Bien connu des téléspectateurs et auditeurs de BFM Business, où il anime des émissions sur la Bourse et les placements depuis plus de 15 ans, notre confrère Guillaume Sommerer vient de publier un nouveau livre dédié aux « Placements verts, mythes et réalités ».
Dès l’introduction, l’auteur nous plonge dans les enjeux de ce sujet, devenu aussi incontournable dans les programmes politiques que dans la finance et l’économie :
Urgence et coûts climatiques
« La gravité des défis saute en effet aux yeux de tous. Selon l’ONU, il y a eu au cours des vingt dernières années 335 catastrophes par an dans le monde, soit 14 % de plus par an que durant la période comprise entre 1995 et 2004, et presque le double du chiffre enregistré chaque année entre 1985 et 1995 ! Environ 90 % des catastrophes enregistrées dans le monde depuis vingt ans ont été causées par des phénomènes liés au climat : inondations, tempêtes, canicules ou sécheresses. » (p.10)
Le coût du dérèglement climatique s’envole : « selon la Banque mondiale, les pertes s’élèvent à environ 200 milliards de dollars par an depuis une décennie, soit quatre fois plus que dans les années 1980 ! » (p.11).
Et il n’y a pas que l’urgence climatique. « De plus en plus de placements sont ainsi pilotés selon des critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance), et excluent de financer les secteurs les plus décriés (tabac, charbon, pétrole…) », annonce Guillaume Sommerer (p.13).
Face à l’urgence climatique, les pouvoirs publics se mobilisent. « La France a annoncé en 2020 un plan de relance dédiant 30 milliards d’euros à la transition écologique, et l’Union européenne compte orienter une bonne part de son propre plan de relance aux énergies vertes », rappelle l’auteur (p.23).
La pollution du secteur énergétique en question
Tout au long de l’ouvrage, des observations questionnent les idées reçues. Le secteur énergétique est montré du doigt pour sa dépendance aux énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz), mais contribue-t-il vraiment à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre ? Pas si sûr. « Les émissions de CO2 émanant du secteur de l’énergie ont, elles, cessé de progresser en 2019 pour la première fois depuis 2009 avec cet exploit en filigrane : les émissions ont stagné en phase de croissance économique alors qu’en 2009 leur baisse venait d’une récession et d’un contexte économique de crise », apprend-on p.18, selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE, ou IEA en anglais) du 11/2/2020.
Dans le même esprit, Guillaume Sommerer énumère les efforts des pays ou secteurs les plus polluants pour devenir plus vertueux, en Chine (« un des pays les plus avancés dans la transition écologique », p.28), chez le groupe pétrolier Total (qui « s’est fixé pour objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050 pour l’ensemble de ses activités mondiales, depuis la production de pétrole jusqu’à l’utilisation par ses clients des produits énergétiques vendus » p.32), ou les constructeurs automobile (pour qui, depuis 2021, « la moyenne d’émissions de CO2 autorisée par véhicule descend à 95 grammes par kilomètre, contre 130 grammes en 2019, et l’amende sera de 95 euros par véhicule et gramme excédentaire » p.35).
Même chez les fleurons mondiaux du luxe, comme le Français Kering, on s’interroge. « Imaginez que demain nous ne puissions plus exploiter le cuir pour des raisons éthiques ? », ou le coton, s’inquiétait son PDG François-Henri Pinault, sur BFM le 13/2/2018 (p.36).
Sans parler de la finance. « La première banque européenne en matière d’actifs, BNP Paribas, compte cesser ses financements au secteur du charbon en 2030 dans l’UE et en 2040 dans le reste du monde » (p.42).
Greenwashing ou écoblanchiment
« Mais tout n’est pas rose », prévient l’auteur (p.44). Avant d’aborder un chapitre sur le « greenwashing », (« verdissage » ou écoblanchiment, en français), il fait un détour par le coût des atteintes à la biodiversité, calculé par le World Wilde Fund : « WWF chiffre les futures dépenses à 500 milliards de dollars par an d’ici 2050 si rien n’est fait dès aujourd’hui pour protéger les écosystèmes, les zones agricoles et les côte » contre le réchauffement climatique (p.52). Au total : « 479 milliards de dollars par an… Tel est le coût prévu de la disparition des écosystèmes d’ici 2050 selon une étude du WWF menée dans 140 pays. Un niveau de pertes équivalant à 0,67 % du PIB mondial par an d’ici à 2050. La déforestation ferait perdre 128 milliards de dollars par an à l’économie mondiale. L’effondrement des espèces d’insectes pollinisateurs coûterait 15 milliards de dollars par an. La baisse des ressources en eau coûtera, elle, 19 milliards de dollars » (p.55).
La guerre des chiffrages est aussi engagée entre la nouvelle et l’ancienne économie :
« Le monde des technologies les plus avancées qui se veulent plus vertes, écologisées, est en grande partie tributaire de métaux sales », explique Guillaume Pitron, auteur de « La Guerre des métaux rares » (éditions Les Liens qui libèrent, Paris 2018. « Le secteur des technologies de l’information et de la communication produit 50 % de plus de gaz à effet de serre que le transport aérien ! Il faut purifier 8,5 tonnes de roche pour produire 1 kilo de vanadium, 16 tonnes pour 1 kilo de cérium, 50 tonnes pour l’équivalent en gallium, et le chiffre ahurissant de 1 200 tonnes pour 1 malheureux kilo d’un métal encore plus rare, le lutécium. » (p.62, citant son ouvrage La guerre des métaux rares, éditions Les Liens qui libèrent, 2018).
« Avant même l’émergence de la 5G, le numérique représentait en 2019 quelque 4 % des émissions de gaz à effet de serre contre environ 3 % pour le trafic aérien » (p.70).
Voitures électriques pas si vertes
On se félicite de la banalisation des véhicules électriques ? Mais « selon des chercheurs de l’UCLA (Université de Californie à Los Angeles), la seule industrialisation d’une voiture électrique consomme 3 à 4 fois plus d’énergie que celle d’un véhicule traditionnel » (p.64) et « sur l’ensemble de son cycle de vie, la consommation énergétique d’un véhicule électrique est globalement proche de celle d’un véhicule diesel », estime Guillaume Pitron. Et d’ajouter : « Un véhicule électrique pourrait même émettre davantage de CO2 si l’électricité qu’il consomme provient majoritairement de centrales à charbon, tel que cela est le cas dans des États comme la Chine, l’Australie, l’Inde, Taïwan ou encore l’Afrique du Sud. ».
Emprunte carbone des éoliennes
Evoquant le coût écologique des éoliennes, l’auteur rappelle « les montagnes de terres rares arrachées au sol pour la fabrication des éoliennes, à coups de processus chimiques souvent dévastateurs pour les terrains environnants, mais aussi pour les fleuves et rivières situés en aval des carrières. D’après Olivier Vidal, expert en minéralogie et directeur de recherche au CNRS, la croissance de ce marché va exiger d’ici à 2050 et avec les technologies actuelles « quelque 4 000 millions de tonnes d’acier, 350 millions de tonnes d’aluminium et 100 millions de tonnes de cuivre primaire » (p.66 Projection réalisée sur un scénario mondial ambitieux en matière d’énergie renouvelable (scénario ETP-B2DS de l’agence internationale de l’énergie), soit environ le double de la quantité nécessaire pour le scénario de référence de la même agence (ETP-RTS).
Quels placements verts ?
Les chapitres 3 à 7 sont consacrés aux placements vers proprement dits, en commençant par un état des lieux. « Le marché des fonds durables, respectant des critères (ESG), ouverts aux particuliers se développe à un rythme effréné. Entre décembre 2018 et mi-2020, l’offre en France est passée de 488 à 797 fonds ! » (p.77, source Novethic).
« D’après l’Association française de gestion financière, en prenant en compte l’ensemble des approches « responsables » (ESG) adoptées par les acteurs de marché, ce serait au global, à début 2019, plus de 1 400 milliards d’euros qui seraient gérés de manière responsable en France. Un chiffre en progression de 40 % sur un an » (p78).
Haro sur les placements « gris »
Les placements « gris » seraient pour leur part menacés d’extinction comme des dinosaures.
« Si l’accord de Paris est pleinement appliqué, on estime qu’ « un tiers des réserves de pétrole, la moitié de celles de gaz et 80 % de celles de charbon resteront sous terre et donc, effectivement, un certain nombre d’infrastructures déjà installées vont se dévaloriser7 », prévient Fanny Henriet, professeur associé à Paris School of Economics.
« Repsol vient d’annoncer 4,8 milliards d’euros de dépréciations d’actifs du fait de la perte de valeur de ses actifs de gaz et de pétrole liée à la lutte contre le réchauffement climatique », rappelle Sébastien Soleille, responsable de la transition énergétique et environnementale chez BNP Paribas, entendu dans l’émission Entendez-vous l’éco, présentée par Tiphaine de Rocquigny sur France Culture, le 30 janvier 2020,
Quelle analyse extra-financière ?
« La finance se convertit donc aux investissements « vertueux » à une vitesse supersonique », observe notre confrère Guillaume Sommerer en introduction de son chapitre consacré à l’ISR (p.99), l’investissement socialement responsable, sans éluder la question que tout le monde se pose : « ISR, des investissements « sincèrement » responsables ? ».
Première déception : « certains acteurs institutionnels français ne respectent pas l’obligation d’information des paramètres ESG dans les politiques d’investissement : « Plus d’un quart ne se plie pas à l’exercice du reporting pourtant obligatoire », regrettait encore Novethic fin 2019 (p.100).
On s’interroge aussi légitimement sur les méthodes d’appréciation du caractère socialement responsable des placements qui le revendiquent. « Chaque acteur doit-il avoir ses propres critères et ses propres modes de calcul de l’impact environnemental et social des sociétés détenues en portefeuille ? Et qui viendra évaluer leurs modes de calcul ? L’indépendance des mesures peut-elle être garantie si le détenteur des portefeuilles définit lui-même les critères d’évaluation de ses produits ? » estime Vincent Auriac, PDG de la société de conseil financier Axylia (p.100).
« La bataille est rude entre sociétés de gestion pour proposer l’analyse maison la plus fine et la moins contestable possible. Chacune met en avant à la fois l’exclusivité de son analyse et les compétences particulières des partenaires avec lesquels elles la fabriquent », analyse l’auteur (p.101).
L’auteur n’élude pas le dilemme fondateur de l’investissement socialement responsable : juger et surtout mesurer ce qui est bien ou mal. « Même avec la meilleure volonté du monde, il reste difficile d’apprécier de façon unanime et avec des outils (et des critères) reconnus de tous, l’impact ESG des entreprises ou des actifs proposés dans les produits de placement », rappelle Guillaume Sommerer (p.103).
Labels en fête
« Comment être certain que tel ou tel produit prétendument éthique est construit et géré selon des critères d’évaluation sérieux ? », interroge l’auteur avant de donner la réponse (p.104).
« Pour guider les épargnants perdus, les États s’engagent et ont créé des labels : en France, le label ISR et le label Greenfin. Ils guident les investisseurs, en certifiant les engagements des fonds disponibles et en expertisant leurs choix d’investissement. » (p.104)
Ces labels rassurent quant à la crédibilité des placements « verts » : « seuls 7 % des Français déclarent ne pas faire confiance aux labels pour valider l’orientation responsable d’un produit financier », selon une Étude Audirep de septembre 2019 pour l’AMF (p.104). Le problème est que beaucoup de placements non labellisés entretiennent la confusion.
« La Banque de France le confirme : à la fin septembre 2019, 175 fonds de droit français comportaient le sigle ISR dans leur libellé, alors que 49 d’entre eux seulement étaient effectivement labellisés ! Si l’on élargit l’analyse à tous les termes en lien avec l’ISR (durable, responsable, éthique, social, transition, climat, etc.), le nombre de fonds français utilisant l’une de ces références dans leur appellation s’élevait à 537, dont seulement 95 étaient labellisés (soit 18 %). « ISR n’est pas une appellation contrôlée ! Il n’y a pas de définition légale de ce qui a juridiquement le droit de se dire ISR ou pas », regrette Anne-Catherine Husson-Traore, directrice générale de Novethic. » (p.108).
Greenfin plus vert que le label ISR
Aucun doute, le Label Greenfin est plus vert que le label ISR, car « il a la particularité d’exclure les fonds qui investissent dans des entreprises opérant dans le secteur nucléaire et les énergies fossiles. Des exclusions partielles visent également les sociétés de distribution, transport et production d’équipements et de services dans la mesure où plus de 33 % de leur chiffre d’affaires est réalisé auprès de clients des secteurs nucléaire et fossile » (p.111-112).
Résultat : « Certains fonds éligibles au label ISR (bien que constitués d’actifs polluants) ne peuvent prétendre au label Greenfin », explique l’auteur (p.112) : « Ce fut le cas par exemple de certains fonds de Pictet ou DNCA éligibles au label ISR et non au label Greenfin. Ce fut aussi le cas du fonds de BNP AM dédié à l’économie circulaire ou encore du fonds Objectif Environnement du Crédit mutuel AM. Les exemples sont, en réalité, très nombreux ».
Finansol : placements solidaires et verts
« En matière d’engagements, Finansol est le plus impliquant des labels », annonce Guillaume Sommerer en abordant ce label « créé en 1977 (…) pionnier de la finance solidaire » : « garantit le financement de projets sociaux ou environnementaux par le biais de l’argent placé ou par le biais des revenus de cette épargne. Dans le premier cas, la collecte des placements est investie directement vers le financement de projets solidaires : elle sert à financer l’accès des jeunes à l’emploi et au logement, le soutien aux exploitants agricoles, le soutien à la création d’entreprises dans les pays en voie de développement… Dans le second cas, au moins 25 % des intérêts des placements labellisés Finansol sont versés régulièrement à des associations sous forme de dons » (p.113).
50 nuances de vert… et leurs limites
Au final, « il n’y a pas de définition universelle des placements durables ou verts. Chaque produit, chaque fonds intègre les critères ESG de façon très différente. C’est pourquoi il est essentiel de bien regarder quelles sont les règles d’investissement, même si elles restent parfois vagues, voire trompeuses », insiste l’auteur (p.119) en évoquant une polémique fréquente : faut-il exclure Total des valeurs vertes car c’est un groupe pétrolier polluant, ou le considérer comme vertueux car il investit pour verdire son activité ?
« Une autre limite apparaît », prévient Guillaume Sommerer : « La concentration des objectifs sur la lutte contre le réchauffement n’entraîne-t-elle pas l’abandon d’autres enjeux environnementaux ou sociaux tout aussi capitaux ? »(p.124). (NDLR : sans parler du G de l’ESG, la gouvernance, ignorée par tant de PDG autocrates ou mythos).
Par ailleurs, l’auteur n’élude pas le risque de « bulle verte », flagrant en 2021 dans de nombreux secteurs liés aux énergies renouvelables, par exemple. « Ce risque de bulle verte est envisageable, explique Léa Dunand-Chatellet, directrice du pôle ISR chez DNCA, citée par le magazine Investir Durable (p.138). La principale cause est liée à un surinvestissement dans ces sociétés vertes soit en raison d’un phénomène de mode qui va pousser la demande et les prix de ces actifs vers le haut, soit en raison de la réglementation qui, en obligeant à investir sur certains actifs, mène aussi à une augmentation des prix. »
L’auteur passe ensuite en revue les qualités « environnementales » ou au moins « socialement responsables » des placements les plus variés, allant des valeurs technologiques aux sociétés familiales en passant par les fonds d’investissement à risque dans l’innovation (FCPI) et les PME (FIP), les cryptos (Bitcoin, etc.) les plans d’épargne retraite (PER) et l’épargne salariale (PEE, FCPE), sans oublier les livrets et l’assurance-vie, notamment en unités de compte (UC), et même la défiscalisation philanthropique.
Béton propre ?
Conscient que « l’immobilier est le placement préféré des Français, loin devant la Bourse et même l’assurance vie » (p.189), l’auteur consacre une trentaine de pages aux placements immobiliers et fonciers « verts », telles que les Sociétés civiles de placements immobiliers (SCPI) et autres organismes de placement collectif en immobilier (OPCI), mais aussi crowdfunding (financement participatif) ou groupements fonciers viticoles (GFV), voire sociétés d’investissement immobilier cotées (SIIC).
« Les autorités ont enfin créé en juillet 2020 un label ISR adapté aux placements immobiliers », précise-t-il (p.198. Sont éligibles au label « non seulement les fonds investissant dans les immeubles les plus modernes et performants, mais également les fonds investissant dans l’amélioration de la performance ESG des bâtiments en portefeuille », précise l’Association française de gestion.
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