Pour bien décider il faut bien mesurer. Alors que les chiffres sont au cœur de tous les débats de société, la CFTC participe, au sein du Conseil national de l’information statistique (Cnis), à l’amélioration de la pertinence des données publiées et de leur utilisation.
Bien compter a toujours été une clé pour organiser la vie en collectivité. Le recensement est par exemple un acte fondateur de la société occidentale, comme probablement d’autres cultures. Dans le désert du Sinaï, l’Eternel dit à Moïse : « Faites le dénombrement de toute l’assemblée des Israélites en fonction de leur clan », lit-on en introduction du Livre des Nombres, quatrième écrit de la Bible au titre sans équivoque, attribué à Moïse. Base de l’organisation démographique (agraire, militaire ou urbaine), le recensement est aussi un préalable au calcul, à la collecte et à l’utilisation des impôts, ciment de la vie collective. Quelques pages plus loin, l’Ancien Testament décrit ainsi les « Fonctions et revenus des prêtres et des Lévites » qui, pour leurs services à la collectivité recevront, « les dîmes que les Israélites présenteront à l’Eternel à titre de prélèvement ». Depuis au moins 3500 ans, les statistiques sont au coeur de nos sociétés.
Trente-cinq siècles plus tard, notre existence moderne semble ne plus pouvoir se passer de statistiques. Les chiffres guident la plupart des décisions collectives, et bien des choix individuels. Inflation, production et consommation, emploi, revenus et patrimoine, endettement et construction, croissance et compétitivité, natalité, espérance de vie, cotisations et allocations, recettes et déficits, fiscalité… Pour bien décider, il faut d’abord bien mesurer.
Mais comment bien mesurer ? Que veut-on compter et pourquoi ? Avec quelle méthode ? La plus rapide ou la plus fiable ? Et comment lire les résultats ? Que veulent dire ces chiffres ? Que veut-on en faire ? Et comment mesurer l’efficacité des décisions qui seront prises sur la base de ces chiffres par rapport aux objectifs recherchés ? L’exercice est infini.
Les statistiques sont bien sûr une affaire de statisticiens. La rigueur de leurs calculs complexes requiert l’approche scientifique des experts de cette discipline, à la frontière des mathématiques et des sciences sociales. Mais les statistiques sont aussi l’affaire de tous les citoyens, car elles supposent des choix de société pour leur calcul, et en influenceront d’autres lors de leur utilisation.
Il n’existe en effet aucune mesure statistique universelle s’imposant comme une règle arithmétique. Chaque statistique repose sur une convention, c’est-à-dire un langage commun correspondant au sens que le grand public attribue à une notion, et donc à sa mesure. A quelle notion correspond par exemple le chiffre de la population mesuré par le recensement ? Comment compter les étudiants ou les militaires qui vivent une partie de leur temps dans une ville et une autre à leur domicile familial ? Sur quel critère décide-t-on d’inclure ou d’exclure certains individus au moment du comptage de la population d’un pays, comme les étrangers de passage et les ressortissants nationaux sortis du territoire, selon la durée de leur séjour ? Quelles mesures définissent un actif, un retraité, un chômeur ?
Ces questions n’ont pas de réponse statistique, elles relèvent de choix de sociétés qui doivent être pris en compte par les statisticiens dans leur travail. Par exemple, les critères retenus pour calculer la population par rapport aux allées et venues des individus font l’objet de discussions harmonisées au plan international, comme c’est le cas pour de nombreux autres agrégats, afin que chaque pays calcule sa population, sa production, son inflation et bien d’autres chiffres d’une manière à peu près comparable.
Historiquement, les statistiques ayant d’abord été un instrument du pouvoir pour organiser la société, l’outil statistique public s’est naturellement imposé comme le producteur de données le plus important et le plus fiable dans tous les domaines, au moins en France. Ce n’est pas le cas dans tous les pays, comme des exemples récents l’ont rappelé, qu’il s’agisse de la manipulation de ses statistiques budgétaires par la Grèce ou de croissance et d’inflation en Argentine.
Suite : Quel organisme veille à la fiabilité et l’indépendance des statistiques ?