Afer, épisode 2. Alors que l’association d’assurance vie Afer est en proie à la critique de nombreux adhérents, Deontofi.com revient sur la genèse de ce malaise : les magouilles des fondateurs charismatiques de l’Afer pour s’enrichir sur le dos des adhérents avec le soutien de leur assureur. Lisez le sommaire de notre dossier ici « Spécial Afer 2014 »

Les dissidents de l'Afer n'apprécient guère la main-mise de plus en plus flagrante d'Aviva sur les attributs de leur association d'épargnants. (photo © GPouzin)

Les dissidents de l’Afer n’apprécient guère la main-mise de plus en plus flagrante d’Aviva sur les attributs de leur association d’épargnants. (photo © GPouzin)

Avec des encours d’épargne supérieurs à tous les autres placements, proches de 1500 milliards d’euros mi-2014, l’assurance vie n’a pas toujours eu ce statut de placement favori des Français. Confidentielle dans les années 70, l’assurance vie n’a commencé à décoller que dans les années 1980. Même avec l’accroissement rapide des versements, compte tenu d’une base modeste, l’assurance vie réunissait à peine 136 milliards d’euros d’épargne fin 1990 (ou 892 milliards de francs ayant cours à l’époque). La progression de l’Afer témoigne de cette progression, d’abord laborieuse, puis très rapide, avant de ralentir : il a fallu dix ans à l’Afer pour attirer 70 630 souscripteurs (leur nombre en 1986), rejoints par plus de 400 000 autres les dix années suivantes (à 478 800 adhérents en 1996). La décennie suivant n’attire « que » 160 000 nouveaux clients (à 640 000 en 2006), et on compte à peine 90 000 supplémentaires depuis huit ans (à 730 000 en 2014).

Trois obstacles principaux freinaient l’engouement des épargnants pour l’assurance vie. La première, sans doute la plus dissuasive, avait trait aux frais cachés confiscatoires pratiqués à l’époque, appelés « frais précomptés ». L’astuce pour les assureurs consistait à rémunérer les distributeurs d’assurance vie avec une commission de vente prélevée à l’avance sur les versements futurs que les clients s’engageaient à faire. Si le client s’engageait par exemple à verser 1000 francs par mois pendant vingt ans avec 10% de frais précomptés, le « précompte » de frais versé au vendeur était de 24 000 francs, soit deux années d’épargne perdues. Le second repoussoir de l’assurance vie, aussi dissuasif que le premier, était la confusion entretenue par les assureurs entre l’assurance vie et l’assurance décès, au sein de contrats « mixtes ». L’assurance décès étant un contrat qui n’indemnise qu’en cas de décès, les primes versées chaque année pour cette garantie étaient définitivement acquises à l’assureur.

En répartissant les versements pour moitié en cotisations d’assurance décès, l’autre moitié étant épargnée en assurance vie, et le tout subissant des frais précomptés, les contrats « mixtes » réservaient de mauvaises surprises aux épargnants : ils cotisaient à fonds perdus plusieurs années avant de commencer à accumuler une épargne pour la retraite et, en cas de rupture de leur engagement de versement avant le terme du contrat, les pénalités étaient telles qu’ils ne récupéraient quasiment rien s’ils avaient besoin de leur argent après avoir épargné quatre ou cinq ans.

Le troisième inconvénient de l’assurance vie et qu’elle subissait une taxe de 5,15% s’ajoutant aux empilements de frais précités, qui amenuisait encore la part restant aux clients sur leurs versements.

Gérard Athias, André Le Saux, les deux dirigeants charismatiques, avec trois autres cofondateurs (Claude Gallet, Pierre Charpenel et Jean-Claude Lasserre), créent l’association Afer, le 16 juin 1976, dont l’astuce principale est de contourner cette taxe de 5,15% sur les assurances individuelles, en créant le principe de contrat « collectif » à adhésion individuelle. « Le génie de Gérard Athias, quand il créa l’Afer, fut de considérer qu’un système associatif paritaire permettrait de considérer le contrat non pas comme « individuel » mais comme « collectif », lui permettant ainsi d’échapper à la fameuse taxe. Il obtint l’aval du ministère des Finances et put ainsi concrétiser son idée »,rappelle ainsi notre confrère Jacques de Baudus, rédacteur en chef de La Lettre de l’Assurance (LLA n°1214 du 9 juin 2014) en fin connaisseur de l’affaire.

A cette époque, l’exonération de la taxe de 5,15% est un véritable atout pour le contrat d’assurance vie lancé par l’Afer. Ses performances financières sont aussi très attractives, même si elles doivent être mises en rapport avec l’inflation galopante amputant chaque année le pouvoir d’achat des épargnants. Mais les frais, en revanche, sont encore très pénalisants puisqu’ils sont « précomptés », comme sur les autres contrats, en fonction de l’engagement de versements périodiques des souscripteurs. « C’est ainsi que pendant six ans, de 1976 à 1982, le contrat Afer fut vendu avec un commissionnement unique l’année de souscription de 46%, soit 2,3% par an sur une durée de 20 ans » explique encore Jacques de Baudus dans La Lettre de l’Assurance (LLA n°1214 du 9 juin 2014).

Avec ses frais, l’Afer était une très bonne affaire pour ses fondateurs. Si l’objet initial de leur association à but non lucratif était « la défense de l’épargne sociale », les cinq compères avaient prévu par ailleurs leur intéressement à la réussite de cette entreprise financière : ils étaient associés de l’agence d’assurance qui distribuait l’Afer aux adhérents de leur association, leur rapportant de confortables commissions.

Cette approche de la « défense de l’épargne sociale » officiellement à but non lucratif était déjà contestable. Paradoxalement, alors que les caractéristiques du contrat d’assurance vie Afer, vont plutôt s’améliorer à partir de 1982, l’enrichissement de ses promoteurs va devenir de plus en plus opaque et contestable. A l’origine, les fondateurs touchaient des commissions sur les ventes de contrats Afer par le biais de « l’agence Athias, dont ils étaient tous coassociés via une société en participation occulte »,comme le raconte François Nocaudie, le courtier curieux et tenace ayant mis à jour le scandale de l’Afer, cité par Jacques de Baudus sur son blog (lire « Il était une fois l’assurance vie »). A partir du 1er juillet 1982, un nouveau système a été mis en place avec la création du groupement d’intérêt économique (GIE) Afer dont Gérard Athias devenait le président. « André Le Saux en devenait de son coté le consultant rémunéré à un niveau contractuellement équivalent, explique encore François Nocaudie. Aviva s’engageait simultanément à respecter entre les cinq anciens associés  une sorte de “clause de  la nation la plus favorisée”. Autrement dit, Aviva s’engageait, au cas où un intéressement serait accordé à l’un des cinq, à accorder le même intéressement aux quatre autres. »

Les fondateurs de l’Afer s’étaient déjà bien éloignés de l’idéal non lucratif qu’ils revendiquaient dans les statuts de leur association. Dix ans après sa création, Gérard Athias allait franchir une étape de plus, en se lançant dans la construction d’un édifice particulièrement scabreux pour s’enrichir en cachette sur le dos des épargnants adhérents de l’Afer. Une dizaine d’années après leur mise en place, ces magouilles étaient mises à jour : en 1997 le scandale de l’Afer éclatait.

Un commentaire

  1. BEOTIEN, le

    Si je comprends bien, sur la base de l’arrêt de la Cour de Cassation, le crime des fondateurs de l’Afer consiste à avoir caché à
    478 800 adhérents qu’ils s’etaient rémunérés de 17 292 290,73 € pour avoir géré pendant la quarantaine de milliards d’encours, soit 36 € par adhérent et 0,043 % de frais de gestion qui, reparti sur… disons dix ans, représente 0,004 % l’an ou 3,61 € par adhérent et par an. Voire 7,5 fois ça si on se réfère à leur condamnaton précédente par la Cour d’appel (« des sommes reconnues comme détournées, évaluées à 129 millions d’euros »).

    Qui dit mieux ? Quel gestionnaire de fond se rémunère aussi modestement,?

    Sans compter que si on rapporte ces montants à tout ce que les compères ont fait gagner à leurs adhérents par rapport aux contrats préexistant à l’Afer chez les assureurs « classiques » ceux-ci devraient leur élever une statue !

    Et que dire de l’ensemble des souscripteurs de l’assurance vie du pays qui, sans la révolution introduite par l’Afer en seraient encore à se faire spolier de leurs 2, 3… premières années de versements pour gagner l’honneur de s’en refaire prendre autant en frais de gestion et autres « chargements » techniques ou financiers sur leur contrat ?!

    Alors oui, les fondateurs de l’Afer ont eu le grand tort de cacher ce qu’ils auraient dû revendiquer comme un record de parcimonie au service de leurs adhérents, mais… puissent tant d’autres, assureurs, banquiers, gestionnaires de fonds – et pas que – de tous poils politiques inclus, être en situation de leur donner des leçons de transparence et d’éthique.

Laisser un commentaire