Troisième partie des extraits de l’audience du 6 novembre 2013 devant la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Paris qui doit rejuger les accusations d’abus de bien social dont Jean-Marie Messier a été reconnu coupable par le jugement du 21 janvier 2011. (Tout le feuilleton ici)
Après le souvenir difficile des jours où les administrateurs de Vivendi ont obtenu sa démission après avoir échoué à le révoquer, l’audition de Jean-Marie Messier par la présidente Mireille Filippini éclaire le public sur les moeurs d’un conseil d’administration et d’un cabinet d’avocats réputés.
– J’ai envie d’aller me battre devant les actionnaires, projet contre projet, reprend Jean-Marie Messier. Mais je me rends compte que je suis déjà battu sans pouvoir me battre. Il y a une menace de démission collective des administrateurs américains. Je n’aurais pas tenu et fait courir des risques à mon groupe.
– Vous leur téléphonez en disant que vous acceptez de démissionner à condition d’être traité comme Bronfman, ils disent ne pas être courant de son contrat de travail et termination agreement.
– C’était Seagram, intervient un avocat de l’ex-PDG.
– Vous permettez, c’est quand même Vivendi qui a payé, rectifie la magistrate avant de reprendre son audition de Jean-Marie Messier. Vous dites « je ne demanderai rien de plus qu’Edgar Bronfman ».
– A ce moment, comme vous imaginez, je suis seul chez moi, à la campagne, ma famille aux Etats-Unis. Je ne suis pas à mon bureau, je suis complètement anéanti. Si j’ai pris la référence à Edgar Bronfman c’est pour deux raisons. Premièrement c’est la seule référence que j’aie, deuxièmement je n’ai pas failli.
– Le 14 décembre 2001, le conseil d’administration prend note de la démission d’Edgard Bronfman à compter du 6 décembre, quel était le juste motif justifiant sa démission ? reprend la magistrate en replaçant cette question dans le contexte de l’abus de bien social poursuivi. Il est indiqué dans le terminator agreement qu’il fait application de l’article 7 du contrat de travail en cas de démission pour juste motif, avec une liste de raisons, observe la magistrate : réduction du salaire de base ou de la prime sur objectifs, non augmentation, impossibilité de cotiser à un régime de retraite, requalification à un poste inférieur ou diminution de responsabilités, etc. Le contrat est reconduit sauf indication au moins 120 jours à l’avance, sinon le contrat est prorogé par tacite reconduction. Quel était son juste motif ?
– Je pense que Monsieur Bronfman pourra vous répondre, esquive Jean-Marie Messier.
– Dans le contrat c’est l’application de la clause E qui prévoit la liste des raisons de démissionner, intervient maître Francis Szpiner, un des trois avocats de Jean-Marie Messier.
– Ah ben oui ! Il y a toujours une bonne raison, constate la magistrate après examen de la liste des « bonnes raisons » prévues au contrat.
– Etre contraint à la démission, c’est une raison valable, insiste Maître Szpiner.
– Peut-être, mais ce n’est pas prévu au contrat, rétorque la magistrate souhaitant reprendre l’audition de l’ex-PDG.
– Le samedi je me suis fait chasser, poursuit Jean-Marie Messier. Je me retrouve sans rien, je n’ai pas de boulot et suis l’objet d’un lynchage médiatique. A ce moment « je pars pour que Vivendi Universal reste » comme je l’ai indiqué aux salariés et dans une interview au Figaro.
– Mais c’est vous qui dites avoir téléphoné au cabinet Prat, avocat de Vivendi Universal. Jean-François Prat est absent à cause du décès de sa mère, il a chargé un collaborateur de s’occuper du contrat. En tout, quatre cabinets d’avocats étaient chargés de rédiger ce contrat terminator en anglais car pour une société américaine.
– Je n’ai même pas fait ce que tout le monde aurait dû faire à ma place, prendre un avocat pour me défendre, plaide Jean-Marie Messier.
– Monsieur Licoys, semble-t-il, a évoqué ce problème, enchaîne la présidente en interpellant l’ex-directeur général du groupe Vivendi Universal, Eric Licoys.
– Jean-Marie Messier m’avait prévenu le samedi matin par téléphone et m’avait dit qu’il me protègerait, se souvient Eric Licoys. Nous avons un rendez-vous dans son bureau lundi matin où il me dit que le contrat a été rédigé par les avocats. C’est un document en anglais, complexe, assez généreux. On me demande de le signer et je refuse. Il y avait le collaborateur de Jean-François Prat qui me dit « oui il faut signer, vous recevrez les éclaircissements de Viénot et Bronfman ». A l’époque, Mr Viénot était le spécialiste qui donnait des leçons de gouvernance à tout le monde, et si Bronfman était d’accord, comme il était le principal opposant à Jean-Marie Messier, il avait dû revoir ce contrat. Je me suis aussi interrogé sur mon sort.
– Il était écrit dans votre contrat que vos fonctions dureraient aussi longtemps que celles du président, rappelle à ce propos la présidente.
– Lachmann, dans l’après-midi, me dit : « tu n’es pas du tout viré, on te garde, on a besoin de toi ».
– Que faisiez-vous ? s’enquiert la présidente.
– J’étais président du groupe Havas qu’on avait transformé, puis quand il y a eu la fusion avec Seagram, le conseil m’a demandé de gérer les synergies pour faire des économies sur les dépenses.
– Vous n’avez pas participé aux négociations, reprend la présidente à propos du départ de Jean-Marie Messier. On vous présente ce contrat une première fois, vous dites que vous ne voulez pas le signer. Mais l’avez-vous lu ?
– Oui, c’était assez ardu mais ça ne me choquait pas car Prat m’a dit « ça va être soumis au conseil d’administration ».
– Dans une déclaration vous dites « Monsieur Messier m’a dit qu’il pensait que le contrat de Prat n’avait pas besoin de passer par un avis du conseil d’administration », rectifie la magistrate.
– Prat me dit « ne vous en faites pas, le conseil d’administration sera convoqué », réplique Eric Licoys, confirmant les double-jeux équivoques que révèlent ces recoupements.
– Mais enfin, on décide de maintenir la rémunération de Mr Messier jusque fin décembre et personne ne pipe mot, c’est assez surréaliste, observe la magistrate.
– On se connaît depuis 1990, il y avait un nouveau président qui arrivait avec toute son équipe, c’était à eux de me dire ce qu’il y avait dans ce contrat qu’on m’a fait signer sur ordre, s’agace courtoisement Eric Licoys.
Alors que la tension monte, un téléphone sonne et la présidente rabroue vertement son propriétaire sans le voir. C’est celui du gendarme. Son embarras déclenche une brève raillerie des avocats, l’instant d’une distraction qui relâche la tension.