Affolés en début de semaine par les risques de faillite des retraites complémentaires brandis dans les médias, les 30 millions de cotisants ou bénéficiaires des régimes Agirc-Arrco peuvent se rassurer en lisant notre décryptage du rapport de la Cour des comptes. Non, vos retraites ne vont pas s’écrouler. Oui, les régimes par répartition survivront à la crise qui les fragilise. Deontofi.com remet les pendules à l’heure.
Panique sur les retraites. Dès le lundi 15 décembre 2014, une fuite dans la presse au sujet d’un rapport alarmant de la Cour des comptes sur l’avenir des retraites a mis le feu aux poudres. Le soir même, aux heures de grande écoute, le traitement anxiogène de l’info achevait d’angoisser les téléspectateurs. « Sur France 2 au journal, Agirc et Arrco au bord de la faillite ! », m’interpelle un premier SMS. « Je m’inquiète pour ma retraite » m’indique un autre. «Ils vont réduire les retraites !», me prévient un troisième. « Les futures retraites ne cessent d’être « réduites » depuis trente ans, répondais-je. On cotise plus cher pour avoir moins de points, mais la retraite versée pour chaque point acquis, elle, n’a encore jamais baissé. On verra jeudi quand la Cour des comptes présentera son rapport ».
Jeudi 18 décembre, je me retrouvai donc parmi la cinquantaine de journalistes venus se presser à la conférence de presse donnée par Didier Migaud, le premier président de la Cour des comptes, pour présenter son rapport pour « Garantir l’avenir des retraites des salariés ». De la presse professionnelle d’information sociale jusqu’aux radios et télévisions nationales, la fuite du lundi avait sans doute aiguisé l’appétit des confrères.
A première vue, on n’apprenait pas grand chose de neuf, ou qui n’ait été déjà exploré et commenté, concernant les déficits de cotisations des régimes Agirc-Arrco, l’épuisement accéléré de leurs réserves financières, et le nécessaire ajustement permanent des paramètres permettant d’équilibrer le système et d’optimiser sa gestion pour lui éviter la déroute.
Quand on entendait parler, quelques jours plus tôt, de l’Agirc-Arrco « au bord de la faillite », la mise en scène du rapport semblait bien plus alarmante. Il est vrai que ce scénario éculé est souvent agité comme un chiffon rouge, avant les grandes négociations entre patronat et syndicats pour équilibrer les paramètres des régimes de retraite par répartition des salariés.
On peut le comprendre. D’un point de vue tactique, le discours catastrophiste n’a pas que des inconvénients pour les organisations patronales engagées dans ces négociations (sous-entendu : « c’est aux salariés et retraités de sauver leurs retraites, et pas aux employeurs de payer »), d’autant qu’il sert aussi le commerce des puissantes fédérations des banques et des assureurs FBF-FFSA (sous-entendu : « donnez-nous vos économies pour avoir une retraite sans souci car les régimes obligatoires ne vous donneront rien »), dont les représentants se retrouvent accessoirement en conflit d’intérêt dans la gestion paritaire des retraites par répartition.
D’un point de vue médiatique, il faut aussi admettre que le catastrophisme passionne souvent davantage les foules que les trains arrivant à l’heure. Nous n’aurions peut-être pas agi autrement à leur place, mais Deontofi.com ayant le goût du contretemps, nous traiterons délibérément ce fameux rapport sous un autre angle que celui dominant les médias.
Observons d’abord le diagnostic de la Cour des comptes dans un contexte historique. Certes, avec l’environnement économique dégradé par la crise depuis 2009, l’équilibre des retraites complémentaires par répartition est en danger. « L’Agirc et l’Arrco sont en déficit depuis 5 ans. Cela veut dire que, chaque année, elles versent plus de pensions qu’elles ne perçoivent de cotisations », explique Didier Migaud. Ce déséquilibre a atteint 4,4 milliards d’euros en 2013, soit plus de 6 % des retraites, payées en puisant dans les réserves pour palier le manque de cotisations. Résultat, « les réserves globales des régimes complémentaires pourraient s’épuiser en 2023 », poursuit le président. Et ce, dans l’hypothèse de la fusion en préparation du régime Agirc (cadres), avec le régime Arrco (tous salariés). Sans cela, l’Agirc serait à sec dès 2018. « Cette dégradation aboutit au constat d’une urgence inédite depuis 20 ans », insiste le premier président de la Cour des comptes.
On comprend bien l’urgence. Mais Didier Migaud le dit lui-même, cette situation « inédite depuis vingt ans », n’est pas nouvelle. Car les retraites complémentaires par répartition étaient effectivement confrontées à une situation et des perspectives, aussi sombres il y a vingt ans qu’aujourd’hui. Et elles ont survécu.
Pour mémoire, les Etats-Unis avaient connu une récession en 1990-1991 (presque simultanée avec leur première guerre d’Irak), puisant ses racines dans la spéculation des années 1980 et les faillites bancaires des Savings & Loans (caisses d’épargne) asphyxiées par leurs créances douteuses. Cette double crise économique et financière n’épargna pas la France, qui plongea en récession en 1993 et dû sauver in-extremis plusieurs banques et assureurs insolvables.
Tiens, ça vous rappelle quelque chose ? Pour sortir les Etats-Unis de leur récession de 2001, la Réserve fédérale baisse son taux d’intérêt (à 1% en 2003), les banques prêtent tant qu’elles peuvent à des emprunteurs bientôt étranglés par la remontée des taux de la Fed pour endiguer la spéculation (à 5,25% fin 2006). Collées avec leurs créances douteuses, les banques se retrouvent insolvables en 2008. La crise bancaire se mue en crise économique et les pays développés plongent en récession.
Si l’histoire ne se répète jamais vraiment, la recette des crises, elle, ne change pas beaucoup: les banques font marcher la planche à billet en gonflant leurs bilans de créances douteuses, leur insolvabilité tourne à la crise bancaire puis économique, la croissance et l’emploi payent les pots cassés, les cotisations manquent pour payer les retraites.
Bien sûr il y a urgence. Tout comme il y a vingt ans. Les sages de la rue Cambon savent bien que les régimes de retraites complémentaires ont survécu à cette situation alarmante. « Les régimes complémentaires ont réussi, grâce à des mesures de grande ampleur amorcées dès 1993, à connaître, entre 1998 et 2008, onze années d’excédents, c’est-à-dire à encaisser plus de cotisations qu’ils n’ont versé de pensions », confirme Didier Migaud en présentant le rapport de la Cour des comptes.
Peu de gens se souviennent des discours catastrophistes de l’époque. Pourtant « Le déficit entre les cotisations et les pensions était plus négatif en 1994 qu’en 2010 et, sans les réformes de l’époque, il aurait atteint 92 milliards d’euros de 1990 à 2007 », rappelait une intervenante syndicale lors d’une réunion d’information des administrateurs Agirc-Arrco à laquelle j’assistais le 20 novembre 2012.
Sans cette réforme, et sans un pilotage de leurs paramètres, pour s’adapter à leur environnement, les retraites complémentaires par répartition auraient évidemment fait faillite depuis longtemps. Mai ce scénario de non évolution menant à la faillite est absurde. Un peu comme si on vous disait que, « si rien n’est fait, dans dix ans il n’y aura plus de médecins en dehors des villes ». Ou, « si rien n’est fait, il manquera bientôt deux ou trois millions de logements, et les enfants seront 50 élèves par classe, etc ». Comme chacun sait, « si rien n’était fait pour les sauver, quelques grandes banques feraient faillite tous les dix ans ».
Ces scénarios catastrophe sont des constructions intellectuelles éclairant les décideurs politiques sur les actions nécessaires pour qu’il reste des médecins hors des villes, qu’on construise assez de logements et que l’on recrute assez d’instituteurs pour absorber l’accroissement de population. Et bien sûr qu’on sauve les banques moribondes. De même que l’absurde scénario d’immobilisme fatal aux retraites complémentaires éclaire les décideurs sur le nécessaire lissage de leurs paramètres pour les pérenniser. Comme bien d’autres catastrophes évitables, la faillite des retraites complémentaires par répartition n’est pas une prédiction de la Cour des comptes, et encore moins une fatalité.