Passé largement inaperçu dans les journaux, une récente transaction entre une société de conseil financier et le gendarme boursier a attiré notre attention. Cet « accord de composition » conclu par la société Forsis avec l’Autorité des marchés financiers (AMF), permet d’entrevoir les coulisses de la vente de placements « verts » en « défiscalisation » outre-mer, autrement dit, en Girardin industriel. On y découvre sans surprise des méthodes de vente soupçonnées de tromperie. Lisez plutôt.
Un vendeur de placements solaires
Tous les investissements en panneaux solaires ne sont pas des arnaques, certains sont juste de mauvais placements présentés comme sûrs et rentables en cachant leurs risques. C’est malheureusement souvent le cas. Comme dans ce fait divers récemment exposé par l’Autorité des marchés financiers (AMF) à l’occasion d’un « accord de composition administrative » avec un réseau de conseillers en investissements financiers (CIF).
L’histoire est tristement banale. Un conseiller financier fait la promotion d’un placement solaire « de la société S » présenté avec des arguments outranciers. Il ne faudrait pas non plus jeter l’opprobre sur la société S, qui continue peut-être à vanter la rentabilité illusoire de ses panneaux solaires !
Un placement solaire à 5% ou 8% sans risque !
Quoi qu’il en soit, on apprend dans ce document que « sur la période du 21 décembre 2015 au 20 octobre 2016 couvrant en partie la période de commercialisation des offres de la société S auprès des clients de l’échantillon, le site internet de Forsis présentait les véhicules promus par la société S comme un « placement écologique » mettant en avant un rendement sécurisé compris entre 5% et 8% par an, en les comparant au rendement du livret A ».
Ben voyons ! C’est bien connu, il suffit de raconter n’importe quoi aux épargnants pour leur faire avaler n’importe quel bobard. La méthode est éculée par l’industrie des escroqueries sur Internet. C’est plus délicat quand il s’agit de réseaux réglementés ayant pignon sur rue ayant vendu de tels placements solaires pour plus de 10 millions d’euros.
« Les investigations de la mission de contrôle ont principalement porté sur la commercialisation par Forsis, entre 2016 et 2018, pour un montant total de 10,8 millions d’euros, de parts de sociétés en participation (ci-après « SEP ») ou de sociétés civiles (ci-après « SC ») créées par la société S et ayant pour objet l’acquisition et la mise à disposition de matériels et bâtiments de production d’énergie solaire », précise le préambule de la décision (p.1).
Un réseau florissant
Forsis n’est pas un cabinet de conseil en investissement financier (CIF) artisanal, comme il en existe des milliers en France. « Forsis anime un réseau d’apporteurs d’affaires ou partenaires pour la commercialisation des produits qu’elle conseille au titre de son activité CIF », détaille l’AMF (p.1). Forsis s’appuie ainsi sur un réseau de « rabatteurs », c’est-à-dire une plateforme faisant le lien entre des fournisseurs d’investissements, des conseillers en gestion de patrimoine (CGP), et des prospects recrutés sur Internet, si l’on en croit notre confrère Les Echos.
Forsis a « joué très tôt la carte du digital, bénéficiant de l’expérience acquise par les deux frères avec leur plate-forme de vente de prospects en ligne, lancée en 2004, et dédiée aux gestionnaires de patrimoine ou aux promoteurs. En quelques années, la société a essaimé sur toute la France, ouvrant six agences. Elle repose sur un réseau de 150 conseillers indépendants et compte environ 3 000 clients », affirmaient Les Echos, dans un article mis en avant par Forsis dans sa revue de presse.
« Nous concevons, développons et assurons la promotion de sites internet et de services traitant de fiscalité, de placements immobiliers et financiers ou encore de financements. C’est ce qui nous permet de proposer à la vente de manière exclusive ou partagée des rendez-vous en défiscalisation pour les CGP, des rendez-vous en crédit et rachat de crédit pour les courtiers mais également des rendez-vous pour des placements pour les CIF (Conseillers en Investissement Financiers) », explique ainsi le site de la société Elyxis, dans le giron de Forsis.
On a donc d’un côté les outils de recrutement de prospects d’Elyxis, de l’autre des fournisseurs de placements, notamment solaires comme la « Société S », et au milieu Forsis avec son réseau de « 150 conseillers indépendants » susceptibles de toucher « environ 3 000 clients ».
Dans les coulisses d’une vente de placements solaires
Mais au fait, on leur a dit aux clients, qu’on touchait de belles commissions de la « Société S », si on leur vendait ses placements solaires en leur faisant croire qu’ils auraient 5 à 8% sans risque ?
« En ne faisant aucune mention de sa rémunération pour quatre clients et en mentionnant dans le « livret CIF » la perception de commissions sans en préciser le mode de calcul1 pour les dix autres clients, le CIF n’aurait pas fourni, avant sa prestation, une information complète, exacte et compréhensible sur cette rémunération et n’aurait donc pas respecté les dispositions de l’article 325-6 du RG AMF entre le 8 mars 2016 et le 31 mars 2017 », affirme pour sa part l’AMF (p.1).
Et a-t-on expliqué aux clients que les SEP crées par la « Société S », dont on leur vendait des parts, seraient elles-mêmes clientes d’une société d’exploitation « détenue à 70% par le fondateur de la Société S » ? Ah parce qu’en plus il faut étaler ses conflits d’intérêt ! Non, vous rigolez j’espère. « Aucune information n’explique le rôle et l’identité de ces «entreprises» et les charges supportées par la société d’exploitation ne sont pas évoquées », relève l’AMF (p.3).
« Le fonctionnement économique de l’investissement permettant d’aboutir à un revenu locatif annuel de 6% n’est pas détaillé », pointe encore l’AMF (p.3). Il faut donner la recette, en plus ? Et le secret des affaires !
« L’investisseur n’est pas non plus informé du financement qui permettra à cette même société d’exploitation de racheter la totalité des parts des associés à la SEP au bout de 6 années », ajoute l’AMF (p.3).
Information trompeuse
Résultat « tant l’information délivrée aux clients dans les plaquettes commerciales et leur compte rendu de mission, que celle délivrée aux prospects sur le site internet de Forsis à l’époque de la commercialisation des offres de la société S, présentaient un caractère trompeur et peu clair », estime l’AMF. Et c’est un euphémisme !
« En omettant d’expliquer de manière claire et précise le fonctionnement économique de l’investissement dans les plaquettes commerciales et les comptes rendus de mission, et en mettant en avant un rendement attractif et un placement « sécurisé », au travers de son site internet à l’époque de la commercialisation des offres de la société S sans attirer suffisamment l’attention des éventuels investisseurs sur les risques liés à l’investissement, Forsis aurait délivré une information incomplète, pas assez claire et partiellement trompeuse sur les caractéristiques et les risques du placement ; elle aurait ainsi contrevenu aux dispositions de l’article 325-5 du RG AMF », détaille le gendarme boursier, précisant que cette infraction est maintenant reprise par l’article 325-12 du règlement général de l’AMF (RG AMF).
La vérité si je mens
On n’est pas étonné que le gendarme des marchés financiers trouve ce genre d’irrégularités en contrôlant des vendeurs de placements solaires. Le plus surprenant est plutôt qu’il n’y ait pas davantage de contrôles et de sanctions dans ce domaine. Précisons en effet que le contrevenant ne subit officiellement aucune « sanction » au sens stricte, comme il le clame dans ses observations : « Forsis souhaite rappeler qu’elle a accepté de conclure un accord de composition dans la mesure où celui-ci ne constitue ni une reconnaissance de culpabilité ni une sanction » (p.5).
Génial ! Dans la finance on peut accepter de payer l’amende à condition qu’elle n’implique « ni une reconnaissance de culpabilité ni une sanction ». Imaginez la transposition au code de la route : vous pourriez « accepter » de payer une amende pour avoir grillé un stop en état d’ébriété, à condition qu’elle ne soit « ni une reconnaissance de culpabilité ni une sanction », et qu’on ne vous retire aucun point à votre permis de conduire, bien sûr.
Mieux, vous pourriez faire écrire noir sur blanc dans le procès-verbal, que vous êtes en réalité très respectueux de la réglementation, et que vos écarts de conduite n’ont jamais causé de tort à personne, un peu comme le revendique Forsis dans son « accord de composition administrative ».
Et puis cette histoire de promotion outrancière d’un placement solaire promettant un rendement de 6 à 8% par an sans risque que vous auriez mis en avant dans vos documents écrits, c’est sans compter votre bonne foi légendaire : évidemment vous auriez bien expliqué à vos clients, oralement, tout ce qu’ils devaient savoir !
On lit ainsi dans cet accord décomposition que « Forsis entend souligner qu’elle communiquait à l’oral à ses clients, les informations légalement prévues et ce, même en l’absence de précisions écrites dans le rapport de mission » (p.5). Ben voyons, chacun sait que les obligations d’information écrites sont superflues, puisque les vendeurs de placements n’essayent jamais d’embrouiller leurs clients à l’oral avec de belles histoires.
On passe sur les lacunes de vigilance anti-blanchiment aussi épinglées par l’AMF. C’est mal mais vous savez ce qu’on en pense, sinon lisez la réaction de Deontofi.com sur le scandale des déclarations de soupçon.
30 000 euros d’amende
Bon, sur la forme, Forsis semble avoir été bien conseillée dans cette transaction. La société a modifié sa communication. On lit maintenant sur son site web que les « placements financiers dans l’économie réelle pour soutenir la production d’énergie renouvelable » exposent leurs souscripteurs aux risques suivants :
- Support de placement à long terme (10 ans minimum)
- Absence éventuelle de rendement ou perte de valeur
- Liquidité moindre que les actifs financiers cotés, voire nulle
- Risques industriels, sur le matériel ou d’exploitation
- Aucune garantie ou protection du capital
Hé ben voilà, ça va mieux en le disant : adieu rendement sécurisé de 5 à 8% par an !
Grâce à sa coopération avec le gendarme, Forsis écope d’une amende de seulement 30 000 euros, échelonnée sur un an : 10 000 tout de suite (sous deux semaines quand même), 10 000 six mois plus tard, et encore 10 000 au bout d’un an. Enfin, amende, au sens populaire du terme. En pratique, Forsis doit bien payer ces sommes au Trésor Public, comme on paye une contravention, ou un forfait post-stationnement (relevant lui-aussi de la transaction administrative). Mais si l’on veut pinailler sur la sémantique, c’est presque une obole volontaire du contrevenant, une gratuité, vous comprenez, une forme de générosité quoi : « Forsis s’engage à payer au Trésor Public », dit le document. Vous voyez la nuance : dans le monde feutré des transactions administratives, il n’y a que de bonnes volontés, pas de sanction, pas d’amende, évitons les mots qui fâchent.
Pas de règlements de comptes avant fin 2021
Comme souvent dans ce genre de remontrances administratives, l’histoire ne dit pourtant pas si les clients ont eu la moindre chance de percevoir le rendement mirifique qu’on leur faisait miroiter, ni même s’ils ont un quelconque espoir de revoir un jour leur capital.
Prudemment, Forsis précise néanmoins que « le partenariat avec la société S a été dénoncé en date d’effet du 5 décembre 2019 » (p.5). Vous comprenez, c’était un placement tellement intéressant qu’il valait mieux arrêter de le vendre.
Mieux, « Forsis a depuis décidé de ne travailleur qu’avec des acteurs régulés et proposant des solutions d’investissement agréés ou visées par l’AMF » (p.5). Ah bon ? Des « solutions d’investissement agréés ou visées par l’AMF » fournies par « des acteurs régulés » dans le domaine des « Placements financiers dans l’économie réelle pour soutenir la production d’énergie renouvelable » ou de la « défiscalisation Girardin Industriel » ? Il faut le voir pour le croire.
Indépendamment de leur présentation trompeuse, les placements solaires de la « Société S » auront-ils tenu leurs promesses au bout du compte ? Ce n’est pas le problème du régulateur, mais celui des épargnants, qui devront attendre pour en juger.
En effet, les placements épinglés ont été vendus entre décembre 2015 et octobre 2016, avec une échéance de six ans, si l’on comprend cette remarque de l’AMF : « L’investisseur n’est pas non plus informé du financement qui permettra à cette même société d’exploitation de racheter la totalité des parts des associés à la SEP au bout de 6 années ». Au cas où les placements solaires de la Société S vendus par Forsis ne tenaient pas leurs promesses, les clients concernés devront sans doute attendre au moins décembre 2021 à octobre 2022 pour refaire leurs comptes.
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