Quelle réforme pour nos retraites ? Alors que le gouvernement engage prudemment la grande réforme promise au programme d’Emmanuel Macron il y a un an, les étincelles déclenchées par la remise en cause du régime de la SNCF rappellent à quel point la question reste explosive. Comme les cheminots, trois quarts des citoyens s’inquiètent pour leurs vieux jours : 74% des Français pensent que leur retraite n’est ou ne sera pas suffisante pour vivre correctement, selon une étude du Cecop pour le Cercle de l’Epargne et Amphitea.
Des retraites inquiétantes
La baisse de revenus lors du départ en retraite nourrit une inquiétude croissante, surtout depuis le relèvement de 1,2% du taux de CSG qui a amputé les revenus nets des retraités depuis début 2018 : 61% des retraités pensent que leur pension de retraite est insuffisante pour vivre correctement, soit 22% de plus que début 2017. La fiscalité des retraites s’est certes rapprochée de celle des salaires, mais les pensions elles-mêmes n’ont pas baissé. Les 16 millions de bénéficiaires directs de tous les régimes de retraite français percevaient près de 1380 euros de retraite par mois en moyenne, en 2015, selon la dernière étude de la DREES, et même près de 1450 euros par mois pour les seuls résidents français. Par comparaison, le salaire médian des actifs est plus proche de 1800 euros par mois. Résultat, 69% des Français pensent que le niveau de vie des retraités est inférieur à celui des actifs, y compris deux tiers des retraités eux-mêmes, pourtant bien placés pour savoir ce qu’il en est réellement. Or ce n’est plus vrai.
Pourtant pas si mauvaises
Dans les années 1970, le niveau de vie des retraités était inférieur d’environ 30% à celui de l’ensemble de la population, et donc des actifs, mais il l’a rattrapé au milieu des années 1990 pour le dépasser ces dernières années, selon le Conseil supérieur des retraites (CSR). « Les Français raisonnent sur la base de leur forte baisse de revenu au moment de la retraite », explique Jérôme Jaffré, directeur du Centre d’études et de connaissances sur l’opinion publique (Cecop). Le niveau de vie est une notion différente du revenu, qui mesure les moyens dont dispose chaque personne au sein du foyer, c’est-à-dire « le revenu disponible du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation », selon la définition internationale. De ce point de vue, les retraités ont officiellement moins de personnes à charge, leurs enfants ayant généralement quitté le nid familial, même s’ils les soutiennent parfois encore. En moyenne, la pension des retraités est inférieure d’un tiers au revenu des actifs, note le CSR, mais l’écart s’est réduit, car depuis dix ans, les actifs ont plus souffert de la crise de 2008 que les retraités. Résultat, le niveau de vie individuel des retraités est, en moyenne, supérieur de 6% à celui des autres. « La construction de notre système de retraite est un succès », observe André Renaudin, directeur général d’AG2R La Mondiale
Certes, disposer de moyens supérieurs n’est pas forcément une consolation face à la flambée des coûts liés à l’âge, qu’il s’agisse des soins, des assurances complémentaires santé ou de la dépendance (hospitalisation, aides à domicile, etc.). Il faut dire qu’en vingt ans, les personnes ayant atteint 60 ans ont gagné en moyenne plus de trois ans d’espérance de vie, à 87,6 ans en 2015 pour les femmes (contre 84,9 ans en 1995) et 83,2 ans pour les hommes (contre 79,7 en 1995). Si les pensions ne compensent pas les affres de l’âge, elles protègent tout de même mieux et plus longtemps qu’avant.
Mais un système injuste
Au-delà des craintes pour leur retraite, sept Français sur dix estiment que notre système de retraite est injuste et inefficace. « Le formidable progrès consistant à verser une retraite à chacun depuis la seconde partie du XXème siècle n’est plus perçu comme tel », commente Jérôme Jaffré.
Il est vrai que les pensions reproduisent ou prolongent un certain nombre d’injustices observées dans la société et la population active en général. En particulier concernant la retraite des femmes, dont les pensions de droit direct restent, en moyenne, inférieures de 39,2% à celles des hommes (lire p.XX).
En revanche, certaines inégalités entre régimes de retraite sont moins criantes qu’on le croit. En tenant compte des départs anticipés pour carrières longues ou pénibilité, l’âge de départ moyen observé en 2014 était de 62,3 ans pour les salariés du régime général, 62,8 ans pour les fonctionnaires des collectivités locales (régime CNRACL) et 62,1 ans pour ceux de la fonction publique d’Etat (administrations centrales, etc.). Seules les catégories actives de la fonction publique, comme les militaires, avaient liquidé leur pension à 58 ans en moyenne.
Des régimes complexes peu comparables
Le sentiment d’injustice est surtout nourri par la complexité et la diversité des règles du jeu. On recense plus de 35 régimes de retraite obligatoires différents en France, versant plus de 312 milliards de pensions par an à 16 millions de bénéficiaires. Mais ils jouent des rôles différents, certains ne versant qu’une retraite de base, comme la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) du régime général des salariés, ou seulement des retraites complémentaires, comme les caisses Agirc-Arrco des salariés, ou encore une pension de base et complémentaire unique, comme le régime de la Fonction publique d’Etat (FPE).
Et les règles varient selon les régimes. Pour une carrière complète, la Cnav verse une pension équivalente à 50% du salaire moyen des vingt-cinq meilleures années, plafonnée à 1 655 euros par mois, tandis que les caisses Agirc-Arrco versent une pension selon le nombre de points acquis, proportionnel aux salaires. Quant au régime des fonctionnaires, il verse une pension équivalente à 75% du traitement brut de leur dernière année, hors primes, dépassant en moyenne 2000 euros par mois. Mais gare aux effets d’optique.
Si les pensions des fonctionnaires d’Etat sont en moyennes supérieures à celles des salariés du privé, c’est surtout parce qu’ils comptent plus de personnels qualifiés, selon le CSR. Car à compétences et revenus comparables, le régime des fonctionnaires n’est pas la panacée. Plutôt que de changer le taux ou la référence de calcul pour endiguer la flambée du coût des retraites, « le régime de la fonction publique a réglé une partie du problème en basculant les augmentations sur les primes plus que sur les salaires, si bien que les conditions de retraite se sont plus dégradées que dans le privé », expliquait Didier Blanchet, démographe et expert à l’Insee, lors du dernier colloque de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP). En comparant le régime des fonctionnaires à celui des salariés du privé pour un même profil de carrière d’un fonctionnaire de catégorie B, on obtient un taux de replacement par rapport aux derniers salaires, primes inclues, « de 73% avec les taux de cotisation moyens de l’Arrco, contre 68% selon les règles de la fonction publique », note le Conseil supérieur des retraites. Pour améliorer le taux de remplacement de la pension des fonctionnaires, l’Etat a même créé en 2005 le Régime additionnel de la fonction publique (RAFP), un des deux seuls régimes de retraite par capitalisation obligatoire en France, avec la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP). « Même les salariés des entreprises publiques sont favorables à une certaine harmonisation, ce qui montre bien que tout le monde a l’impression que son voisin a une meilleure retraite que la sienne », résume Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Epargne.
Surtout pas tenable
S’il procure des pensions plutôt correctes et assez équitables malgré les soupçons liés à sa complexité, notre système de retraite est surtout vulnérabilisé par le déséquilibre croissant entre les cotisations et les pensions à verser aux retraités, toujours plus nombreux. En quarante ans, de 1975 à 2015, la population de retraités en France a été multipliée par 3,5, passant de 4 à 14 millions de résidents français, tandis que la population des actifs cotisants n’augmentait que de 38%, de 13 à 18 millions de résidents. Le rapport démographique a ainsi chuté de 3,1 à seulement 1,3 cotisant pour 1 retraité. Résultat, les déficits se creusent. Les régimes spéciaux et des fonctionnaires ont versé 82,6 milliards d’euros de pensions en 2016 alors qu’ils n’encaissaient que 41 milliards de cotisations, la différence étant prise en charge par le budget de l’Etat, qui a versé plus de 7,6 milliards d’euros de subventions d’équilibre aux régimes spéciaux, notamment de la SNCF, RATP, ou de l’ex-manufacture des tabacs Seita. Les déficits cumulés de la Cnav et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV, qui verse le minimum vieillesse) expliquent de leur côté une large part des 260 milliards de dettes accumulées par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), même si plus de la moitié a pu être remboursée grâce à une partie de la Contribution sociale généralisée (CSG) et de la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) créées à cet effet.
Des efforts récents encore insuffisants
Pour faire face au choc démographique du vieillissement de la population, les régimes de retraite français sont en réforme permanente depuis un quart de siècle. Or, il n’y a guère que trois leviers pour équilibrer un régime de retraite : le niveau des cotisations, le niveau des pensions, et le curseur entre durée d’activité et durée de retraite.
La parenthèse de la retraite à 60 ans voulue par François Mitterrand a coûté cher et la réforme Balladur rétropédale dès 1993, réduisant la retraite de base d’environ un quart en la calculant sur les 25 meilleures années (nés à partir de 1948) au lieu des dix meilleures (nés avant 1934). La réforme Fillon de 2010 a aussi tenté d’instaurer une nouvelle règle pour endiguer les déficits : partager les gains d’espérance de vie entre deux tiers de vie active et un tiers de retraite. Les réformes successives de l’Agirc-Arrco ont accompagné le mouvement.
En six ans, de 2008 à 2016, l’âge de départ a augmenté d’un peu moins d’un trimestre par an, mais le durcissement est très net par génération : seules 34% des personnes nées en 1951 étaient en retraite à 61 ans en 2016, alors que 73% des personnes de 61 ans étaient en retraite quatre ans plus tôt, en 2012.
Aujourd’hui, l’âge minimum de départ en retraite à taux plein est de 62 ans, mais peu de gens peuvent y prétendre vu l’allongement des carrières requises pour en bénéficier. La génération née en 1973 devra valider 43 ans de cotisation pour une retraite à taux plein, contre 41,5 ans pour ceux atteignant 62 ans cette année (nés en 1956).
Côté recettes, on ne peut plus augmenter les taux de cotisations car, « à compter de 2019, sous l’effet des augmentations déjà actées, le taux de cotisation légal sous le plafond de la sécurité sociale sera, à législation constante, de 27,6% du salaire brut, ce qui est proche du seuil de 28% », rappelle le CSR.
Les dernières réformes s’attaquent donc au pouvoir d’achat des pensions. La réforme de l’Agirc-Arrco de 2013 a désindexé leur revalorisation, dorénavant inférieure de 1 point à l’inflation. Celles de 2015 et 2017 vont plus loin, en amputant de 10% les trois premières années de pensions (lire p.XX). Cette tendance pourrait se poursuivre. Si l’on en croit les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR), le niveau de vie des retraités devrait redevenir inférieur à celui des actifs de 5 à 20% d’ici une cinquantaine d’années.
Quelle réforme pour nos retraites ?
La promesse d’Emmanuel Macron d’harmoniser les règles du système de retraite français n’empêchera probablement pas un nouveau durcissement de ses paramètres (cotisations, durée, pensions), mais il a vu juste sur un point : 53% des Français souhaitent un régime unique de retraite qui fusionnerait tous les systèmes existants et fonctionnerait avec une caisse unique, selon le sondage du Cecop pour le Cercle de l’Epargne. En pratique, le défi est énorme.
Un schéma consisterait à fusionner les régimes spéciaux avec le régime de base de la Cnav et celui de la Mutuelle sociale agricole (MSA). Une autre scénario rapprocherait le régime de base de l’Agirc-Arrco. Un troisième pourrait être de créer un nouveau système unique pour toutes les nouvelles cotisations en bloquant le calcul des droits acquis dans l’ancien système. Mais qui paierait ?
« La période actuelle est propice à une réflexion approfondie sur le devenir du Fonds de réserve pour les retraites », note pudiquement le CSR. A l’horizon 2024, le FRR devrait avoir encore 19 milliards de réserves fin 2019, tandis que les réserves des régimes par répartition les plus prévoyants approchent 120 milliards. Entre 2009 et 2014, les régimes Agirc-Arrco ont puisé 35 milliards d’euros dans leurs réserves pour combler le déficit de cotisations afin d’honorer les pensions. Grâce à une conjoncture boursière porteuse, et à l’optimisation de la trésorerie entre la collecte des cotisations et le paiement des pensions, les réserves ont cependant été reconstituées, à près de 60 milliards fin 2017. « L’idée du régime paritaire est qu’il interdit les déficits structurels pour ne pas laisser des dettes à nos petits-enfants », résume Jean-Louis Deroussen, chef de file des administrateurs CFTC à l’Agirc-Arrco. Après avoir tiré le signal d’alarme fin 2014 sur sa dérive, la Cour des comptes a d’ailleurs reconnu sa pertinence. « L’Agirc-Arrco a relativement bien réussi à faire fonctionner un régime par répartition, acceptant des déficits conjoncturels mais s’équilibrant sur une logique de moyen terme », expliquait Antoine Durrleman, président de la 6ème chambre de la Cour des comptes, après l’accord d’octobre 2015. Garantir l’équité et l’équilibre de notre système de retraite par répartition reste un défi colossal.