
Un conflit judiciaire oppose un entrepreneur octogénaire, condamné à s’acquitter de 7,7 millions d’euros pour un financement d’un million d’euros avancé par IVO Capital Parners, une société de financement de procédures judiciaires, ou « litigation fund ». Plongée dans les coulisses complexes de ce nouveau business, où les moindres virgules et petites lignes des contrats, peuvent faire perdre aux justiciables tout espoir d’indemnisation de leur préjudice, au profit des fonds venus à leur secours.
Quand Jacques-André Prévost, 83 ans à présent, obtient auprès de l’Etat du Cameroun, la concession de 44 000 hectares pour plus de trente ans dans la région de Garoua (province d’Adamawa), en janvier 2002, l’entrepreneur français entrevoit la réalisation d’un projet pilote destiné à changer les conditions de développement dans les savanes. Il souhaite impliquer la population locale, en grand état de pauvreté, dans le développement économique et social de cette région.
Malheureusement pour lui, le chef d’entreprise est exproprié de sa concession de Garoua par l’Etat du Cameroun à l’automne 2006 au motif que les travaux d’infrastructures n’auraient pas avancé assez vite. Dès lors s’engage une procédure judiciaire entre le Cameroun et l’octogénaire. Au total, ce dernier a subi 15 procès au Cameroun et les a tous gagnés. En outre, il a remporté 3 sentences devant la Cour internationale d’arbitrage, le 23 décembre 2014, le 20 octobre 2016 et le 22 septembre 2021, ainsi que les 5 arrêts contre les procédures en appel et en cassation diligentées par le Cameroun.
C’est lors de cette troisième et dernière sentence que son destin se noue. Jacques-André Prévost se trouve à court d’argent pour financer l’ultime défense de son projet pilote, baptisé Garoubé, contre l’Etat du Cameroun. Après avoir dépensé jusqu’alors 13 millions d’euros en procédures, il lui manque un peu plus d’un million d’euros. En effet, bien que l’Etat du Cameroun ait été condamné à lui rembourser ses frais dans les procédures qu’il a toutes remportées, ce mauvais payeur n’a pas versé un centime depuis plus de 10 ans. Ayant accompli en vain le tour des banques, son courtier en recherche de crédit bancaire l’informe de l’existence de professionnels du financement des procédures, aussi appelés les Third-Party Litigation Funders, ou « financeurs tiers de contentieux » en traduction littérale. De mai à août 2020, Jacques-André Prévost répond aux demandes d’informations d’IVO Capital Partners, qui a pour président directeur général et co-fondateur Michael Israel. Notons qu’il s’est tourné, selon lui, vers ce fonds sur les conseils de son avocate d’alors, Maître Valence Borgia.
Les deux parties tombent d’accord en octobre 2020, et Jacques-André Prévost reçoit le million d’euros qui lui permet de gagner sa troisième sentence arbitrale. Prévoyant, l’entrepreneur demande à IVO de lui accorder un deuxième prêt, au cas où l’Etat du Cameroun ferait appel de la décision. Et c’est bien ce qui arrive. Confiant, le chef d’entreprise français demande alors à IVO la rallonge de 590 000 euros pour financer l’appel, prévue dans le contrat de manière optionnelle. IVO refuse, et ce, de manière pour le moins étonnante. Le jugement du Tribunal de commerce juge que « la deuxième avance étant optionnelle ainsi que le stipulent ses articles 1 et 11.3, plusieurs échanges entre IVO, maître Borgia et monsieur Prévost prouvant en outre que le caractère optionnel de cette deuxième avance était accepté et bien compris des parties. » Un refus toutefois confus.
IVO renonce à financer le procès qu’il doit remporter
En effet, alors que le Cameroun a été condamné à payer l’équivalent actuel de 24 millions d’euros à Garoubé, le non-versement de la deuxième contribution entraîne des difficultés pour les deux parties. Jacques-André Prévost ne peut recevoir les indemnités du Cameroun, et ne peut donc pas rembourser le fonds IVO. Pourquoi IVO, qui gère plus de 2 milliards d’euros de financements, aurait-il intérêt à refuser d’avancer des 590 000 euros supplémentaires; qui le rapprocherait pourtant d’une récupération de sa mise augmentée d’un rendement confortable ? Et pourquoi, plus tard, IVO a-t-il empêché l’exécution de l’accord transactionnel à hauteur de 16 millions d’euros, conclu le 29 novembre 2023 entre le Cameroun et Garoubé ? Pourquoi donner ainsi l’impression de se tirer doublement une balle dans le pied ? « Ce sont nos règles de fiducie », répond IVO, en renvoyant à la lecture des jugements en sa faveur pour toutes réponses à ces énigmes. Pour l’entrepreneur, cela ne fait aucun doute : IVO se comporterait en « fonds vautour », c’est-à-dire un fonds misant sur l’insolvabilité de ses débiteurs pour obtenir un meilleur gain que le simple paiement de leurs intérêts.
Les fonds vautours sont spécialisés dans l’achat, au prix le plus bas possible, de dettes émises par des débiteurs en difficulté, ou proches du défaut de paiement (entreprises, Etats…) [lire Deontofi ici]. Leur objectif est de réaliser une plus-value lors de la phase de restructuration de cette dette. Ou au contraire, dans d’autres cas, de refuser son réaménagement par opportunisme, afin d’obtenir un dédommagement plus avantageux par voie judiciaire. Ces fonds vautours prêtent de l’argent, mais misent parfois sur le non-remboursement du prêt par leurs clients, plutôt que le contraire. Ils entament alors des procédures judiciaires pour maximiser leurs gains sur tous les tableaux.
Voici ce qu’écrivait le magazine Capital sur ces fonds en 2020 [LIEN ARTICLE?] : « Une fois dans la place, ces fonds vautours deviennent incontournables et imposent leurs décisions. Leur ambition consiste à revendre leur participation avec un objectif de plus-value d’au moins 15 % à horizon de 2 à 3 ans. Ou à précipiter la faillite des entreprises ciblées afin de tirer une plus-value des créances (obligations, dettes) qu’ils ont acquises à un prix inférieur à leur valeur nominale, par exemple grâce à la vente des actifs (immobiliers, machines-outils, brevets, etc.) de la société en faillite. »
Une culbute de 700 % de rendement grâce aux « petites lignes » du contrat
IVO Capital semble suivre cette voie, à la différence près qu’il réclame plus de huit millions d’euros à Garoubé pour le remboursement du financement d’un million, soit une culbute de plus de 700 % en quatre ans !
La principale raison de cette culbute est que le rendement fixe, c’est-à-dire une partie de la rémunération d’IVO Capital, n’est pas si fixe que ça. En l’espèce, cette partie fixe, rémunérant le financement apporté par IVO Capital, s’envole à 500 % d’intérêts après 4 ans.
Quant au rendement variable, qui dépend en partie du rendement fixe, il génère, lui aussi, des querelles d’interprétation entre les deux parties. Dans la convention de financement, la rédaction de la formule de remboursement du rendement variable (Rv) est ainsi notée « 12 % indemnisation, moins le rendement fixe ». Si « Rv » est le rendement variable, si « I » est l’indemnisation et « Rf », le rendement fixe, on comprend la formule Rv = 12 % I – Rf. Mais grâce à un tour de passe-passe sémentique, que nous expliquerons plus loin, IVO Capital revendique la formule suivante : Rv = 12 % (I-Rf).
Si l’enjeu de cette parenthèse peut échapper au commun des mortels, il n’a rien d’anodin. Les matheux savent bien qu’elle bouleverse l’équation. Avec ou sans virgule, ou parenthèse, la formule de calcul est intrinsèquement litigieuse dans son interprétation de « parenthèses inexistantes ». Elle aurait pourtant recueilli le consentement préalable des parties. Ainsi, dans le cas de ce financement, nous avons bien au départ: Rf égal à 1 090 000 (montant de l’emprunt) x 500 % (intérêts après 4 ans) = 5 450 000 et « I » (l’indemnisation) égale à 24 millions d’euros.
Avec la première formule (Rv = 12 % I – Rf), on obtient un montant de remboursement de 12 % x 24 000 000 – 5 450 000 = – 2 570 000, ce qui ramène le montant du remboursement total (Rf + Rv) d’IVO Capital à 5 450 000 – 2 570 000 = 2 880 000 €. Mais en application la deuxième formule (Rv = 12 % (I-Rf)), le résultat devient : 12% x (24 000 000 – 5 450 000) = + 2 226 000. Le remboursement passe alors à 5 450 000 + 2 226 000 = 7 676 000 €. Et hop, en un tour de passe-passe, au lieu de devoir rembourser 2,88 millions d’euros pour son financement d’un million, Jacques-André Prévost se voit désormais réclamer 7,68 millions par IVO Capital.
Le Tribunal du commerce a tranché. Dans son jugement du 13 février 2025, il enjoint de procéder à l’interprétation de la clause suivante, conformément à ce qui est écrit dans le contrat, par application de la place de la virgule dans la phrase : « rendement variable : désigne un montant égal au produit de 12% et de l’indemnisation, moins le rendement fixe ». Soit : [Rv = 12% de l’indemnisation encaissée – le Rendement Fixe]. Le tribunal juge « que la clause sur le rendement variable dans la convention de financement du 11 septembre 2020 (article 1) contient une erreur typographique et doit être corrigée selon la formule de calcul qui suit : 12% x (indemnisation-rendement fixe). La virgule ou parenthèse prétexte des cancres en calcul. Dans le cas d’espèce, IVO Capital ne se serait pas contenté d’un consentement flou, mais a fourni des exemples chiffrés d’application de sa formule (à parenthèses invisibles) à l’aide d’un fichier Excel, reprenant les montants détaillés dus par le Cameroun, et leur répartition entre Garoubé et IVO.
Le Tribunal de commerce a jugé que la lettre personnelle de confort de M. Prévost (du 15 septembre 2020) et l’addendum, montrent que les parties étaient d’accord sur le calcul à faire pour le rendement variable, tant en amont de la signature de la convention de financement, que postérieurement. Dans cette lettre personnelle de confort, du 15 septembre 2020, M. Prévost reconnait que « la structure de financement du contentieux Garoubé a été bien discutée entre nous et a fait l’objet d’un accord dont les conditions ont été parfaitement comprises et acceptées ». Formule floue, consentement vague. Dans le cadre de la préparation de l’addendum qui sera signé par les parties le 19 novembre 2021, « des simulations de la rémunération du financeur et du demandeur ont été à nouveau envoyées le 15 novembre 2021 par IVO à M. Prévost, simulations elles aussi conformes à la lecture de l’article 1 de la Convention faite par les défendeurs », dispose le jugement du Tribunal du commerce.
Conflit d’intérêt autour des intérêts du conflit
Une autre clause de la convention de financement plonge la tête du chef d’entreprise sous l’eau. La phrase suivante est insérée dans le contrat : « Le financeur est le seul à pouvoir déterminer s’il est disposé à fournir la deuxième avance de capital (les fameux 590 000 euros de rallonge). Lorsque Jacques-André Prévost s’en est inquiété, il se souvient que son avocate, maître Valence Borgia, lui aurait répondu qu’il s’agissait d’une : « condition léonine [qu’elle] ferait tomber sans la moindre difficulté, car, en l’espèce, elle n’avait pas la moindre justification, ni économique, ni juridique. » Elle nie, et il ne peut rien prouver. On a toujours tort de croire aux belles histoires sans compte-rendu écrit, signé et authentifié.
Le serial entrepreneur (une quinzaine d’entreprises créées à son actif) découvre en outre que pour assurer son financement, IVO Capital passe par une entreprise des Îles Caïmans, CFS 37, créée pour l’occasion, trois jours seulement avant la signature du contrat. Rappelons que les investisseurs domiciliés aux Îles Caïmans ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu et les sociétés, ce qui inclut les bénéfices réalisés à l’étranger, ni à la TVA, ou aux taxes sur les successions et les donations.
Un financement aux risques mesurés
Incapable de financer la dernière étape vers la sentence finale, sommé de payer plus de sept millions d’euros pour s’acquitter de son financement d’un million, Jacques-André Prévost se retrouve étranglé, financièrement et juridiquement, par une société immatriculée dans un paradis fiscal.
Pourtant, IVO Capital ne semblait prendre qu’un risque mesuré, en finançant les derniers procès de Garoubé. L’Etat du Cameroun ayant été condamné, lors des sentences arbitrales partielles, sur le fondement juridique et le périmètre des préjudices du projet pilote ; la sentence finale ne portait que sur le quantum, qui désigne la valeur à laquelle Jacques André Prévost sollicite que le Cameroun, contre lequel il possède une créance, soit condamné. En clair, il ne restait plus qu’à fixer le montant des indemnités dues à l’entrepreneur français, sans équivoque sur le fond des victoires judiciaires qu’il avait déjà remportées.
De plus, il est légitime de s’interroger sur les motivations de Maître Valence Borgia, l’ex-avocate de Jacques-André Prévost. En effet, pourquoi celle qui a présenté le fonds IVO à la société Garoubé a-t-elle, dans un mail, menacé de se retirer de l’affaire si Jacques-André Prévost ne signait pas la convention de financement. Pourquoi un tel empressement assorti d’un ultimatum ? Pourquoi n’a-t-elle pas alerté Jacques André Prévost du caractère optionnel de la rallonge de 590 000 euros, dont le refus de versement l’étranglerait fatalement ? Contactée, l’avocate n’a pas souhaité répondre à nos questions, arguant du secret professionnel, après nous avoir initialement confié « ne pas se souvenir de cette affaire ». Selon des bordereaux comptables que nous avons pu consulter, l’avocate aurait en effet perçu 466 134 euros d’honoraires, prélevés sur le financement de 1 090 000 euros accordé par IVO Capital à Garoubé, qui lui auraient été versés directement par IVO Capital pour le compte de Garoubé, en décembre 2020.
Le dernier procès déboute l’entrepreneur de toutes ses demandes
Jusqu’à présent, Jacques-André Prévost avait gagné tous ses procès, mais le dernier est toujours le plus important. Il s‘est déroulé le 25 novembre 2024 au tribunal de commerce de Paris. Les représentants de Garoubé ont fait face à ceux d’IVO Capital pour déterminer, au fond, si le financement apporté par IVO Capital relevait de l’investissement spéculatif ou du crédit. Dans le premier cas, si le financement s’apparente à une « participation au capital », IVO est en droit de demander quasiment autant qu’il veut en guise de remboursement. Mais dans le second cas, si le financement était considéré comme une opération de crédit, le remboursement n’aurait pu excéder le taux d’usure (16% en droit new yorkais régissant le contrat). On peut s’étonner du choix du droit new yorkais pour une affaire jugée par un tribunal français. Mais, par jugement du 30 janvier 2024, le tribunal de commerce de Paris a confirmé que le droit applicable au litige relatif à la Convention de financement d’arbitrage était bien le droit de l’Etat de New York, le droit français n’étant applicable en l’espèce qu’au contrat sur le « nantissement de créances futures ». Il renvoie l’affaire au fond, à l’audience publique du 28 février 2024. Le Tribunal de commerce a cité le cabinet new-yorkais Barton, qu’ils ont consulté, et selon le droit new yorkais « les prêts sont soumis à des lois prévoyant des restrictions d’usure alors que les investissements ne le sont pas ; l’usure ne peut être invoquée que si quatre conditions sont remplies : un prêt d’argent ; une obligation absolue de remboursement ; une compensation supérieure à celle autorisée par la loi, et une intention de violer la loi. Or, en l’espèce, il n’existe aucune obligation de remboursement. Au surplus, dans l’hypothèse ou une indemnisation est versée, il ne s’agit pas d’un remboursement mais d’un rendement. »
Pas de prêt, pas d’usure: IVO est libre de demander le rendement souhaité. La loi sur l’usure ne s’applique qu’aux prêts. Et les tribunaux new-yorkais sont clairs sur le fait qu’il doit y avoir un droit au remboursement absolu. Or, en tout état de cause, le tribunal du commerce constate qu’en l’espèce il n’existe aucune obligation de remboursement. Dans le pire des cas, si Garoubé ne recevait aucune indemnisation de l’Etat du Cameroun, ICO Capital ne pourrait solliciter aucune somme de sa part. En outre, le tribunal estime que même dans l’hypothèse où l’issue favorable des procès contre le Cameroun permettrait bien le versement par Garoubé d’une indemnisation à IVO Capital en contrepartie de son financement, il ne s’agirait pas d’un remboursement mais d’un rendement.
Il faut dire que de tels contrats de « financement de litiges » doivent absolument exclure toute notion de prêt dans leur montage juridique. En effet, au regard du droit new yorkais régissant leurs conventions, si le taux d’intérêt du financement dépassait les 25%, il serait considéré comme criminel. Alors, IVO Capital est-il un fonds d’investissement apportant de l’oxygène au financement des justes causes ? Ou un fonds vautour en puissance ? Le tribunal de commerce a tranché : Jacques-André Prévost a été débouté de toutes ses demandes, le comble étant qu’il attribue même la propriété du projet Garoubé au fonds IVO Capital, initialement appelé à son secours !

Dépité, l’octogénaire s’accroche à quelque espoir de renverser la décision en appel, alors qu’il ne lui resterait qu’une maigre pension de retraite de 1 700€/mois comme seule ressource pour assurer ses vieux jours.
Contactée, IVO Capital affirme s’en tenir à la décision du tribunal de commerce de Paris, considérant que le financement était un apport en capital, et absolument pas un prêt à crédit. Le tribunal a constaté qu’il n’existe aucune obligation de remboursement puisque si Garoubé ne reçoit aucune indemnisation du Cameroun, le financeur ne peut solliciter aucune somme de sa part et que dans l’hypothèse où une indemnisation est versée, il ne s’agit pas d’un remboursement mais d’un rendement.
L’Europe réfléchis à réglementer les fonds de contentieux
La Commission européenne a décidé de mettre son nez dans les opérations de ces tiers financeurs de procédures juridiques, à la suite d’un rapport du parlement européen sur le sujet.
Le 13 septembre 2022, le Parlement européen a adopté une résolution sur le financement privé responsable des litiges, dans laquelle il invitait la Commission à proposer une législation qui régirait le financement des litiges par des tiers dans l’Union. Dans sa réponse à la résolution, la Commission s’est engagée à cartographier les enjeux soulevés par les « fonds de litiges » et leur la situation dans l’UE, pour servir de base à l’évaluation du leur suivi approprié. Ce rapport est disponible à l’adresse suivante : Financement par des tiers (TPLF) — Commission européenne. Il répertorie la législation, les pratiques et le débat sur les « financements de litiges par des tiers » dans les États membres et dans quatre pays tiers (Suisse, Royaume-Uni, USA, Canada).
Le 27 mars 2025, ce sujet a été examiné par le « forum de haut niveau sur la justice pour la croissance », auquel ont participé les États membres, le Parlement européen, la Commission européenne, ainsi que les professionnels du droit, les syndicats et des représentants des consommateurs. Le forum doit conclure ses débats courant 2025. En se penchant notamment sur les conditions d’application et d’expiration des contrats proposés, la Commission européenne serait bien inspirée de jeter un œil sur l’affaire opposant le projet pilote Garoubé à IVO.
Serait-il juste et moral, que la victime d’un préjudice, faisant appel à un financeur de procès pour en obtenir la réparation, se retrouve débitrice de son créancier, et intégralement dépossédée de l’indemnisation judiciaire du préjudice initial ? En l’espèce, la formule d’IVO semble bien partie pour lui rapporter le gros lot aux dépens du justiciable secouru. Grâce à son soutien d’un million d’euros, et quelques clauses habiles, IVO Capital met ainsi la main sur 24 millions d’euros de créances sur l’Etat du Cameroun. En effet, par lettre du 20 avril 2023, IVO Capital via son fonds CFS37, a notifié à l’Etat du Cameroun le nantissement de ces créances dans le cadre de son financement des procès de Garoubé, indiquant au Cameroun qu’il était tenu d’effectuer tout paiement au titre des créances nanties, directement entre les mains de CFS 37. Cette notification a été reçue le 11 mai 2023 par l’Etat du Cameroun. Pour récupérer cette créance, IVO s’est fondée sur une clause MAC, un changement défavorable significatif, compte tenu, selon elle, du « non-respect des termes de la convention de financement par Garoubé et de l’absence de consultation et de coopération avec le financeur concernant l’arbitrage. » A l’heure actuelle la créance de 24 millions est bloquée par le Cameroun qui, ayant refusé d’indemniser Garoubé après ses procès gagnés, conteste leur recouvrement par IVO Capital. Garoubé soutient qu’en notifiant le nantissement au Cameroun, IVO aurait provoqué abusivement le blocage des fonds qui devaient être versés par le Cameroun, et que ce blocage aurait eu pour effet de les spolier, ce qui entraînerait la nullité de la convention de nantissement. Un jeu de chat et de la souris. Pour le Tribunal du commerce, le nantissement des futurs gains judiciaires est la contrepartie du financement du procès. Et il a constaté qu’il y a bien eu un « cas de défaut », puisque Garoubé aurait obtenu 1,2 millions d’euros versés par le Cameroun, à l’insu d’IVO et en violation de la convention de financement et que la notification d’IVO ne saurait constituer une cause de nullité de la convention de nantissement, thèse défendue par Garoubé.
Interrogés à plusieurs reprises par courriel, et rencontrés récemment à leur siège parisien, les dirigeants d’IVO Capital n’ont pas précisément éclairé les questions qui leur étaient adressées pour comprendre les énigmes autour de ce litige, renvoyant à la lecture des jugements pour toute réponse. En revanche, leur embarras face au déballage de cette affaire semblait palpable. On comprend que ce n’est pas une très bonne publicité pour les fonds de litiges en général. Quels justiciables voudraient faire appel à leur soutien financier, si c’est pour perdre au final tous les espoirs d’indemnisation reposant sur ce financement de leurs procès ? Il paraîtrait que cette affaire Garoubé ne serait qu’un « cas isolé », nous a-t-on affirmé. Peut-être. Mais en attendant de pouvoir s’en assurer, les victimes de préjudices en mal de financement de leur procès réfléchiront prudemment avant d’appeler un fonds de litige à leur secours.