Contrairement à certains scénarios évoqués pour promouvoir d'autres placements moins sûrs dans les contrats d'assurance vie, la solidité des fonds en euros ne semble pas menacée par la hausse des taux d'intérêt. (photo © GPouzin)

Les banques n’apprécient pas que la BCE ponctionne leurs dépôts excédentaires comme elles ponctionnent ceux des épargnants. Une bonne raison de réclamer des taux d’intérêt plus élevés et de mettre fin à l’absurdité des taux zéro. Les explications de Deontofi.com (photo © GPouzin)

Les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas pendant si longtemps. Imposée pour sauver les banques de la faillite et relancer la croissance après le krach bancaire de 2008, le maintien  de sa politique de taux zéro, par la banque centrale européenne (BCE), a plus d’effets pervers que bénéfiques pour l’économie. Et les banques elles-mêmes finissent par se plaindre que les taux soient trop bas. Alors à qui profite la baisse des taux d’intérêt ? Est-elle favorable ou non pour les banques ? Les explications de Deontofi.com

Cinq minutes pour comprendre :
Retrouvez ici l’interview TV sur ce thème dans l’émission Ecorama du 6/6/2016

1/ La baisse des taux d’intérêt est-elle bonne ou mauvaise pour les banques et les assureurs ?
– Tant que les banques peuvent placer leurs ressources à des taux plus élevés qu’elles n’empruntent, la baisse des taux est une martingale qui leur permet de gagner à tous les coups. Si les banques centrales prêtent de l’argent gratuitement aux banques commerciales, c’est-à-dire à taux zéro, les banques s’enrichissent fortement sur les prêts qu’elles accordent à leurs client à un coût plus élevé.

Dans cette situation, les banques encaissent des marges ahurissantes sur les prêts à l’économie, que ce soit les prêts aux entreprises ou aux particuliers. Pour les particuliers, le taux effectif moyen constaté par la Banque de France au premier trimestre 2016 était ainsi de 15% pour les prêts à la consommation inférieurs à 3000 euros, de 10% pour les prêts de 3000 à 6000 euros, de 3% pour les prêts immobiliers à taux fixe et 2,7% pour les prêts à taux variable. Pour les entreprises, le taux des découverts est de 10% pour les autorisations de découvert de moins de 15 000 euros, et encore de 5% pour les découverts de 45 000 à 76 000 euros. Vous voyez que lorsque les banques prêtent à l’économie, elles encaissent des marges très confortables.

2/ La baisse des taux est-elle aussi bonne pour les assureurs ?
– Pour les assureurs, la baisse des taux d’intérêt est moins directement profitable. Elle est même à double tranchant. Prenons l’assurance vie en euros : l’activité des assureurs consiste à placer l’argent des épargnants pour leur distribuer un rendement compétitif, tout en garantissant le remboursement de leur capital. On voit bien que la baisse des taux d’intérêt pénalise le rendement des obligations qui sont la principale source de rentabilité de l’assurance vie en euros. Donc les taux zéro sont plutôt défavorable aux assureurs à long terme. Mais la baisse des taux d’intérêt fait aussi monter le cours des obligations, ce qui conforte la solvabilité de l’assurance vie au regard de sa garantie en capital. Le problème est d’avoir un bon équilibre entre rentabilité et solvabilité, ce qui est rendu très compliqué avec la baisse des taux d’intérêt. D’ailleurs Deontofi.com et la fédération des associations indépendantes d’épargne retraite (Faider) ont déjà dénoncé le lobbying de la Banque de France pour inciter les assureurs à réduire le rendement de l’assurance vie ou à pousser les épargnants vers des contrats euro-croissance moins rentables et moins garantis que l’assurance vie en euros classique. Pour l’assurance vie, et même pour l’assurance dommage, il est clair qu’il vaut mieux des taux d’intérêt plus élevés.

3/ Pourquoi les banques se plaignent-elles aujourd’hui des taux d’intérêt trop bas ?
– En réalité, les banques ne se plaignent pas directement des taux d’intérêt trop bas, mais de certaines contraintes et contreparties de la politique monétaire accommodante liée aux taux zéro. En quoi consiste cette politique monétaire de la BCE ? La BCE, c’est la banque des banques européennes. Quand les banques ont besoin d’argent, elles en demandent à la BCE qui leur en procure par deux moyens. D’abord, la BCE prête aux banques, sous réserve qu’elles apportent des titres de qualité en garantie, un peu comme une hypothèque à court terme. Dans ce cadre, les banques empruntent a un taux de refinancement fixé à  0% depuis le 10 mars 2016, contre 0,05 % depuis décembre 2014. Si les banques ont besoin de plus d’argent, la BCE leur prête à son « taux marginal », à peine plus élevé (0,25% depuis mars 2016 contre 0,3% depuis fin 2014). Enfin, pour un financement à plus long terme, la BCE rachète même aux banques les prêts qu’elles ont accordé ou les titres qu’elles ont acheté, pour qu’elles puissent accorder de nouveaux prêts avec l’argent obtenu. C’est le fameux « quantitative easing », c’est-à-dire une assistance monétaire sans crédit, consistant pour la BCE à distribuer 80 milliards d’euros par mois aux banques depuis mars 2016 (après 60 milliards par mois depuis mai 2015). Depuis le 1er juin 2016, la BCE va encore plus loin, en donnant de l’argent aux banques pour prêter à l’économie, avec un taux négatif sur leurs emprunts, dans le cadre de ses opérations ciblées de refinancement à long terme, les TLTRO 2 (targeted long-term refinancing operations, épisode 2). En clair, la BCE paye les banques pour lui emprunter. Si une banque commerciale emprunte 100 millions à la BCE conformément à son objectif de TLTRO, pour les prêter aux particuliers et aux entreprises (avec des marges confortables comme on l’a vu), elle ne devra rembourser que 99,6 millions, soit un taux d’intérêt négatif de 0,4% payé à la banque par la BCE. Ce n’est pas cette partie de la baisse des taux qui gêne les banques, comme elles s’en plaignent dans la presse.

4/ Il y a une baisse des taux favorable aux banques et une autre défavorable ?
– Absolument, car les banques sont comme leurs clients. Elles ne prêtent pas toujours l’argent dont elles disposent. Premièrement, elles ont l’obligation d’avoir une réserve de sécurité en cas de coup dur, appelée réserve obligatoire, déposée à la BCE. Ensuite elles utilisent une partie de leurs disponibilités pour spéculer sur les marchés financiers, jouer au trading haute fréquence et aux produits dérivés, activités plus juteuses que les crédits classiques. Enfin, s’il leur reste des réserves excédentaires, elles peuvent les laisser en dépôt à la BCE par sécurité, surtout si elles ont peur de les prêter à d’autres banques bancales comme depuis 2008. C’est là qu’elles coincent, car la BCE applique un taux d’intérêt négatif sur ces réserves excédentaires, qui est passé à -0,4% depuis mars 2016 (contre -0,3% auparavant).

En résumé, ce taux négatif est la contrepartie strictement symétrique du taux négatif sur les opérations ciblées de refinancement à long terme, les TLTRO. D’un côté la BCE paye les banques pour emprunter, avec un cadeau de 0,4% pour les inciter à prêter à l’économie. De l’autre la BCE inflige une pénalité de 0,4% sur les dépôts excédentaires des banques à la BCE, pour les dissuader de laisser dormir leur argent sur un compte courant à la BCE.

5/ Les banques peuvent-elles échapper à ce taux négatif sur leur argent qui dort ?
– Oui, il suffit qu’elles fassent travailler leurs réserves excédentaires autrement, de préférence en prêtant leur argent à l’économie. Le problème est que les banques à réseau ont beaucoup de réserves excédentaires par rapport à leurs concurrentes, grâce aux dépôts des clients. Quand le marché monétaire était paralysé par la méfiance entre les banques qui se soupçonnaient toutes d’être en quasi-faillite, les dépôts étaient un atout précieux et une ressource gratuite. Tandis que maintenant, les dépôts sont beaucoup moins avantageux, par rapport aux prêts gratuits ou subventionnées de la BCE. En effet, les banques à réseau ayant beaucoup de dépôts ont plus de mal à justifier que la BCE les paye pour emprunter, avec son cadeau de 0,4%, par rapport aux banques ayant moins de réserves excédentaires. Pire, les banques à réseau risquent de payer une pénalité de 0,4% sur leurs excédents de trésorerie non prêtés si elles les laissent à la BCE. Pour compenser cet inconvénient lié à la baisse des taux, les banques à réseau multiplient les pénalités pour les clients, en particulier la généralisation des frais de tenue de compte par les principaux réseaux (BNP, Société générale, LCL…). De même, après avoir crié au scandale contre le monopole des Caisses d’épargne et de La Poste sur le Livret A, et s’être battues pour avoir le droit de le distribuer, les banques se plaignent de son coût et voudraient réduire encore son taux d’intérêt en dessous de 0,75%.

6/ Alors faut-il remonter les taux d’intérêt ?
– Oui, il est urgent que les taux d’intérêt remontent pour rétablir une hiérarchie normale de rémunération des risques. Pour les assureurs, une remontée progressive des taux d’intérêt serait le meilleur scénario, comme on l’a déjà expliqué sur Deontofi.com, que ce soit pour l’assurance vie ou pour l’assurance dommage. Le métier des assureurs est de faire fructifier des primes d’assurance pour indemniser des dommages. Plus leurs placements sont rentables, plus les tarifs d’assurance sont compétitifs pour les assurés. Des taux d’intérêt plus élevés seraient aussi une bonne nouvelle pour tous les investisseurs institutionnels qui gèrent des réserves pour faire face à des dépenses futures, que ce soit pour les caisses de retraite, y compris l’Arrco-Agirc, ou même pour le fonds de démantèlement des centrales nucléaires.

Pour les banques, c’est moins clair. Ce qu’elles voudraient surtout c’est pouvoir emprunter gratuitement sans contraintes de prêter à l’économie productive ou d’avoir à payer pour placer leurs excédents de trésorerie. Mais qu’importe leur motivation, on peut se réjouir en tout cas qu’elles rejoignent les voix de plus en plus nombreuses pour dénoncer le niveau trop bas des taux d’intérêt.

7/ Y a-t-il de plus en plus de voix pour réclament des taux d’intérêt plus élevés.
– Oui, plein, et il est dommage qu’on ne les entendent pas plus. Jusqu’ici peu de gens contestaient la baisse des taux, c’était un peu le remède magique de la politique monétaire, comme l’austérité prônée par le FMI serait le remède magique de la politique budgétaire. Mais on a vu que ces remèdes ne fonctionnaient pas toujours et pouvaient même avoir des effets inverses à ceux recherchés. C’est le cas avec la politique monétaire des taux zéro qui, finalement, alimente beaucoup moins la relance de la croissance économique réelle que le gonflement des bulles spéculatives.

Effectivement, de plus en plus de voix réclament des taux d’intérêt plus élevés. Deontofi.com a été parmi les premiers à dénoncer les méfaits des taux trop bas, dans le sillage de Jean Berthon, le  président de la Faider, pour qui « La baisse des taux est une répression financière nuisible à l’économie car elle oblige les épargnants à accroître leur effort d’épargne au détriment de la consommation, pour compenser l’absence de capitalisation des intérêts ». Mais beaucoup d’économistes partagent cette opinion. C’est le cas de Jeffrey Dorfman, professeur d’économie à l’Université de Georgie aux Etats-Unis, ou encore d’Andrew Sentance, ex-membre du comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre, qui réclame des taux plus élevés depuis des années. Parmi les détracteurs des taux zéro on trouve encore Bill Gross, gérant obligataire vedette de Janus Capital et ex-dirigeant de Pimco. Et pour l’anecdote, c’est aussi l’opinion de Michael Burry, un neurologue californien reconverti en gérant de hedge-fund atypique, devenu célèbre en étant un des premiers à anticiper la crise des subprimes, dès 2005, comme on le voit dans le film The Big Short, où son personnage est interprété par l’acteur Christian Bale. Aujourd’hui, Michael Burry dénonce les méfaits des taux zéro et leur danger pour l’économie mondiale. Il est donc urgent et tout à fait opportun que les économistes des banques plaident à leur tour pour une remontée des taux d’intérêt à un niveau plus sain pour la croissance et pour les épargnants.

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