Cinq menaces assombrissent les perspectives de l’assurance vie. En plus des aléas liés à l’évolution des taux d’intérêt, élément déterminant pour la rentabilité des fonds en euros, qui représentent plus de 80% de l’épargne en assurance vie, les nouvelles possibilités de blocage ciblé de certains contrats, prévues dans la Loi Sapin 2, pourraient aboutir à des situations vraiment préoccupantes pour l’assurance vie multisupports. Les explications de Deontofi.com
Menace n°1 – La baisse des taux d’intérêt
La baisse des taux d’intérêt, orchestrée par les banques centrales comme la BCE et la Banque de France, pour renflouer les banques et leur éviter la faillite, est la principale menace qui pèse sur l’assurance vie. D’ailleurs ce n’est plus une menace mais une calamité qui est déjà une réalité décriée par tous les grands investisseurs institutionnels, notamment les caisses de retraite et les fonds de pension, qui sont pénalisés par cette répression financière à taux zéro, comme tous les épargnants de la planète, contrairement aux banques qui, elles, profitent de la baisse des taux.
Pour mémoire, l’actif des assureurs correspondant à la répartition de leur fonds en euros, est investi, en moyenne, autour de 70% en obligations, 20% en actions, 3% en immobilier, 5% en trésorerie et 2% en actifs divers, dans des proportions quasiment inchangées depuis une vingtaine d’années.
Or, depuis 2010 le taux moyen des obligations d’Etat à dix ans ont a connu une nouvelle baisse assez forte, d’environ 3,5% à moins de 2% en 2014, moins de 1% en 2015, et à peine plus de 0,1% aujourd’hui. Même s’il s’est fortement réduit, le rendement des fonds en euros a moins baissé puisqu’il est resté, autour de 2 à 3% en moyenne, largement supérieur au rendement moyen des obligations depuis plusieurs années. Heureusement, les gérants des compagnies d’assurance vie font tout ce qu’ils peuvent pour maintenir autant qu’ils peuvent la rentabilité de leur actif général, en investissant par exemple dans des prêts directs aux entreprises, comme avec les fonds Novo et Novi de la Caisse des dépôts. Mais à long terme, si les taux d’intérêt restent à zéro, cela menace évidemment l’avenir de l’assurance vie, comme de tous les systèmes de retraite par capitalisation, que ce soit les Perp ou les fonds de pension. La société Optimind Winter avait réalisé une étude approfondie l’an dernier qui montrait que la pire évolution, pour les épargnants, serait en fait une poursuite de la baisse des taux d’intérêt, car elle rognerait encore les rendements des fonds en euros, mais sans entraîner une vague de retraits puisque le Livret A et les autres placements sans risque seraient aussi moins compétitifs.
Menace n°2 – La hausse des taux d’intérêt
Si les taux d’intérêt restent aussi bas, ce n’est pas bon. Mais s’ils remontent fortement et brutalement, cela fait peser une menace d’un autre type sur l’assurance vie. Le problème est qu’en cas de hausse des taux d’intérêt, le cours des anciennes obligations baisse, car les investisseurs les vendent pour en acheter de nouvelles avec un meilleur rendement.
Jusqu’à maintenant, les scénarios de hausse des taux d’intérêt sont cependant encore assez hypothétiques et bénins. Il faut rappeler que le taux d’intérêt moyen des obligations privées (le TMO) était tombé sous la barre de 1% début 2015, jusqu’à 0,66% en avril. Sur cette base, les taux ont ensuite rapidement doublé au troisième trimestre 2015, mais seulement pour retrouver leur niveau du dernier trimestre 2014, autour de 1,3%. Mais il est redescendu autour de 1% fin 2015 et à peine plus de 0,1% à l’automne 2016. On imagine mal les épargnants retirer leur argent des fonds en euros dans ce contexte, alors qu’il n’y a aucun placement sans risque rapportant davantage avec la même garantie de récupérer son argent. Pour l’instant, les risques pesant sur l’assurance vie en raison d’une hausse des taux sont donc assez théoriques. Il vaudrait même mieux que les taux d’intérêt remontent progressivement et régulièrement, plutôt qu’ils restent au niveau actuel.
Menace n°3 – Le risque de blocage partiel par l’ACPR en cas de hausse des taux
On l’a déjà évoqué sur Deontofi.com, une des menaces sérieuses pour l’assurance vie en euros, ce serait un coup de Trafalgar du ministère des finances aboutissant au détournement d’une partie des fonds en euros au détriment des épargnants, afin de promouvoir les contrats euro-croissance dont personne ne veut. Deontofi.com avait alerté les épargnants contre ce projet de Bercy, et soutenu une pétition en ce sens de l’Association d’épargnants Arcaf, mais cela n’a pas empêché le ministère des finances de passer en force, et cette possibilité de transfert d’une partie des réserves de plus-value des fonds en euros pour promouvoir les contrats eurocroissance a été adoptée et confirmée par un décret du 14 juillet 2016.
Maintenant le gouvernement remet le couvert, toujours par le bras armé de la Banque de France au profit des assureurs, par le biais de l’article 21bis de la Loi Sapin 2 qui affine les possibilités de blocage des fonds en euros à la demande du gendarme des assurances.
Avec ce nouveau coup de Trafalgar, on a de plus en plus d’indices qu’il y a effectivement une visée politique derrière les menaces agitées par les pouvoirs publics pour détourner les épargnants des fonds en euros.
Jean-Pierre Rondeau, le président d’une association de conseillers en gestion de patrimoine agréée auprès du gendarme boursier, la Cie des CGPI, a ainsi écrit au secrétaire général du gendarme des assurances (l’ACPR), la semaine dernière, pour s’indigner « contre les compagnies qui, souvent de façon très insidieuse (conversation téléphonique), demandent (font pression) sur les CGPI et Courtiers, et certainement sur leurs agents et salariés de réseaux, pour que les versements nouveaux sur les anciens contrats soient obligatoirement investis en un certain pourcentage d’U.C. ». Non seulement les pouvoirs publics et les assureurs mènent une grande campagne de propagande pour transférer plus de risques aux épargnants, mais aussi pour leur prélever plus de frais, comme nous l’avons maintes fois dénoncé sur Deontofi.com et comme le confirme le président de l’association de conseillers en gestion de patrimoine en soulignant que « dans leur volonté de pousser aux U.C., certains diront que se cache peut-être une seconde motivation, celle de bénéficier de frais de gestion supérieurs à ceux des capitaux confiés aux seuls supports euros ». En effet, sur la plupart des bons fonds en euros les frais de gestion se situent autour de 0,3 à 0,6%, alors que sur les unités de comptes, les fameuses UC, la somme des frais peut facilement dépasser 3% de commissions chaque année dans les contrats multisupports sur Internet, et encore plus dans ceux des grands réseaux d’agence.
Menace n°4 – Le blocage par l’ACPR de certains contrats faisant peser un risque à l’assureur (cours connus)
On a déjà expliqué sur Deontofi.com que la possibilité de bloquer l’assurance vie pour empêcher une panique en cas de demandes de retraits massives n’était pas nouvelle, elle existe depuis 40 ans. On a aussi expliqué que la refonte de cet article L612-33 du Code monétaire et financier dans la Loi Sapin 2 était une façon de faire peur aux épargnants pour leur vendre des placements plus risqués avec plus de frais. Mais il y a une autre manipulation extrêmement pernicieuse qui vise à protéger certains assureurs contre des décisions de justice auxquelles ils refusent d’obtempérer, vis-à-vis d’assurés dont ils refusent d’honorer les contrats. En l’occurrence, on apprend en lisant les débats à l’Assemblée nationale sur cette disposition, qu’elle aurait été prise pour aider l’assureur Aviva à échapper à sa condamnation par la cour de cassation à respecter les engagements de ses contrats « à cours connus ».
C’est ce qu’a avoué la député Karine Berger, au cours d’un débat à l’Assemblée nationale, le 20 septembre 2016 sur l’article de la Loi Sapin 2, affinant les possibilités de blocage de certains contrats d’assurance vie. Alors qu’Eric Woerth s’inquiète en dénonçant que « le dispositif actuel s’apparente à un cheval de Troie et pourrait rendre l’épargne indisponible », Karine Berger lui répond : « Soyons transparents, ce dispositif répond à une demande de l’Association française d’épargne et de retraite (Afer), collecteur d’assurance vie. (…) Il ne s’agit pas de savoir comment protéger certaines personnes, mais de s’assurer que cet article s’appliquera aux seuls contrats de nature véritablement systémique. Nous savons de quels contrats nous parlons – en l’occurrence de ceux d’Aviva ».
En clair, la possibilité de bloquer seulement certains contrats, pourrait être utilisée par le gendarme des assurances pour aider l’assureur Aviva à bloquer les contrats à cours connus qu’il refuse d’honorer ou de dédommager, malgré les multiples condamnations de la Cour de cassation l’obligeant à honorer ces contrats dans le respect des lois qui s’y appliquent. Cette possibilité de blocage ciblé est effectivement un cheval de Troie, comme dit Eric Woerth, qui ouvrirait une brèche très inquiétante, car le rôle du gendarme des assurances n’est pas de protéger les assureurs contre les assurés mais plutôt de protéger les assurés contre les assureurs, surtout quand les droits de ces assurés ont été confirmés par la justice. Et ce serait d’autant plus choquant si un tel stratagème était utilisé pour refuser d’indemniser les derniers détenteurs de contrats à cours connus alors que d’autres assurés privilégiés auraient pu bénéficier de conditions d’indemnisation bien plus équitables. Selon des informations sur lesquelles nous sommes en train d’enquêter, il se pourrait en effet qu’Aviva ait accordé des indemnisations plutôt généreuses à quelques détenteurs de ces contrats à cours connus, dans des conditions de favoritisme totalement opaques.
Menace n°5 – Le blocage possible d’autres supports d’assurance vie (immo comme dans le passé avec les contrats Acavi)
Le problème est qu’avec cette nouvelle lecture des possibilités de blocage ciblé de certains contrats embarrassants pour aider les assureurs à ne pas les honorer, les modifications de la Loi Sapin 2 font aussi peser une menace sur les unités de compte que les assureurs et les pouvoirs publics tentent de promouvoir. A partir du moment où la possibilité de blocage ciblée pourrait être utilisée pour bloquer les contrats à cours connus, sous prétexte qu’un assureur se plaindrait de difficultés à les honorer sans faire peser un risque sur les assurés de ses autres contrats, rien n’interdit de penser que le gendarme des assurances pourrait accorder les mêmes possibilités de blocage ciblé sur des unités de compte contenant des actifs peu liquides que les assureurs seraient incapables de vendre pour faire face aux demandes de retraits ou d’arbitrages de leurs souscripteurs. On pourrait imaginer ce type de situation pour les unités de compte en fonds immobiliers du type SCI ou SCPI qui sont de plus en plus vendus dans le cadre de contrats d’assurance vie multisupports alors qu’ils ne sont absolument pas liquides en cas de demandes de retraits massives, comme cela avait été le cas dans les années 1990 avec les contrats d’assurance vie à capital variable investis dans l’immobilier, les fameux contrats Acavi.
On voit finalement que les modifications de la Loi Sapin 2 laissent transparaître en filigrane beaucoup plus de menaces pour l’assurance vie qu’on pouvait le craindre de prime abord, pas tellement pour les fonds en euros, mais plutôt sur les contrats multisupports. Au final la Loi Sapin 2 fait peser trois menaces, et plus seulement une, sur l’assurance vie, en plus des aléas liés à l’évolution des taux d’intérêt : 1/ La menace de blocage des fonds en euros, qui, même si elle est peu probable, est utilisée pour pousser les épargnants vers des supports d’assurance vie plus risqués et avec trois ou quatre fois plus de frais, 2/ la possibilité de traitement discriminatoire à l’encontre des détenteurs des contrats multisupports embarrassant un assureur, comme la député Karine Berger l’a clairement expliqué en soutenant cet article 21bis de la Loi Sapin 2, et 3/ la menace de blocage que cela implique pour n’importe quels supports en unités de compte dont les conditions contractuelles ou de marché embarrasseraient un assureur, qu’il s’agisse de fonds immobiliers, de fonds structurés, d’unités de compte obligataires ou en actions d’Alternext ou de PME non cotées.
Merci pour cet article extrêmement intéressant. Nous sommes en train de chercher un placement sans risque et nous entendons de la part des uns et des autres ( banquiers, courtiers se disant indépendants…) tout et n’importe quoi comme ce soir que la la loi SAPIN ne concernera que les fonds en euros. De votre article je comprends que ce n’est pas le cas. Faut il encore placer en assurance vie?
L’assurance vie en euros nous semble toujours un placement à privilégier pour la partie de votre patrimoine en placements sans risque, car elle n’a pas de meilleur concurrent. Même peu probables à nos yeux, les risques de restriction de retraits sont cependant à prendre en compte et à surveiller en cas de hausse des taux (on en reparlera à ce moment-là). Quand à l’assurance vie multisupports en UC, chacun est libre de ses choix, ces articles peuvent vous y aider : L’assurance vie en euros plus rentable que les multisupports boursiers ou à promesses et Comment éviter les mauvaises assurances vie et choisir un bon contrat ?
Comme j’expliquais sur BFM Business TV et dans cet autre article Faut-il s’inquiéter pour ses placements en assurance vie ? les inquiétudes justifiées sur l’assurance vie sont exploitées de façon exagérées pour faire peur aux épargnants, par des gens voulant capter leur attention et leur argent, pour leur vendre des placements rapportant plus de commissions.
Suivre leurs conseils n’est pas forcément dans votre intérêt.
Personnellement je ne les suis pas.
Je garde mes contrats d’assurance vie exclusivement en euros d’un côté, avec mes placements boursiers hors assurance vie de l’autre, comme je l’explique aux abonnés à notre service d’information sur mesure Déontofi Bourse Expert 😉