Pas de finance responsable sans responsabilités individuelles
A la recherche d’une « Finance responsable » le rapport de la Fondation Croissance Responsable explore de nombreuses pistes organisationnelles, techniques ou réglementaires visant à redonner confiance aux citoyens dans l’utilité des activités financières et leur contribution au bien commun. Un vrai défi !
Une des principales faiblesses de notre supervision actuelle des activités financières est justement qu’elle ne responsabilise pas vraiment ses acteurs. A chaque procès financier, les accusés s’en tirent généralement assez bien en plaidant l’irresponsabilité. Parmi les objectifs du Rapport Finance Responsable, le paragraphe sur « La responsabilité individuelle à réhabiliter » (p.11) mérite donc un aparté.
Retour en arrière, en novembre 2012, un des initiateurs du rapport sur la finance responsable m’avait contacté pour bavarder de ce sujet et sonder ma disponibilité pour m’y impliquer, sur les conseils sympathiques d’amis journalistes, comme ceux que je lui donnais à l’issue de nos échanges pour l’orienter à mon tour vers des confrères plus disponibles à ce moment que je ne l’étais.
Sur le fond, nous avions par ailleurs un passionnant débat sémantique. J’étais évidemment sensible à la nécessité d’avoir une « finance responsable », mais j’expliquais mes interrogations sur l’objectif de cette démarche à mon interlocuteur. Pour moi, la finance est une notion aussi abstraite et anonyme que le marché, l’offre ou la demande, voire l’économie toute entière. Chercher à la rendre « responsable » est une façon de personnifier « la finance » qui semble un peu trompeuse, rendant légèrement illusoire la « responsabilisation » de son improbable incarnation.
La finance en elle-même est une activité, ou un ensemble d’activités (principalement de services financiers) conduite par des individus, prestataires, utilisateurs, bénéficiaires ou victimes de ces services, selon les circonstances et les points de vue. Vouloir faire de « la finance » une sorte d’entité qui pourrait avoir un comportement « responsable » semble donc assez illusoire. Mon argument était qu’il n’y aurait de finance responsable qu’avec une responsabilisation accrue de ses acteurs, en veillant notamment à une meilleure application des réglementations existantes et en sanctionnant plus efficacement ceux qui les enfreignent.
Pour ce qui est des pistes évoquées dans le rapport pour « réhabiliter la responsabilité individuelle », Deontofi.com partage sans l’amoindrir l’idée que « Les scandales récents impliquant divers secteurs économiques nous montrent que la recherche du profit comme seule priorité peut avoir des impacts dévastateurs sur nos sociétés. Compte tenu de la portée particulière des décisions du monde financier et des masses d’argent en jeu, le problème de la responsabilité individuelle se pose avec d’autant plus d’acuité que tout comportement négligent ou délictueux peut avoir des conséquences incalculables sur la santé de nos économies et engagent le moyen terme. Cette responsabilité particulière de l’industrie financière est comparable à celle d’autres acteurs économiques à caractère systémique, comme peuvent l’être les producteurs d’énergie nucléaire ou les industries ayant un impact sur la santé publique ou le climat. » (p.12 du Rapport Finance Responsable).
On lit ensuite « Ainsi, certaines organisations professionnelles, telles que l’Association française des investisseurs pour la croissance (AFIC), ont mis en place un code déontologique de régulation interne, reconnaissant implicitement que des comportements « inappropriés » de leurs membres pourraient nuire à leur métier. » Là, on met le doigt sur tout le sujet de l’autorégulation d’une part, et celui des pratiques douteuses de trop nombreux acteurs du capital-investissement d’autre part !
L’idée d’un « code déontologique de régulation interne » est utilisée par toutes les corporations qui ne veulent pas que les pouvoirs publics se mêlent de leurs affaires et sanctionnent leurs dérives éthiques, y compris les journalistes. Avec le Syndicat des journalistes CFTC, nous avons même été les premiers à pointer la vacuité de l’organisme de déontologie de la presse financière Fidéo, et les conflits d’intérêt de son secrétaire général, autoproclamé défenseur de l’éthique journalistique alors qu’il touche des commissions sur la vente de contrats d’assurance vie Afer dont il fait l’éloge dans son magazine, au mépris des chartes qu’il s’engage à respecter. On ne peut pas m’accuser de corporatisme quand je dénonce l’inanité de l’autorégulation ! L’autorégulation entre les mains de ceux qu’elle est censée contrôler n’est tout simplement pas crédible, que ce soit dans les activités financières ou dans n’importe quel autre domaine.
La peur du gendarme n’est peut-être pas la seule incitation à respecter les lois, mais elle est nécessaire dans bien des domaines pour faire respecter les limites de vitesse et autres règles de bonne conduite. En l’occurrence, les règles de bonne conduite financière sont particulièrement bafouées par des acteurs réputés influents du capital-risque et du capital-investissement, non seulement au mépris de leurs propres codes de déontologie, mais aussi en infraction avec les réglementations financières, sans que cela suscite une réaction trop empressée du gendarme boursier (l’AMF) ou de la justice à les sanctionner.