Pendant que les chefs d’Etats du monde entier sont réunis à Paris pour sauver la planète, et que les entreprises multiplient leurs promesses d’engagements pour le climat, une coulée de 60 millions de tonnes de boues toxiques dévaste l’état du Minas Gerais, au Brésil, et infeste l’océan Atlantique, tandis qu’une multitude d’incendies ravage 2 millions d’hectares en Asie, asphyxiant l’Indonésie et la Malaisie jusqu’à Singapour, à cause de la production intensive d’huile de palme qui nous empoisonne autant que la planète. Si le contraste est saisissant, les catastrophes environnementales et sociales causées par les multinationales sont monnaies courantes, et on pourrait multiplier les exemples.
Dans ce contexte, disséquer la réalité des pratiques d’investissement socialement responsable (ISR) était un exercice salutaire, réalisé à point nommé par l’Autorité des marchés financiers (AMF) avant l’ouverture des négociations sur le climat. Car les multinationales sales ne prospèrent pas sans l’argent des épargnants et des fonds de retraite, qui réclament de leur côté plus d’éthique de la part des sociétés dans lesquelles ils investissent.
Pour les séduire et satisfaire leur quête d’investissement utile, l’industrie financière a inventé la notion d’investissement socialement responsable (ISR), devenue la tarte à la crème du marketing « vert », au risque de n’être qu’un habillage « politiquement correct » sans réelle discrimination envers les multinationales socialement pas très responsables.
L’investissement socialement responsable (ISR) l’est-il vraiment ? Deontofi.com exprime régulièrement ses doutes sur la capacité des fonds d’investissements revendiquant une politique de gestion socialement responsable, qui relève plus souvent de l’emballage marketing que d’un tri entre les multinationales exemplaires et les tricheuses, tellement plus nombreuses…
A cette difficulté s’ajoute évidemment le problème des frais pas très socialement responsables et de leur opacité, dans les fonds ISR comme dans les autres Sicav et fonds de placements. Dans le sillage de ces faiblesses, le gendarme boursier vient de publier une grande étude confirmant nos doutes sur la pertinence de l’appellation ISR que revendiquent aujourd’hui plus de 400 fonds commercialisés en France gérant 81 milliards d’euros.
Selon les résultats de cette grande enquête, dans les trois quarts des fonds (74%) prétendument ISR, il est tout simplement quasi-impossible de vérifier la réalité du tri effectué par les gérants pour cantonner leurs investissements aux seules valeurs respectueuses de critères socialement responsables, de développement durable ou de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Deontofi.com reproduit ci-dessous le communiqué de l’Autorité des marchés financiers résumant les principales conclusions de son étude (des passages sont mis en gras par nos soins, nous avons également ajouté un lien vers un article de Deontofi.com non cité par l’AMF).
COMMUNIQUE DE PRESSE
Investissement socialement responsable dans la gestion collective :
l’AMF publie un état des lieux des pratiques en France et met à jour sa doctrine
L’Autorité des marchés financiers (AMF) publie un état des lieux des pratiques en matière d’investissement socialement responsable (ISR) en France. Le régulateur ajuste, par ailleurs, sa doctrine sur l’information à inclure dans la documentation commerciale et légale des organismes de placements collectifs ainsi que sur la cohérence, l’accessibilité, la fiabilité et la clarté de l’information mise à disposition des investisseurs.
L’AMF a pour mission de s’assurer que l’information délivrée aux investisseurs est claire, exacte et non trompeuse. C’est dans cet esprit que le régulateur a mené une étude sur l’investissement socialement responsable dans la gestion collective en France.
L’Autorité des marchés financiers a identifié 409 fonds (français ou non) commercialisés en France à fin 2013 qui mettaient en avant un caractère « ISR ». L’étude a porté sur un échantillon de 100 fonds d’investissement ouverts, représentant 44 milliards d’euros d’encours (sur un montant total de 81 Mds€). L’AMF a analysé l’ensemble des documents publics de cet échantillon (documents d’information clés pour l’investisseur, prospectus, règlement, reportings, rapports annuels ou code de transparence). Cette analyse factuelle a été complétée par des échanges avec des acteurs du secteur.
Le rapport publié ce jour rappelle d’abord les étapes du développement de l’ISR et les tentatives de définition de ce concept qui a évolué dans le temps. Il fait ensuite un état des lieux des pratiques mises en œuvre au sein des sociétés de gestion.
L’AMF constate que la qualité de la documentation réglementaire et commerciale des fonds ISR commercialisés en France est très hétérogène. L’investisseur ne dispose pas toujours d’une information suffisante pour lui permettre de comprendre ce que signifie le qualificatif « ISR » désignant le produit.
En effet, si l’appartenance des fonds concernés au champ de l’ISR est en général mise en avant, le manque d’information sur la nature des critères extra-financiers ou dans l’explication de la mise en œuvre du principe ISR est récurrent :
- dans 3% des cas, le fonds est référencé comme appartenant à la gamme responsable ou assimilée du producteur mais sa documentation réglementaire ne comporte aucune mention relative à cette caractéristique ;
- dans 18% des cas, le fonds mentionne l’existence d’une politique d’investissement responsable mais la documentation légale ne donne aucune information sur la nature des critères extra-financiers retenus ;
- dans 40% des cas, le fonds mentionne l’existence d’une politique d’investissement responsable, et la documentation légale délivre bien une information sur la nature des critères extra-financiers retenus, mais cette information est très peu détaillée (par exemple : mention de l’existence de critères environnementaux, sociétaux, gouvernance, sans autre précision) ;
- dans 13% des cas, l’information sur la nature des critères extra-financiers est bien détaillée mais l’approche retenue n’est pas définie (par exemple : exclusion, pondération, etc.) ;
- enfin, dans 26% des cas, l’information relative à la politique d’investissement et aux critères extra-financiers est détaillée dans la documentation légale.
Dans ce contexte, l’AMF ajuste sa doctrine et propose des pistes de réflexion afin de renforcer :
• l’information à inclure dans la documentation commerciale et légale des organismes de placements collectifs ;
• la cohérence, l’accessibilité, la fiabilité et la clarté de l’ensemble de l’information mise à disposition des investisseurs.
Les documents de doctrine suivants sont mis à jour :
• Position-recommandation de l’AMF DOC-2011-24 sur la rédaction des documents commerciaux et la commercialisation des OPC ;
• Position-recommandation de l’AMF DOC-2011-05 sur les documents réglementaires des organismes de placement collectif.
Merci d’avoir dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas !
Merci pour cet article intéressant qui soulève légèrement le voile sur les dessous de l’ISR?
Sauf erreur l’AMF donne son agrément à tous ces fonds ISR. Particulièrement pour l’épargnant cela signifie que la dénomination et la qualité ISR sont assurées, sinon c’est la crédibilité de l’AMF qui est questionnée. Lorsque l’AMF constate que ce n’est pas le cas, ne devrait-elle pas soit refuser l’agrément soit le retirer s’il a été accordé à tort. N’est ce pas la mission de l’AMF de protéger les épargnants surtout non professionnels contre les pratiques trompeuses?
Pourquoi l’AMF autorise t elle la dénomination ISR à des fonds dont le portefeuille se compose très majoritairement de titres de banques systémiques? Cette hyper concentration représente pourtant la majorité des fonds monétaires?
L’AMF ne traite pas des commissions de performance dont le mode de calcul et/ou la référence sont dans la plupart des cas des prélèvements indus. Ceux-ci ne devraient-ils pas être simplement interdits par l’AMF, au moins pour les fonds ouverts au grand public, dindon de la farce?
Quid de l’ISR dans l’épargne salariale, l’épargne des français la plus mal protégée?
Dans la liste des acteurs rencontrés (pages 38 et 39) on trouve beaucoup de lobbies mais on ne trouve pas de représentants des particuliers-épargnants. N’est ce pas un comble?