Sommaire :

  1. Règlementation et déontologie financière : Les bonus poussent au crime sans crainte de sanctions.
  2. Déontologie financière et santé au travail : Une émulation interdite aux Caisses d’Epargne.
  3. Visites mystères : Comment sont vendus les placements ?La déontologie financière en procès : jurisprudence, audiences et sanctions.
  4. Société de gestion – suivi des investissements, dispersion des risques et gestion des conflits d’intérêt chez OFI AM.

1.      Règlementation et déontologie financière : Les bonus poussent au crime sans crainte de sanctions

Dans la finance, les bonus incitent souvent à faire passer la déontologie et le respect des règles au second plan pour satisfaire les objectifs de profits : 30% des professionnels de la finance affirment ainsi que leur structure de rémunération ou de bonus les pousse à faire des compromis avec les règles d’éthique ou à enfreindre les lois, selon un sondage réalisé cet été, par le cabinet d’avocats Labaton Sucharov (www.labaton.com ), auprès de 500 financiers à la City et à Wall Street.

De plus, un quart des financiers en Angleterre et aux Etats Unis ont été témoins d’actes répréhensibles sur leur lieu de travail. Ils estiment même ce mal nécessaire: 24% pensent que les professionnels de la finance doivent parfois avoir des activités non éthiques ou illégales pour réussir.

De l’assistance à l’évasion fiscale, au blanchiment en passant par les délits d’initiés et manipulations de marché, comme le scandale du Libor, la généralisation des entorses à la loi et à l’éthique s’explique aussi par l’absence de sanctions. La peur du gendarme fait sourire : seuls 30% des professionnels de la finance croient que la SEC (www.sec.gov), le gendarme de la Bourse américaine et la Serious Fraud Office Britannique (www.sfo.gov.uk) dissuadent, contrôlent et poursuivent réellement les délits.

On aurait tort de croire la France à l’abri de telles dérives : près de 58% des salariés de banque déclaraient devoir faire des choses qu’ils désapprouvent dans leur travail, selon un sondage réalisé par le SNB (lire La Lettre de la Déontologie financière n°2 du 31 janvier 2012). Une réalité confirmée par la condamnation récente des méthodes de management pas très déontologiques des Caisses d’Epargne (lire ci-dessous).

 2.      Déontologie financière et santé au travail : Une émulation interdite aux Caisses d’Epargne.

Obnubilés par la course aux profits, les banques mettent en place des organisations du travail qui poussent leurs salariés à tirer le maximum d’argent de leurs clients au mépris des règles déontologiques et de protection des épargnants, et au péril de leur santé. C’est la morale du  jugement du tribunal de grande instance (TGI) de Lyon rendu le 4 septembre 2012 à l’encontre des Caisses d’Epargne Rhône Alpes Sud.

Depuis 2007, les responsables régionaux de ces Caisses d’Epargne avaient mis en place une méthode de gestion des performances des salariés dite de « benchmark » (parangonnage est le terme exact en français) consistant à mettre en compétition permanente les salariés avec leurs homologues, et les agences entre elles. La part de rémunération variable des salariés dépendait directement de leur capacité à vendre plus que leurs collègues. Alors que le site web de l’Ecureuil se vante de «répondre au mieux à vos besoins », la satisfaction des clients ne comptait que pour 5% dans la note du salarié. La pression devenait telle que les salariés renonçaient à demander le paiement des heures supplémentaires, ou rognaient sur leurs congés pour vendre toujours plus et garder leur emploi. Saisi en mai 2011, le Tribunal a jugé que « l’organisation collective de travail basée sur le benchmark compromet gravement la santé des salariés» ajoutant qu’il s’agissait d’une « incitation pernicieuse à contourner la réglementation pour faire du chiffre ». Le tribunal interdit à la banque d’utiliser cette méthode de gestion et la condamne à verser 10 000 euros de dommages et intérêts au syndicat SUD, qui invite les salariés personnellement victimes de cette méthode à réclamer leur propre dédommagement sur la base de ce jugement.

 3.       Visites mystères : Comment sont vendus les placements ? 

Alors que 70% des épargnants s’adressent à leur banquier pour choisir un placement (source Credoc 2011), bien les conseiller n’est pas un travail facile, surtout si l’on doit leur vendre des produits dont les frais compensent la gratuité illusoire du conseil. Les conseillers-commerciaux doivent souvent faire le grand écart entre les obligations réglementaires et les objectifs de vente (lire ci-dessus le cas des Caisses d’Epargne). L’article L.533-13 du Code monétaire et financier les oblige à s’enquérir «  auprès de leurs clients, notamment potentiels, de leurs connaissances et de leur expérience en matière d’investissement, ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs, afin de pouvoir leur recommander les instruments financiers adaptés ». Ils doivent aussi donner des informations complètes en s’abstenant « de mettre l’accent sur les avantages potentiels sans indiquer aussi les risques », en vertu de l’article 314-11 du règlement général de l’AMF

Pour évaluer les conditions de vente des produits financiers, l’AMF a réalisé 540 visites « mystères » dans les agences de 11 réseaux bancaires, en 2010 et en février 2012. Les « visiteurs » se présentent avec un profil très précis (père de deux enfants, héritier de 68 00 euros à placer…) et un scenario « risquophobe » ou « risquophile ».

Premier constat : les conseillers suivent la mode du moment. En 2012 les « risquophobes » sont orientés vers les produits bancaires (livrets, comptes à terme, etc.) et parts sociales (pour les réseaux mutualistes). Un choix approprié qui sert aussi le besoin urgent des banques de renforcer leurs fonds propres. Deux ans plus tôt, la mode était à l’assurance vie, plus rémunératrice en commissions. Avec un peu de mémoire, on se souvient des « campagnes commerciales » antérieures, pour attirer vers l’assurance vie l’épargne des PEL nouvellement taxés en 2005, puis vers les contrats multisupports en 2006 (avec la Loi Fourgous).

Deuxième constat : la présentation des produits est toujours déséquilibrée entre les avantages mis en avant et les inconvénients moins expliqués. Les conseillers sont aussi réticents à détailler les frais. Une courte majorité indique spontanément les frais, mais oublie neuf fois sur dix de mentionner les frais de gestion ponctionnés chaque année sur l’épargne, pour ne parler que des frais d’entrée ou sur versements.

4.      La déontologie financière en procès : jurisprudence, audiences et sanctions.

Société de gestion – suivi des investissements, dispersion des risques et gestion des conflits d’intérêt chez OFI AM. Commission des sanctions de l’AMF, du 20/9/2012.

I : Madoff, une confiance aveugle.

Un fonds de fonds est un fonds d’investissements qui, au lieu d’acheter des titres sur les marchés financiers, confie la majorité de l’épargne de ses clients à d’autres fonds. Cette pratique, autrefois interdite, est devenue le fond de commerce d’une industrie florissante. OFI AM gérait ainsi le fonds Oval Alpha Palmares (OAP) en replaçant l’argent collecté dans d’autres fonds, notamment dans Herald USA, un fonds de Bernard Madoff, de juin 2006 à fin 2008. « Le risque Madoff représente 3,7% des actifs », précisait à l’époque Thierry Callault, directeur général délégué, au Figaro (22/12/2008). OFI AM n’a jamais vraiment vérifié ce qu’il advenait de l’argent de ses clients confié à Madoff.

II : Ratios de dispersion des risques, la « patate chaude ».

Se « refiler la patate chaude » consiste à se débarrasser de quelque chose qui gêne en le vendant. La crise financière de 2008 a révélé des exemples de cette pratique. Chez OFI AM, Oval Palmarès Europe (OPE) est un fonds de fonds de trésorerie «  alternative » pénalisé par deux fonds à son actif : Elgin Corporate Credit et Eden Rock Structured Finance, pris au piège des « subprimes ». Pour soulager ses clients coincés dans le fonds OPE dont les actifs sont invendables, OFI AM fait racheter leurs parts par le fonds Oval Alpha Palmarès, en juin 2008. Refiler des actifs invendables du fonds OPE au fonds OAP n’étant pas dans l’intérêt des porteurs de ce dernier, l’AMF a condamné OFI AM à 300 000 euros d’amende le 30 juin 2011, sanction contestée auprès du Conseil d’Etat.

Entre les actifs invendables d’OPE et ses investissements chez Madoff, le fonds Oval Alpha Palmarès a lui-même fait une indigestion de « patates chaudes ». Le fonds OAP a ainsi concentré bien plus de 10% de ses actifs sur un même placement (jusqu’à 23,87%) tout au long de 2008, avec des investissements représentant jusqu’à 40% des fonds dont il rachetait les parts, comme son fonds OPE en perdition. Comme dans l’affaire des parts d’OPE rachetées par Oval Alpha Palmarès, sanctionnée en 2011, OFI AM a fait souscrire jusqu’à 60% des parts d’Oval Alpha Palmarès lui-même, par un autre de ses fonds.

III : Conflits d’intérêts, des dirigeants très mutualistes.

Depuis sa création en 1971, la société Ofima Gestion, devenue Ofivalmo puis OFI AM, était contrôlée à 100% par une quinzaine de mutuelles dont la Macif (27%) et la Matmut (21,76%). L’affaire prospère et les dirigeants comprennent l’intérêt de s’y associer avec les salariés. Début 2007, alors que les mutuelles plus minoritaires (Maaf, FNMF,…) sont sorties du capital au profit d’un renforcement de la Macif et de la Matmut, les salariés et dirigeants ont acquis 25% d’OFI AM. En juin, les dirigeants montent un rachat de l’entreprise par les salariés (RES) en créant OFI RES, qui contrôle alors 29,4% d’OFI AM, les 70,6% restant étant répartis entre Macif et Matmut.  « Quand je l’ai proposé, sur 200 salariés, 160 sont entrés au capital de la société », précise Gérard Bourret, le directeur général. Dans ce contexte, les dirigeants lancent une émission de 600 000 obligations convertibles en actions, pour eux et d’autres salariés, ouverte jusqu’à fin août 2007. Sept mois après, six personnes souscrivent, dont quatre qui re-souscrivent. Au final, c’est une bonne affaire pour les salariés et dirigeants dont la participation au capital d’OFI AM augmente encore : « les 25% ont donné 40% », explique Gérard Bourret à la commission des sanctions. Ils les revendront quelques mois plus tard au profit d’une reprise à 100% du capital par la Macif et la Matmut. « On a libéré le LBO pour sortir les intérêts privés alors que les mutualistes montaient à 100% », résume Gérard Bourret, qui ajoute par ailleurs : « moi j’avais 3% du LBO, c’est tout ».

Points litigieux

Les faits exposés mettent OFI AM en porte-à-faux avec plusieurs règlementations et lois que les protagonistes n’auraient pas respectées.

Concernant le défaut de contrôle sur le placement Madoff.

L’article 313-54, alinéa VII, du règlement général de l’AMF prévoit que : « la société de gestion enregistre de manière adéquate et ordonnée le détail de ses activités et de son organisation interne ». Ce qui ne semble pas avoir été le cas concernant le contrôle nécessaire sur les investissements réalisés par les fonds de fonds chez Madoff.

L’article 411-34 de l’AMF précise par ailleurs que les comptes des fonds de fonds, comme des autres fonds et Sicav, « doivent être tenus de manière à permettre l’identification directe, à tout moment, de tous ses éléments d’actif et de passif ». Or, les actifs investis dans les placements de Madoff sont conservés par Madoff, au sein de sa société BMIS, ce qui ne permet pas à OFI AM « l’identification directe, à tout moment, de tous ses éléments d’actif « . L’article 412-2-2 alinéa 2°, prévoit encore que les actifs des fonds « sont conservés, au sens de l’article 323-2 du règlement de l’AMF, de manière distincte des actifs propres du conservateur et de ses mandataires ». Ce qui n’est pas le cas chez BMIS.

Concernant le dépassement des ratios d’investissement.

Les principes définissant les ratios d’investissement, que les sociétés de gestion doivent surveiller et ne pas dépasser, sont définis aux articles L214-1 et suivants du Code monétaire et financier. Des règles particulières sont déclinées à partir de ces textes, portant notamment sur des « ratios émetteur » (5, 10 et 40%), des « ratios d’actifs dérogatoires » (10%) et des « ratios d’emprise » (35%), pour éviter une concentration des risques sur un nombre trop restreint de lignes ou d’émetteurs. Les fonds mis en cause n’ont pas respecté ces ratios.

Concernant les souscriptions et attributions de titres d’OFI AM par les dirigeants.

En vertu des articles 313-18 et suivants du règlement général de l’AMF, « la société de gestion de portefeuille doit prévenir les conflits d’intérêts et, le cas échéant, les résoudre équitablement dans l’intérêt des mandants ou des porteurs. Si elle se trouve en situation de conflit d’intérêts, elle doit en informer les mandants ou porteurs de la façon la plus appropriée».

OFI AM n’a pas prévenu la situation de conflit d’intérêt alors qu’au regard de l’article 313-19 de l’AMF, les dirigeants qui pilotaient et profitaient de l’opération RES pouvaient avoir « un intérêt au résultat d’une transaction réalisée pour le compte de celui-ci qui est différent de l’intérêt du client au résultat ».

Cette procédure de détection des conflits d’intérêt aurait dû être écrite noir sur blanc, comme l’impose l’article 313-20 de l’AMF: « le prestataire de services d’investissement établit et maintient opérationnelle une politique efficace de gestion des conflits d’intérêts qui doit être fixée par écrit… ».

Concernant l’implication de dirigeants dans une émission de titres qu’ils supervisent et dont ils sont souscripteurs, l’article 313-21 du règlement de l’AMF oblige les sociétés de gestion à prendre : « des mesures visant à interdire ou à contrôler la participation simultanée ou consécutive d’une personne concernée à plusieurs services d’investissement (…) lorsqu’une telle participation est susceptible de nuire à la gestion adéquate des conflits d’intérêts ». Mesures qu’OFI AM et ses dirigeants n’ont pas prises.

Débat juridique

Qu’est ce que l’obligation de « due diligence » ?

Un contrôle rigoureux des « placements » proposés par Madoff aurait permis d’identifier leur vacuité. A défaut de pouvoir vérifier les caractéristiques réelles des fonds de Madoff, OFI AM aurait pu renoncer à y placer l’argent de ses clients, évitant ainsi la perte constatée fin 2008 avec la révélation de l’escroquerie. Pour sa défense, OFI AM fait valoir qu’elle n’a pas moins contrôlé la réalité des placements Madoff que bien d’autres banques et sociétés de gestion trompées par l’escroc. Elle estime avoir rempli ses obligations en rédigeant des rapports sur l’évolution de son placement Madoff. Les avocats de la défense dénoncent aussi « le flou » réglementaire qui ne définirait pas clairement les vérifications imposées aux fonds de fonds.

Le règlement COB n° 96-03 de la Commission des opérations de Bourse précisait pourtant depuis longtemps que « la sélection doit reposer sur l’application d’une série de critères quantitatifs et qualitatifs à des fonds cibles, de façon à établir une liste des fonds éligibles. A partir de cet univers d’investissement possible sont déterminés les investissements effectifs qui doivent faire l’objet d’un suivi permanent (contacts périodiques, visites…) ».

A quoi servent les ratios de dispersion des risques?

Pour limiter les risques dans les fonds, le règlement de l’AMF leur interdit d’investir plus de 10% de leurs actifs dans un même placement. De même, il leur est interdit de détenir plus de 35% des titres d’une même société ou d’un autre fonds. Ces proportions ont été largement dépassées par les fonds mis en cause. OFI AM ne conteste pas ces dépassements mais déclare les avoir fait dans l’intérêt des porteurs, pour permettre des retraits de certains fonds dont les actifs étaient invendables. L’AMF conteste l’intérêt que d’autres fonds d’OFI AM avaient à souscrire les parts des fonds en difficulté, au détriment de leurs propres porteurs, et en tous cas en infraction avec les ratios prudentiels qu’ils devaient respecter.

Qu’est-ce qu’un conflit d’intérêt ?

L’émission de titres réservée aux salariés est contestée en raison de son opacité dans un contexte de conflit d’intérêt des dirigeants mis en cause. « Nous avons gardé des obligations convertibles pour associer le maximum de collaborateurs », justifie simplement Gérard Bourret, directeur général d’OFI AM. Vu autrement « les dirigeants ont fait du portage pour un montant très déterminé d’avance pour des collaborateurs non déterminés », analyse le président de la Commission des sanctions de l’AMF.  Concrètement « les dirigeants ont acheté et revendu, et racheté à certains collaborateurs quittant l’entreprise », précise un avocat. Or, le directeur général qui présidait à toutes ces décisions était aussi bénéficiaire de l’opération, actionnaire d’OFI AM, gérant du fonds d’actionnariat salarié, membre du comité chargé de la répartition entre les salariés et les dirigeants des titres qu’il possédait lui-même pour en redistribuer. Administrateur du groupe Matmut, il est aussi potentiellement en situation de conflit d’intérêt quand l’assureur décide d’augmenter sa participation au capital d’OFI AM, concrétisant sa plus-value personnelle.

Cette situation de conflit d’intérêt aurait pu être gérée si elle avait été identifiée et déclarée, mais les dirigeants mis en cause ont considéré au contraire qu’elle devait avoir un caractère confidentiel. « OFI AM ne prévient pas le contrôle interne, considérant l’opération comme non significative, alors qu’il aurait pu empêcher la mise en situation de conflit d’intérêt. Gérard Bourret et trois personnes couvrent le dispositif », entend-on à l’audience. « Est-ce cohérent avec rigueur, professionnalisme, respect des procédures ? », interroge un membre de la commission des sanctions.

« C’est le collectif de salariés qui, suite aux licenciements, a fait une dénonciation », suspecte Gérard Bourret à l’audience, laissant suggérer que tous les salariés-actionnaires n’y ont pas trouvé leur compte. Pour l’ensemble des infractions relevées en contrôlant ces opérations, l’AMF requiert un blâme et une nouvelle sanction de 500 000  euros pour OFI AM, ainsi qu’un avertissement et des sanctions individuels de 60 000 euros pour Gérard Bourret et Thierry Callault, qui a quitté l’entreprise début 2012. Un an après la sanction de 300 000 euros prononcée à l’encontre de la société de gestion « le chevauchement des deux procédures et le blâme laissent penser que l’AMF considère OFI AM comme un délinquant » analyse un avocat lors de l’audience, perspicace. Verdict en octobre.

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