Cinquième et dernière partie de l’audience du 12 novembre 2013 devant la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Paris qui examine les conditions d’octroi à Jean-Marie Messier du parachute doré qu’il demandait sans l’avoir jamais eu après son éviction de Vivendi. (Tout le feuilleton ici)
Les débats ont déjà duré près de cinq heures sans suspension de séance, quand la magistrate annonce avec distance « faites entrer le témoin de Jean-Marie Messier pour lequel la cour n’aura pas de questions ». Le témoin, qui attendait hors de la salle comme le veut la coutume, se présente à la barre :
– Denis Jeambar, 65 ans, journaliste en retraite, je travaille pour La Chaîne Parlementaire et différents journaux. J’ai débuté à Paris Match, puis au Point, à Europe 1 et à L’Express dont j’étais directeur de la rédaction.
Après qu’il ait prêté serment de dire toute la vérité en levant la main droite, le témoin de l’ex-PDG est interrogé par son propre avocat, Maître Francis Szpiner.
– Quand avez-vous rencontré Jean-Marie Messier ?
– En février 1996. J’étais président d’Europe 1, il était numéro deux de la Générale des eaux, raconte Denis Jeambar. Nous avons passé plusieurs heures ensemble, il m’a annoncé qu’il serait bientôt numéro un puis il m’a expliqué sa vision de la convergence, que tous les contenus seraient réunis un jour sur nos téléphones. (NDLR, sans mettre en doute la mémoire de Mr Jeambar ou la capacité de projection de son ex-PDG, en 1996 la France découvrait à peine l’usage d’internet, 5% des Français avaient un téléphone mobile -contre 2,5% en 1995- et ces derniers ne permettaient quasiment que de téléphoner. Si l’on parlait de convergence, c’était au stade de la télé et de l’ordinateur, entre PC et terminal).
– Quand vous êtes-vous revus ?
– J’étais à la tête de L’Express, il était mon actionnaire de référence. Il voulait se séparer des journaux. Il a vendu Le Point à Pinault. Il n’a pas réussi à vendre L’Express, finalement la solution a été de mettre en place un directoire et conseil de surveillance.
– Jean-Marie Messier va alors être l’objet d’une campagne acharnée du Monde et de Mr Colombani, relance Maître Szpiner à l’attention du journaliste honoraire.
– Tout s’est noué en juin 1997 quand Jean-Marie Messier a voulu céder L’Express, poursuit Denis Jeambar. J’ai rencontré Jean-Marie Colombani mais Le Monde n’avait pas les moyens d’acheter L’Express. Il a alors utilisé tous les moyens, y compris de pression sur moi, pour me convaincre, puis m’écarter. Il y a eu une proposition de Dassault mais nous ne pensions pas que c’était le bon actionnaire pour L’Express. Jean-Marie Colombani m’a dit « si Jean-Marie Messier ne nous vend pas L’Express, c’est un homme mort ». A partir de ce moment là, nous avons subi une guerre permanente.
– Est-ce que les articles du Monde constituaient une pratique normale ? relance l’avocat comme dans un duo bien répété.
– Je ne veux pas faire de jugement de valeur, répond Denis Jeambar, dans un contraste saisissant par rapport à son témoignage. J’avais le sentiment d’un harcèlement injuste.
– Je n’ai plus de questions, conclut l’avocat pour clore sa prestation.
– Est-ce que les parties civiles ont des questions à poser au témoin ? interroge la présidente incrédule.
Karim Lahjouji, actionnaire individuel en partie ruiné par la déroute de Vivendi qui ne manque aucune audience demande la parole que la présidente lui accorde.
– Vous êtes journaliste ? Demande-t-il à Denis Jeambar qui acquiesce. Vous êtes intéressé par l’information ? Quand on vous donne une information intéressante, vous êtes prêt à la dévoiler ?
– Oui, répond à chaque fois Denis Jeambar sans renier ces qualités de base du journalisme, esquissées par les questions de l’actionnaire individuel.
– C’est ce qu’a fait Le Monde, conclut Karim Lahjouji avant de rendre le témoin à la Cour qui, sur ces mots, prononce la fin de l’audience du 12 novembre 2013.
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