, avocat des salariés représentant le syndicat CGT.

L'écureuil s'affiche. (photo © GPouzin)

L’écureuil s’affiche. (photo © GPouzin)

Monsieur Pérol a-t-il donné un avis au regard de cinq points: le montant de l’aide, la loi, le délai, la fusion et la gouvernance du groupe BPCE ?

Monsieur Pérol fait une fourchette pour dire « si vous ne démontrez pas que j’ai tout fait, alors je n’ai rien fait ». Je ne dis pas ça. Bien sûr, il y a eu la Banque de France, et Christian Noyer, qui est venu témoigner d’une partie de la vérité. Mais nous dire que Monsieur Pérol n’est rien, c’est faux.

Seconde branche de la fourchette, on nous dit « finalement Pérol n’a pas de responsabilité politique, pas d’équipe, pas de moyens technique ». Il n’est pas compétent. Il n’a pas non plus de pouvoir politique, dit-il, pas de pouvoir de signature, ni celui de représenter l’Etat. Guéant dit « nous ne somme que des courroies de transmission un peu améliorées ».

On ne peut pas comprendre si on n’a pas étudié le rôle du secrétaire général adjoint de l’Elysée et le fonctionnement du pouvoir politique sous la 5ème République. C’est vrai qu’aucun texte ne définit le rôle du secrétaire général adjoint de l’Elysée, ce qui oblige à se rapporter à la doctrine et l’observation politique. Si une chose est constante dans cette analyse, c’est que le secrétaire général de l’Elysée est l’homme puissant dans l’ombre du président. Guéant est le deuxième homme le plus puissant de France, Pérol le troisième. C’est bien compréhensible, on ne va pas prendre un homme de cet acabit uniquement pour transmettre des informations et rédiger des notes.

Le président de la République est aujourd’hui au cœur du pouvoir politique. Dans un fonctionnement normal, le premier ministre reçoit ses ministres, quand il n’est pas là on le court-circuite. Le premier ministre est son premier collaborateur. Stéphane Richard le dit: « il est notoire que sous la présidence de Sarkozy, le pouvoir est centralisé à l’Elysée ».

« on a juste un problème de salle, car une autre audience se tient ici à 13h30… », glisse discrètement le juge pour inviter poliment le plaideur à accélérer.

– J’avais prévu d’aborder le problème du projet de fusion avant la crise, puis jusqu’à la démission de Milhaud mais je vais resserrer, obtempère l’avocat en fouillant ses notes du regard pour adapter son plan aux contraintes horaires.

Il y a eu 13 réunions du 23 mai 2007 au 1er juillet 2008, dont 7 avec Sureau qui n’était pas un simple solliciteur, il est pour la démutualisation depuis 2002. Il dit que François Pérol est « bien disposé pour favoriser une opération stratégique comportant démutualisation ». Il dit encore: « S’il faut, pour cette opération stratégique, une modification législative, l’Etat y sera favorable ». Le rôle de François Pérol va changer entre juillet 2008 et la démission de Charles Milhaud. Il faut distinguer deux choses qui ont tendance à être confondues par la rhétorique de la défense. On a la faillite de Lehman (NDLR la banque américaine Lehman, insolvable comme ses concurrentes, fait faillite le 15 septembre 2008), puis l’aide aux banques.

Mais début octobre 2008, le problème spécifique à BPCE, c’est la perte de trading qui touche directement la CNCE. C’est le moment de bascule. L’Elysée n’est plus à l’extérieur mais devient un intervenant du dossier, car il y a un risque systémique et il faut trouver une solution. Oui, il y a le discours de Toulon, le sommet de la zone euro, la loi de sauvetage des banques. Tout ça est vrai, mais ne signifie pas qu’il n’y a pas aussi un problème spécifique à BPCE. Là, s’opère une transformation du rôle que l’Elysée veut jouer en s’en emparant directement, le 1er, 4 et 6 octobre. Dupont et Milhaud rencontrent François Pérol. C’est le 6 octobre qu’on a la première note de Pérol sur ce thème: discussion d’un projet de fusion, où il dit « j’en ai parlé avec Christian Noyer qui pense que la fusion est une bonne chose ».

Cette note ne dit pas tout, elle fonctionne par ellipse. La perte est connue : « ce qui s’est passé mérite une sanction », dit-on avant le 17 octobre, date de l’annonce officielle des pertes de trading. On le sait depuis au moins le 9 octobre, et probablement avant. Le 19 octobre intervient la démission de Milhaud, et le 20 s’ouvre la négociation du projet Sequana portant sur cette fusion. Du 1er au 20 octobre 2008, on assiste à une prise de contrôle des opérations par l’Elysée avec l’omniprésence de François Pérol. On ne peut pas soutenir qu’il n’a à aucun moment donné d’avis sur la fusion et la démission, puisqu’elles sont concomitantes à l’annonce des pertes. Le 20 octobre on a la nomination de Lemaire et Mérindol, qui rencontrent Pérol dès le 24 octobre. On n’a pas beaucoup d’éléments matériels, mais de nombreux témoignages sur l’esprit de ces réunions.

A partir du 24 octobre intervient un nouveau tournant. D’abord avec la crise, Sarkozy veut les rencontrer le 30 octobre, c’est avancé au 27, on note que le ton change: « il faut aller le plus vite possible, il faut nettoyer les comptes, le rapprochement passe par une décision législative, nous devons définir avec eux les règles de gouvernance des deux groupes ». La réflexion de Pérol pousse Sarkozy. Guéant annote : « Milhaud doit rester. Banquy ferait un bon membre du directoire ». Quelle est cette intervention politique sur les nominations dans une banque ? C’est à ce moment que Dupont est pressenti.

Les réunions des 13 et 26 janvier sont aussi importantes. Celle du 13 janvier, dont Mr Pérol a parlé hier, et au sujet de laquelle Comolet dit « les Caisses d’épargne vont sauter », est à rapprocher de la première note de Guéant quand on lui annonce la perte de trading et qu’il dit qu’on « ne peut pas rester sans sanctions ». Avec la note de janvier, sur les pertes du portefeuille et le risque systémique majeur, il y a donc urgence, bien sûr, à fusionner et nommer un président, sinon on va à la catastrophe, d’où la réunion qui fixe l’impossible nomination de Dupont. Le 26 janvier, on sait que ce ne sera pas Dupont, car il y a le problème Natixis, il est patron de Natixis et les Caisses d’épargne n’en veulent pas. Dès fin janvier, Lemaire et Comolet savaient par Ricol que le dirigeant viendrait de l’extérieur et serait Stéphane Richard ou François Pérol. Fouquet est surpris quand il est contacté car dès le mois de janvier on lui avait dit que ce serait un inspecteur des finances travaillant au ministère des finances.

Entre le 10 et 21 février, une suite de dates et de rendez-vous arrête la recapitalisation à 5 milliards d’euros. Vous avez rappelé, Monsieur le président, que les 16 et 17 février étaient des journées banalisées sur l’agenda du président de la République, c’est probablement là que son nom est acté. Claude Guéant nous dira, « le nom de Pérol a été donné par Sarkozy ». Il ne sait pas d’où ça vient et n’est pas sûr que Pérol lui ait soufflé. Monsieur Pérol est proposé par Sarkozy pour être président de BPCE. Pérol nous dira « j’accepte ». On a les réunions des 19 et 21 février : ce qui est sûr, c’est que Comolet et Lemaire disent « on n’avait pas notre mot à dire ». A ce moment-là, on va dire à ces dirigeants: « c’est comme ça, on vous donne 5 milliards si vous fusionnez dans des conditions convenables et que Monsieur Pérol prend la direction ».

Parmi les cinq points vous avez la gouvernance. Pérol est proposé par Sarkozy, il accepte, il est nommé. Si ce n’est pas participer à la décision, d’accepter d’être nommé président d’une banque dont on a piloté la fusion ? Tout est ficelé par l’Etat.

On nous dit « si les dirigeants avaient choisi quelqu’un d’autre ils auraient conservé leur pouvoir mais ils n’ont rien proposé donc la parole de l’Elysée s’est imposée ». Et quand Pérol donne son accord sur sa nomination, si ce n’est pas une prise illégale d’intérêt, il n’y en a pas dans ce dossier.

Il n’est pas la compétence de l’Elysée de nommer les présidents de banques. L’article du Code pénal ne nous dit pas que l’autorité doit avoir un pouvoir réel. Il participe à sa nomination, il est nommé, il est bien évidemment coupable.

Il y avait une conditionnalité aux 5 milliards d’aide, qui était la fusion. Noyer le dit : « bien évidemment c’est un choix politique, nous, on calcule et on valide ».

On est venu soumettre à Pérol les conditions contractuelles de la fusion pour recevoir des aides. On nous dit que ce n’est pas recevable. Et on nous demande d’être des banquiers exemplaires, nous, salariés ! Comment ne pas être indigné par les conditions de nomination de monsieur Pérol ? Nous demandons symboliquement un euro de dommages et intérêt par Caisse d’épargne, et le remboursement des frais de procédures par chaque Caisse d’épargne, au titre de l’article 475-1. Quelle que soit la décision que prendra le tribunal, ce procès gardera un caractère exemplaire car il a permis d’aborder des questions qui ne sont en général pas soumises à la justice.

Après cette plaidoirie très approfondie, de près d’une heure trente, il est 11h10 et le juge accorde une brève suspension d’audience.

(Tout le procès Pérol ici)

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