Première partie de l’audience du 13 novembre 2013 devant la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Paris, qui rejuge les délits reprochés aux dirigeants de Vivendi en marge de sa débâcle. (Tout le feuilleton ici)

Guillaume Hannezo, l'ex-directeur financier de Vivendi, à la sortie de l'audience devant la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d'appel de Paris en novembre 2013. (photo © GPouzin)

Guillaume Hannezo, l’ex-directeur financier de Vivendi, à la sortie de l’audience devant la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Paris en novembre 2013. (photo © GPouzin)

La présidente lit la déclaration de l’analyste financier qui menaçait de dégrader la note financière de Vivendi, suite à l’acquisition d’USA Network, si Vivendi n’effectuait pas 2 milliards d’euros de cessions d’actifs au 1er semestre 2002. Puis elle relit le communiqué de presse du 17 décembre 2001 sur cette opération, dont elle note qu’il ne mentionne pas la vente du bloc d’actions d’autocontrôle, car l’information est réputée confidentielle, et qui mentionnait seulement des « cessions d’actifs ». La présidente évoque ensuite les détails du contrat d’achat signé par Vivendi Universal avec Deutsche Bank et Goldman Sachs pour la cession d’un bloc de 55 millions d’actions, soit environ 7% du capital. La Société générale, qui était la première banque de Vivendi, a aussi indiqué avoir été sollicitée. Le projet initial portait sur la cession de 34 millions d’actions pour un milliard d’euros, selon une note du 13 décembre actualisée au 17 décembre. La présidente cite encore une déclaration de Laurence Daniel, qui travaillait au service de relation avec les investisseurs de Vivendi : quand Vivendi Universal avait annoncé cette cession, elle avait reçu de nombreux appels d’actionnaires inquiets. Concernant l’incidence de cette information sur le cours du titre, la présidente note qu’il s’est écroulé comme on pouvait le prévoir, à compter de l’annonce de l’opération le 7 janvier 2002. Dès le 10 décembre 2001, Mr Philippe Altuzarra de Goldman Sachs s’inquiète dans un mail à Vivendi de l’impact négatif de cette vente d’actions sur le cours en exprimant sa crainte que le marché soit désagréablement surpris. François Blondet (le trésorier adjoint), adresse aussi un mail le 4 janvier à Guillaume Hannezo, relatif à un ordre de Jean-Marie Messier d’acheter 500 000 actions.

Monsieur Hannezo, vous avez indiqué que le 21 décembre vous ne saviez pas qu’il allait y avoir cette vente de titres. Vous indiquez que la baisse du cours est liée à l’annonce des difficultés d’AOL Time Warner. Puis vous avez expliqué que vous avez cédé vos actions par la levée de stock options pour des raisons fiscales. Contactés en mars 2001, les fiscalistes du groupe vous avaient assuré que la plus-value sur les stock-options aux Etats-Unis seraient calculée au prorata des jours passés sur le territoire américain, procurant une économie d’impôt considérable par rapport à la fiscalité française sur les ventes d’actions reçues en exerçant des stock-options avant cinq ans. Vous indiquez que n’ayant pas l’argent vous avez emprunté pour lever vos options et réalisé une plus-value de 1,390 million d’euros taxée à 10% conformément à la législation américaine.

Voilà, monsieur Hannezo, les faits qui vous sont reprochés.

Quelle explication avez-vous sur votre connaissance de cette information et son caractère privilégié ?

–         C’est une accusation qui correspond à ce que l’on peut faire de pire dans ce métier, et qui m’est jetée puis reprise depuis douze ans, commence Guillaume Hannezo. C’est la seule cession de stock options de ma vie, je n’en avais pas avant et n’en ait pas eu après. C’est le seul moment de l’année où il était recommandé de vendre ses actions car précisément il n’y avait pas d’information privilégiée par rapport à la période des résultats, en plus du fait que l’on négociait en permanence des opérations financières. La fin 2001 correspond à un moment où cette activité frénétique se calme. Nous avions indiqué aux agences de notation notre stratégie de désendettement. L’opération était incertaine dans son montant et sa contrepartie.

–         Mais susceptible d’avoir une influence sur le cours, observe la présidente.

–         C’est surtout le cœur du sujet, car tout a été fait pour ne pas avoir d’influence sur le cours. Si on vend trop on risque de créer un overhang, expression de marché qui se traduit par « surplomb ». Si le trésorier de Vivendi Universal s’était mis à vendre à 60€ par action en mettant des petits ordres sur le marché comme Guez l’avait fait à l’achat.

–         C’était quand même de gros ordres, rappelle la présidente, puisque Mr Guez a acheté 23 millions d’actions entre le 17 septembre et le 2 octobre.

Guillaume Hannezo, ex-directeur financier de Vivendi, accusé d'avoir contribué avec Jean-Marie Messier à l'information trompeuse des actionnaires sur les difficultés du groupe. Dessin ©Yanhoc

Guillaume Hannezo, ex-directeur financier de Vivendi, accusé d’avoir contribué avec Jean-Marie Messier à l’information trompeuse des actionnaires sur les difficultés du groupe. Dessin ©Yanhoc

–         Là il y en avait 55 millions, poursuit Guillaume Hannezo. Aussi habile qu’il soit, il y avait un risque que le marché considère qu’il y avait une offre trop importante de titres à 60 €. Pour ce type d’opération il ne faut pas seulement se contenter de mettre des titres dans le carnet d’ordres, il faut avoir un réseau et appeler les clients. Statistiquement, l’opération n’a alors pas d’impact sur le cours.

–         Vous dites que vous étiez en vacances et n’étiez pas joignable, relance la présidente. Où étiez-vous ?

–         Je faisais du trecking à Madère. Je fais tous les ans de la marche à la même époque à différents endroits. J’ai dû avoir un ou deux coups de fil avec le bureau sans m’occuper des détails.

–         Mais vous ne pensiez pas avoir une information confidentielle par rapport à septembre quand vous annonciez une annulation d’actions relutive pour les actionnaires ? Annulation qui n’a jamais eu lieu, rappelle la magistrate, information que vous auriez pu donner au public le 17 décembre. C’est à ce propos que Mr Bronfman va répondre, quand il est interrogé sur la défiance envers Jean-Marie Messier : « cela a vraiment commencé avec la vente de 55 millions d’actions à Goldman Sachs et Deutsche Bank, ce qui a eu un effet terrible pour le marché et, sincèrement, la société ne s’est jamais remise de cette manœuvre ».

–         Cette date est facile car elle correspond au point de retournement du cours et au départ d’Edgar Bronfman, répond Guillaume Hannezo, On comprend qu’il regarde la courbe à partir de là, mais ce n’est pas une analyse causale, c’est aussi le moment où AOL Time Warner annonce ses pertes.

–         Vous n’êtes pas AOL Time Warner, recadre la magistrate.

–         Mais c’était l’objet auquel le marché nous comparait, maintient Guillaume Hannezo. Entre janvier et avril 2002, Vivendi Universal ne baisse pas plus que ses comparables, l’échec du placement de l’autocontrôle est un événement parmi d’autres.

L’ex-directeur financier explique ensuite en quoi cette opération de cession d’actions était plus avantageuse pour les actionnaires que l’annulation de titres initialement envisagée, car cela permet d’économiser les intérêts sur les 3 milliards d’euros d’emprunts remboursés grâce à la revente sur le marché des actions d’auto-contrôle achetées d’abord pour réguler le cours, puis pour le faire monter en déclarant qu’elles seraient annulées.

Guillaume Hannezo donne enfin de nombreux exemples de mise sur le marché par prise ferme et conclut qu’il n’y a statistiquement pas d’impact puisque le cours varie en moyenne très peu dans un sens ou dans l’autre pour un cas sur deux. « Si Goldman Sachs a accepté la prise ferme le 6 janvier 2002 (NDLR en achetant d’un coup 55 millions d’actions Vivendi à 60 €), ce n’était pas pour nous faire plaisir mais pour gagner de l’argent parce qu’ils pensaient les revendre plus cher dans la nuit à ses clients », résume l’organisateur de cette vente.

Un commentaire

  1. Mécheri, le

    Au cas particulier, il est infiniment curieux que l’on ne s’intéresse aucunement aux Goodwill ( écarts d’acquisition ) lors de l’acquisition de la société canadienne Seagram, dont le capital était majoritairement détenu par des fonds américains.
    En effet, selon un ancien auditeur, cette entreprise Seagram – dont les activités étaient peut-être assez éloignées de l’objet social de Vivendi – aurait été avec à un prix dépassant plus de la moitié de sa valeur réelle !
    D’où, une provision pour dépréciation des titres Seagram de pas moins de 16 Milliards sur une valorisation de 30 Milliards, et ce dès la 1ière année …
    Aussi, ne serait-ce pas là …. la cause directe et essentielle de la fuite des initiés, par nature ( hedge-funds et autres fonds institutionnels ) ? … laquelle fuite des institutionnels auraient dans son sillage entraînée la descente vertigineuse du titre Vivendi.
    D’où, cette réalité établie quant à l’un des manquements reprochés, consistant à ne pas avoir explicitement informé le petit actionnaire Lambda de la chute programmée du titre ???
    En définitive, espérons qu’une bonne administration de la Justice nous indiquera prochainement si , au cas particulier, on a volontairement cherché « à noyer le poisson » ou bien si, par extraordinaire cet argument serait qualifié d’inopérant ou mieux encore de « farfelu » …
    Cordialement

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