Baisse des rendements dans le sillage des banques centrales, risques de solvabilité en cas de forte remontée des taux d’intérêt, risque de blocage en cas de retraits massifs, faut-il s’inquiéter pour l’assurance vie en euros ? Deontofi.com publie le script résumé des propos échangés sur ce sujet entre Gilles Pouzin et Cédric Decœur, animateur de l’émission Intégrale Placements, sur BFM Business TV le 3 janvier 2017.
Retrouvez cette interview du 3/1/2017 ici dans notre rubrique Deontofi TV.
On va se placer du côté des épargnants et regarder ce qui se propose face à la baisse des rendements de l’assurance vie. On a la remontée des taux d’intérêt sur les marchés, peut-être des risques de solvabilité. On a vu tous les impacts de la loi Sapin 2 sur l’assurance vie.
Si on est détenteur d’assurance vie ou si on envisage de placer son argent en assurance vie, est-ce qu’il y a des raisons aujourd’hui d’être inquiet ?
C’est un bon sujet et nous avons beaucoup de questions de lecteurs de Deontofi.com sur l’assurance vie. C’est vrai qu’il y a un climat un peu ambivalent assez paradoxal entre la sécurité traditionnelle de l’assurance vie, en particulier de l’assurance vie en euros.
Il faut rappeler, pour ceux qui ne connaissent pas tous les détails techniques des différentes familles de placements, ce qu’est l’assurance vie : c’est une enveloppe fiscale, un contrat avec un assureur qui permet de confier de l’argent à l’assureur. En cas de vie on peut récupérer son argent, en cas de décès il est versé à un bénéficiaire qui reçoit cet argent avec des exonérations d’impôt, en particulier de droits de succession jusqu’à 150 000 euros par bénéficiaire (152 500 précisément).
C’est un placement qui est très populaire. Il y a environ 1600 milliards d’euros en assurance vie, dont plus de 80% sur les fonds en euros. Les fonds en euros, ce sont ces fonds qui permettent d’avoir une rentabilité chaque année, avec un effet boule de neige. C’était à une époque 7 à 8%, puis 6, 5, 4, 3, 2. On est plutôt autour de 2,5% en moyenne en 2015 [ndlr pour les bons contrats, la moyenne réelle étant plus proche de 2% vu les rendement honteux distribués par les grands réseaux sur les contrats qu’ils ne mettent plus en avant]. Les rendements de 2016 ne sont pas encore distribués mais on peut s’attendre à ce qu’il y ait une nouvelle baisse de rendement. Baisse qui devrait malheureusement continuer à être significative. Dans ce contexte on entend que les assureurs ne vont peut-être plus pouvoir servir ces rendements : «Attention, les taux d’intérêt des obligations dans lesquelles investissent les assureurs, ont beaucoup baissé, ce ne sera plus rentable. Et si les gens commencent à retirer leur argent les assureurs ne pourront peut-être pas faire face à ces retraits».
Il y a une peur qui se développe et qui a été alimentée, il faut bien le dire, par tous les débats autour de la Loi Sapin 2, qui a permis de nouvelles possibilités de blocage, éventuellement, de certains retrais de certains contrats, en cas de problème de l’assureur, s’il en faisait la demande au gendarme des assurances, l’ACPR, qui pourrait lui donner l’autorisation de bloquer temporairement les retraits. Il faut voir que cette possibilité de bloquer les retraits en cas de problème a quasiment toujours existé.
Ce qu’il s’est passé, qui est très intéressant, est qu’on a cru d’abord à un petit ajustement de la réglementation qui existait déjà depuis les années 1970. Dans le code des assurance de 1979, il y a des dispositions qui permettent, en cas de forte hausse des taux d’intérêt, où les assureurs se retrouveraient avec des titres d’obligations dont les cours auraient beaucoup baissé, et donc avec un risque de ne pas pouvoir les vendre et récupérer l’argent nécessaire pour rembourser les épargnants. Depuis quarante ans, il existe donc des possibilités de restreindre les retraits de l’assurance vie en cas de difficulté.
La nouveauté de la loi Sapin 2, qui n’a pas été très bien vue par les médias et les commentateurs, c’est la possibilité de cibler, non plus seulement les fonds en euros, mais tous les contrats et les types d’assurance vie qui pourraient avoir des difficultés.
Quand on regarde le détail de cette réglementation, et les débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale à son sujet, on s’aperçoit, dans une réponse de la député Karine Berger à Eric Woerth qui l’interrogeait sur ce dispositif : Eric Woerth disait « le dispositif actuel s’apparente à un cheval de Troie et pourrait rendre l’épargne indisponible », Karine Berger lui répond à ce moment là : « Soyons transparents, ce dispositif répond à une demande de l’Association française d’épargne et de retraite (Afer), collecteur d’assurance vie. (…) Il ne s’agit pas de savoir comment protéger certaines personnes, mais de s’assurer que cet article s’appliquera aux seuls contrats de nature véritablement systémique. Nous savons de quels contrats nous parlons – en l’occurrence de ceux d’Aviva ».
Donc on s’est aperçu, à travers le vote de cette disposition, que ce n’était pas du tout une disposition qui menaçait spécifiquement l’assurance vie en euros, mais au contraire certaines unités de compte, certains contrats multisupports dynamiques qui posent des problème aux assureurs, en l’occurrence il s’agit des contrats à cours connus d’Aviva. A une époque l’assureur Aviva, précisément son ancêtre Abeille, comme ses concurrents à l’époque, permettait de faire des arbitrages en connaissant les cours à l’avance. Mais les autres assureurs ont vite compris qu’ils avaient fait une bêtise, en terme de management, en terme commercial et de solvabilité. Ce n’est pas du tout prudent de proposer aux clients de pouvoir jouer sur des placements financiers en connaissance les cours à l’avance, puisque c’est ce qu’il se passe en autorisant à faire des transactions avec le cours déjà connu. Mais la plupart des assureurs ont indemnisés les titulaires de ces types de contrats pour les supprimer, sauf Aviva.
Donc le problème est que cette crainte que l’on a de blocage de l’assurance vie, elle vise surtout les contrats multisupports les plus dynamiques et qui pourraient avoir le plus de problèmes de solvabilité, qui peuvent être par exemple les supports immobiliers. Vous savez, on vend de plus en plus dans l’assurance vie des supports en SCI ou SCPI, des placements immobiliers. Cela a un avantage c’est que cela permet d’avoir la diversification de l’immobilier dans l’assurance vie, mais ce n’est pas liquide. Et en cas de problème il pourrait y avoir ce qu’il y a eu avec les Acavi, les contrats d’assurance vie en immobilier, dans les années 1990, c’est-à-dire des blocages et des difficultés de remboursement.
Les menaces de la loi Sapin 2 pour l’assurance vie en euros et les contrats multisupports
Quand on est détenteur de contrats d’assurance vie et que l’on a des fonds à placer ? Faut-il continuer à privilégier ces traditionnels fonds en euros, liquides à tout moment, avec l’effet cliquet des rendements chaque année ? Ou faut-il diversifier ses investissements et aller voir ces unités de compte avec des fluctuations que l’on commente ici tous les jours ?
C’est le conseil de beaucoup de réseaux financiers. Mais il faut comprendre qu’ils ont un conflit d’intérêt. D’une part parce que, sur les unités de comptes, les assureurs ont beaucoup moins d’exigence de solvabilité. D’autre part ils portent beaucoup moins de risques, et surtout ils touchent beaucoup plus de commissions. Un contrat en unités de compte avec des supports boursiers ou immobiliers rapporte entre 3 et 10 fois plus de commissions à l’assureur qu’un fonds en euros sans risque. C’est une des raisons qui pousse les réseaux, et les banques en particulier, à conseiller de diversifier son assurance vie avec des placements dynamiques.
[Cette étude montre d’ailleurs que l’assurance vie diversifiée en multisupports ne n’est pas révélée plus rentable que les fonds en euros à cause du poids des frais : L’assurance vie en euros plus rentable que les multisupports boursiers ou à promesses]
Sur le fond, cela a évidemment un sens de chercher du rendement par rapport à la baisse des taux d’intérêt et des rendements de l’assurance vie en euros. Tout le monde s’inquiète de la baisse des taux qui a été très forte en 2016. Le rendement des emprunts d’Etat était tombé jusqu’à 0,1%, un dixième de pourcent, à l’automne 2016, mais les taux sont tout de même remontés autour de 1%. Les taux à long terme ont donc été multipliés par dix, ça reste insuffisant pour assurer un bon rendement aux contrats et fonds en euros, mais les assureurs ont aussi largement diversifié leurs actifs. Ils n’ont pas dans leur portefeuille que des emprunts d’Etat. Il y a environ 70% d’obligations mais il y a beaucoup d’emprunts privés. Il y a 20% d’actions. Dans les fonds en euros de l’assurance vie il y a déjà 20% d’actions ! Et puis d’autres diversifications [notamment 5% en immobilier]. Donc les assureurs sont quand même capables de défendre un peu les rendements de l’assurance vie en euros qui reste, à ma connaissance, le meilleur placement sans risque.
Faut-il encore miser sur l’assurance vie en euros malgré la baisse des taux ?
On entend beaucoup d’experts qui agitent le chiffon rouge en disant « Attention ! Ce n’est plus l’eldorado que c’était, venez sur d’autres placements ».
L’assurance vie, peut-être, et l’assurance vie en euros, certainement, ce n’est plus l’eldorado que ça a été. C’est intéressant car c’est un peu comme quand les gens disent « regardez, la démocratie ne fonctionne pas, il y a plein de tricheries et de biais, ce n’est pas la représentativité nationale ». Mais qu’est-ce qu’on propose en échange ?
Le problème est qu’effectivement on peut avoir des préoccupations légitimes. Il y a des déceptions avec la baisse des rendements. Il faut sûrement changer la politique monétaire et remonter les taux d’intérêt comme nous l’avons réclamé sur Deontofi avec d’autres économistes. Des taux d’intérêt aussi bas ne sont pas normaux et déforment la perception des risques. Il y a des tas de choses à améliorer.
Mais quand on regarde l’effort de persuasion des conseillers pour dissuader les épargnants de verser de l’argent ou de laisser leur argent sur l’assurance vie en euros, que proposent-ils ? Soit d’autres placements en assurance vie plus risqués, que ce soit en terme de fluctuations, de risques de pertes en capital, et même de solvabilité, puisqu’on l’a vu, la Loi Sapin 2 permet de les bloquer au moins autant que les fonds en euros. Soit ils proposent des placements exotiques en dehors de l’assurance vie. Alors ça va être l’immobilier, les vignes, les métaux précieux, le trading forex, les startups, tout ce que vous voulez mais qui n’a rien à voir avec le fonds en euros de l’assurance vie, en terme de disponibilité, de sécurité et de réglementation rassurante pour les épargnants.
Donc, chers petits épargnants, rassurez-vous, l’assurance vie en euros est beaucoup moins menacée qu’on veut vous le faire croire, n’ayez pas de crainte. Quand on a des centaines de milliers d’euros sur des contrats, il faut peut-être diversifier entre plusieurs compagnies pour être mieux protégé en terme de solvabilité, et même de diversification des sources de rendement. Mais il n’y a pas de raisons de paniquer. L’assurance vie en euros reste un placement très sûr, et il y a beaucoup de chances qu’il n’y ait pas du tout les paniques qu’on nous promet.
Quel risque pour l’assurance vie en cas de hausse des taux d’intérêt ?
Retrouvez cette interview du 3/1/2017 ici dans notre rubrique Deontofi TV.