Après neuf ans de procès, la Cour d'appel de Paris a condamné sans équivoque le détournement des profits sur les assurances décès revenant aux emprunteurs. Voici ce que disent les juges de cette magouille entre banquiers et assureurs. (photo © GPouzin)

Après neuf ans de procès, la Cour d’appel de Paris a condamné sans équivoque le détournement des profits sur les assurances décès revenant aux emprunteurs. Voici ce que disent les juges de cette magouille entre banquiers et assureurs. (photo © GPouzin)

Treize ans après la révélation de cette magouille clandestine, au terme de neuf ans de procès, la Cour d’appel a condamné sans équivoque le détournement des profits réalisés sur les assurances décès, surfacturées aux emprunteurs, que les banques et les assureurs se partageaient entre eux, plutôt que de les reverser aux clients comme elles auraient dû le faire.

Il a fallu bien de la patiente et de la persévérance aux consommateurs victimes de la malhonnêteté des bancassureurs, pour obtenir la reconnaissance du détournement d’argent organisé à leurs dépens sur les assurances décès incapacité invalidité liées à la souscription d’un crédit.

L’arrêt de la Cour d’appel du 17 mai 2016, condamnant la CNP Assurances et Cofidis, est à ce titre symptomatique de la capacité des institutions financières à épuiser toutes les ficelles judiciaires pour maquiller la vérité au détriment de leurs victimes, avec une impayable mauvaise foi.

Neuf ans de combat judiciaire du pot de terre contre le pot de fer !

L’affaire arrive en justice le 19/9/2007, quand le souscripteur d’un prêt Cofidis assigne cette dernière devant le tribunal, ainsi que la CNP Assurances, pour obtenir le paiement de la participation aux bénéfices sur l’assurance de son crédit. Il est vite rejoint par l’Union Fédérale des Consommateurs UFC Que Choisir, qui s’invite au procès avec une autre cliente, victime du même détournement de la CNP après avoir souscrit un prêt Cofidis.

L’assureur et l’établissement de crédit tentent d’abord d’empêcher le procès, en déclarant l’assignation de leurs clients et de l’association de consommateurs irrecevable. Ils gagnent du temps (deux ans !), mais l’intervention volontaire de l’UFC Que Choisir est finalement déclarée recevable par un jugement du 29/6/2010.

Le tribunal de grande instance de Paris, dans sa grande prudence, suspend néanmoins la tenue du procès (deux ans de plus !), en attendant l’avis du Conseil d’Etat sur la légalité d’un article du Code des assurances derrière lequel s’abritent les assureurs pour escamoter l’argent des assurés.

Dans sa version d’avant le 23 avril 2007 l’article A331-3 du Code des assurances permettait en effet aux banques d’escamoter les bénéfices des contrats collectifs en cas de décès,, grâce à une rédaction dont Bercy a le secret pour protéger ses poulains de haut vol, en totale contradiction avec d’autres dispositions de ce Code. Le ministère des finances avait alors dû pondre une nouvelle mouture de cet article, excluant encore toutes les assurances décès, mais l’UFC Que Choisir avait bataillé jusqu’à ce que cette exclusion soit retirée, en demandant aussi au Conseil d’Etat de déclarer la version précédente illégale, ce qu’il fit, par un arrêt du 23 juillet 2012.

Cinq ans après l’assignation de la CNP Assurances et de Cofidis, leur procès pouvait enfin commencer. Le temps de relancer la procédure, de tenir l’audience et de délibérer, le TGI de Paris estimait finalement que les assignations étaient recevables, mais déboutait les consommateurs et l’UFC Que Choisir de leurs demandes, par un jugement du 23/9/2014. Les bancassureurs brandissaient ce jugement comme un trophée pour continuer à confisquer les bénéfices des assurances emprunteurs, au lieu de les restituer à leurs souscripteurs.

Heureusement, il en faut plus pour décourager les défenseurs des consommateurs de l’UFC Que Choisir et leur avocat, Me Nicolas Lecoq-Vallon, du cabinet Lecoq-Vallon Feron-Poloni. Dix jours plus tard, ils font appel de ce jugement, en réclamant cette fois :

Maître Nicolas Lecoq-Vallon, avocat. (photo © GPouzin)

Maître Nicolas Lecoq-Vallon, avocat défenseur des consommateurs, a obtenu la condamnation du détournement des bénéfices réalisés sur le dos des emprunteurs en leur vendant des assurances trop chères pour rémunérer clandestinement les banques. (photo © GPouzin)

– que la Cour d’appel reconnaisse que la participation bénéficiaire sur leur assurance n’a pas été versée aux souscripteurs,

– que la Cour juge que CNP Assurances a violé l’article R322-2 du Code des assurances,

– qu’elle reconnaisse que CNP Assurances et Cofidis ont violé leurs obligations d’information sur la participation aux bénéfices techniques et financiers ;

– qu’elle condamne CNP Assurances et Cofidis solidairement à payer respectivement 191,66 euros et 260 euros aux deux assurés, en plus de la « participation aux bénéfices à venir jusqu’à l’arrivée du terme du contrat d’assurance », correspondant aux « détournements opérés sur les primes non reversées » ;

– que la Cour condamne Cofidis et CNP Assurances à verser 10 000 euros de dommages et intérêts à chacun des deux assurés pour le préjudice moral (causé par ces longues années de procès), et à payer près de 4,3 millions d’euros à l’UFC Que Choisir au titre de dommages et intérêts en vertu de l’article L421-7 du Code de la consommation (qui prévoit la « réparation de tout fait portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs »).

La cause est juste, mais d’une technicité étourdissante. Heureusement, la Cour d’appel va tirer l’affaire au clair, et son arrêt nous aide à décrypter ce Code des assurances en français compréhensible :

« l’article L 331-3 du code des assurances prévoit que les entreprises d’assurances sur la vie ou de capitalisation doivent faire participer les assurés aux bénéfices techniques et financiers qu’elles réalisent », expliquent les juges ;

« l’article A331-4 du code des assurances dans ses versions successives (entre le 25 octobre 1995 au 27 juillet 2006 et actuellement) précise que (…) le montant minimal de la participation aux bénéfices à attribuer au titre d’un exercice est déterminé globalement à partir d’un compte de participation aux résultats (dont les modalités d’établissement sont ensuite précisées) », disent-ils encore ;

« l’article A 331-3 du code des assurances (déclaré illégal dans sa version antérieure à 2007) précisait que la participation aux bénéfices techniques et financiers des entreprises pratiquant des opérations mentionnées au 1° de l’article L. 310-1 s’effectue dans les conditions fixées à la présente section. Le montant minimal de cette participation est déterminé globalement pour les contrats individuels et collectifs de toute nature souscrits sur le territoire de la République française, à l’exception des contrats collectifs en cas de décès, le nouveau texte ne reprenant pas cette exception », précisent enfin les juges.

Dans ce contexte juridique, la Cour rappelle l’analyse des consommateurs selon laquelle le code des assurances « confère à l’assuré un droit individuel à participer aux bénéfices techniques et financiers, l’assuré ne pouvant être que l’emprunteur, qui bénéficie nécessairement d’un droit à percevoir une participation aux bénéfices, le contraire ne pouvant conduire qu’à une violation de la loi ».

Si les assureurs ont bien « une obligation de faire participer les assurés aux bénéfices techniques et financiers » soulignent les juges, le problème est que « la détermination de la somme à distribuer se faisant globalement, au moyen d’un compte de résultat établit au niveau de l’entreprise d’assurance et, non, contrat par contrat, la loi reste silencieuse sur son mode de distribution ».

Malgré ce flou juridique sur la distribution des bénéfices de l’assurance emprunteur, la Cour d’appel juge néanmoins que « ce droit discrétionnaire de l’assureur sur la répartition des fonds constitués par les bénéfices techniques et financiers ne peut conduire à leur attribution à ses partenaires commerciaux », reconnaissant ainsi l’illégalité du système de détournement mis en place à grande échelle par les acteurs du secteur.

Or, les juges relèvent que « CNP ASSURANCES fait l’aveu que cette participation aux bénéfices vient rémunérer les prestations de son partenaire commercial, soit des prestations d’apporteur d’affaires, ce qui contrevient aux textes susmentionnés, l’assureur ne pouvant distraire les bénéfices techniques et financiers pour rémunérer un de ses prestataires ».

Dans sa grande magnanimité, la Cour d’appel temporise cependant sur les condamnations, car le détournement organisé par la CNP au profit de Cofidis était couvert par le parapluie de l’article A331-3 illégal, dont l’illégalité n’a été officialisée par le Conseil d’Etat qu’en 2012. « Aucune faute ne pouvait être retenue à l’encontre de la SA CNP ASSURANCES ou de la SA COFIDIS pour la période antérieure à l’arrêt du Conseil d’Etat », notent ainsi les juges en avertissant que « seul le maintien de ce mode de rémunération de leur partenariat commercial, passé cet arrêt, est fautif ».

Au final, la Cour d’appel condamne la CNP Assurances et Cofidis à verser une indemnité de procédure de 5000 euros et 10 000 euros de dommages et intérêts à l’UFC Que Choisir, en plus de leur condamnation aux dépens engagés pour les procès de première instance et d’appel.

Si l’indemnité est symbolique, la victoire des consommateurs est claire : le détournement de la participation bénéficiaire des assurances emprunteur au profit des banques et des établissements de crédit est illégale, et la poursuite de tels détournements après juillet 2012 est fautive. C’est pourtant ce que laisse craindre Le Pavé de l’Assurance, au sujet d’opérations comparables répétées par le même assureur avec d’autres distributeurs de ses assurances décès. La CNP Assurances serait-elle récidiviste ? La justice le dira peut-être, mais prévoyez quelques années de délais.

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