English version here. Deuxième partie de l’audience du 18 novembre 2013 devant la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Paris qui examine, en marge de la débâcle de Vivendi, les conditions d’exercice des stock options d’Edgar Bronfman, l’ex-patron de Seagram, après sa démission. (Tout le feuilleton ici)

Edgar Bronfman était entendu dans le cadre du procès en appel de l'affaire Vivendi, en novembre 2013. (photo © GPouzin)

Edgar Bronfman était entendu dans le cadre du procès en appel de l’affaire Vivendi, en novembre 2013. (photo © GPouzin)

Interrogé par la présidente de la Cour, Mireille Filippini, l’ex-patron de Seagram explique les circonstances qui l’ont amené à vendre ses stock options dans les premiers jours de janvier 2002, sans réaliser que Vivendi s’apprêtait discrètement à inonder le marché en larguant des dizaines de millions d’actions du jour au lendemain, au lieu de les annuler comme initialement promis aux actionnaires. Retour sur le conseil d’administration du 14 décembre 2001.

–         Le conseil a pris acte de ma démission puis a commencé la description de la transaction sur USA Net, poursuit Edgar Bronfman. Je voulais décrire, « madame president » (NDLR en français), à quel point l’opération était complexe à comprendre et comment le conseil était absorbé par sa compréhension. Ce n’était pas un deal classique entre deux sociétés mais une fusion inhabituelle et complexe entre plusieurs sociétés.

–         Ce n’est pas si compliqué que ça, interrompt la présidente. Vous êtes un homme d’affaires. Je ne le suis pas et j’ai compris en lisant le compte rendu, ce n’est pas si compliqué.

–         Le deal EchoStar n’était pas complexe ? reprend Edgar Bronfman presque interloqué.

–         Vous n’allez pas me dire que nous n’y compreniez rien, insiste la magistrate.

–         Cela n’a jamais été mon témoignage, modère Edgar Bronfman, comme pour défendre l’intégrité de ses déclarations sans contrarier la magistrate avec son souci de précision. Mais ce deal impliquait cinq sociétés différentes en plus de Vivendi Universal : USA Networ, EchoStar, Liberty Media, Mr Diller le propriétaire de Liberty Media avec qui il y avait une transaction à part, et Lagardère. La seule raison pour laquelle je veux expliquer cela est que la réunion a été ajournée à huit heures du soir et aucun financement n’a été prévu par la vente des actions d’autocontrôle, ni dans le procès verbal des discussions. Quand Mr Dubos (NDLR le secrétaire général de Vivendi) sera interrogé sur la cession de ces actions il dira que c’était très hypothétique.

–         L’étude de Standard and Poor’s dit qu’il n’y aura pas de réduction de la notation financière BBB si Vivendi Universa rachète EchoStar et USA Network mais qu’il faut vendre le bloc d’autocontrôle avant la fin du premier trimestre 2002, explore la présidente. L’acquisition était quand même liée à la notation qui était liée à la vente de l’autocontrôle. Et tant Messier qu’Hannezo disent que vous étiez au courant, et en détail. Je cite les auteurs. Mr Messier déclare « mon souvenir est que Mr Hannezo a indiqué comme il est normal et comme Mr Bronfman le sait forcément, ayant été directeur général de sociétés cotées, il y a un dialogue permanent avec les agences de notation, et que le désendettement était la priorité du premier semestre 2002 ». Mr Espalioux se rappelle de cette information selon laquelle il pouvait être envisagé une cession d’autocontrôleµ. Lescure aussi. D’autres disent qu’ils n’ont pas entendu. Peut-être que vous dormiez dans ce conseil d’administration, ironise la présidente. Ou au moins que vous aviez une minute ou deux d’inattention, corrige-t-elle comme pou rectifier l’excès de sa caricature.

–         « Madame President », reprend Edgar Bronfman avec une déférence non feinte. J’aurais aimé avoir dormi à cette réunion et à d’autres, mais je ne l’ai pas fait. Avant tout, je n’ai jamais dit que cela n’avait pas été mentionné, ni dit que je n’avais aucun souvenir qu’il y avait eu une discussion sur la vente des actions d’autocontrôle. Six des huit administrateurs interrogés partageaient mon souvenir. Mr Espalioux affirme qu’il y a eu une approbation silencieuse, ce qui n’existe pas dans un conseil d’administration. Il n’y a pas de silence approbateur. Même Lescure dit qu’il est très surpris par cette annonce le 7 janvier et demande si cela faisait partie du financement. Je n’ai jamais déclaré ne pas avoir reçu ces documents, seulement que je ne me souvenais pas avoir été au comité exécutif, mais je n’ai pas affirmé que je n’y étais pas car je ne m’en souviens pas bien. Mais ce que je dis est que d’autres personnes qui assistaient à ce conseil d’administration ne se souviennent pas de cette discussion. Mr Lescure va jusqu’à dire « jamais aucune urgence ou détresse financière n’était décrite aux réunions ». Sept des neuf administrateurs, moi inclus, disent qu’ils ne se souviennent pas de cette discussion et le témoignage de Lescure se souvient d’une vente d’actions à 60 € mais il ne se souvient pas que cela faisait partie du financement. Si personne ne se souvient de cette discussion sur la vente des actions d’autocontrôle c’est simplement parce qu’elle n’était pas l’attention du conseil, ce n’était pas ce sur quoi il devait se prononcer et il n’avait pas à se prononcer sur cette vente d’actions.

–         L’autorisation avait déjà été donnée par l’assemblée générale des actionnaires, confirme la présidente.

–         Je suis d’accord, approuve Edgar Bronfman, néanmoins, après ou avant cette opération, je n’ai jamais vu une société effectuer une opération de plusieurs milliards sans consultation et demande d’approbation du conseil. J’essaye de distinguer le droit légal et ce qui, au moins pour moi, est une pratique culturelle normale cohérente avec la bonne gouvernance d’entreprise que j’ai toujours connue. Vous avez raison, Mr Messier avait le droit de vendre ces actions, simplement il n’est jamais arrivé qu’une transaction de plus d’un milliard, même si elle est autorisée par le président ou l’assemblée, ait lieu sans approbation du conseil.

–         Quand Vivendi Universal avait racheté ses actions en septembre octobre sans demander au conseil d’administration, vous n’aviez pas été choqué à l’époque, observe la présidente.

–         Il y a beaucoup de choses qui m’ont surpris et choqué, qui ont réduit la crédibilité de Jean-Marie à mes yeux, et je lui ai écrit à ce sujet, raconte Edgar Bronfman. On m’avait demandé en novembre 2001 si ma vente d’actions entrerait en conflit avec l’engagement de ma famille de ne pas vendre d’actions jusqu’à fin 2001 après en avoir vendu en mai. Le trust familial en avait vendu et Mr Messier nous avait demandé de déclarer qu’on n’en vendrait plus en 2001 pour que le marché ne s’attende plus à des ventes de la famille. Mon avocat me demande si la vente par la levée de mes options entrerait en conflit avec l’engagement familial. J’ai dit clairement «  je pense que les deux ne sont pas liés mais nous somme le 18 décembre, il reste deux semaines, donc il n’y a pas de raison de ne pas attendre, je n’ai pas besoin de les exercer maintenant et d’avoir des questions sur la confusion avec les engagements familiaux ». La deuxième raison est que les gens me voyaient à juste titre comme sceptique sur le deal USA Network EchoStar et que vendre juste après aurait pu être vu comme un désaccord public, ce qui n’aurait pas été favorable au groupe, y compris pour l’investissement de ma famille.

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