Afer, épisode 4. Depuis son origine, une des clés du succès de l’Afer a été de s’appuyer sur le soutien médiatique de la presse, grâce à son positionnement de chevalier blanc de l’assurance vie défenseur des épargnants, auquel on voulait croire ; ou en versant de discrètes commissions à un patron de presse pour vendre des placements Afer à ses lecteurs. Lisez le sommaire de notre dossier «Spécial Afer 2014»

En animant des conférences de l'Afer (ici à Lyon en 2004), Gilles Pouzin (à l'écran) rédacteur en chef du Revenu, apprend par la rumeur que son employeur est courtier d'assurance vie Afer, comme la presse le révèle en 2011.

En animant des conférences de l’Afer (ici à Lyon en 2004), Gilles Pouzin (moi-même auteur de cet article, à l’écran) à l’époque rédacteur en chef du Revenu, apprend par la rumeur que son employeur est courtier d’assurance vie Afer, comme la presse le révèle en 2011.

Avec 730 000 adhérents et 42 milliards d’euros d’épargne en 2014, l’Afer n’aurait jamais rencontré le succès qu’elle a connu sans le soutien de la presse. Jeune journaliste, j’ai moi-même été convaincu de l’intérêt de ce contrat d’assurance vie pour mes lecteurs, comme beaucoup d’autres confrères. Quand j’écrivais sur la finance et les placements au magazine L’Expansion, au milieu des années 1990, l’Afer apparaissait objectivement comme l’un des contrats d’assurance vie les plus avantageux pour les épargnants, au même titre qu’une poignée d’autres contrats dits « associatifs » comme ceux du Gaipare, de l’Asac-Fapès, de l’Agipi (repris depuis par Axa) ou de la MACSF, la mutuelle des médecins et personnels médicaux.

Les rendements étaient parmi les plus élevés. Les frais raisonnables par rapport à ceux prélevés sur les contrats concurrents commercialisés par les grandes enseignes d’assurance et de banque à réseau (les frais précomptés avaient été supprimés en 1982). Enfin le mode de gestion associatif porté avec pédagogie et militantisme par son charismatique président, Gérard Athias, faisait de lui un « bon client » pour les journalistes, c’est-à-dire un interlocuteur joignable, s’exprimant clairement et sans langue de bois, sur plein de sujets liés aux placements et à l’assurance vie, qui en faisait un candidat idéal pour étayer un article avec des citations intéressantes.

De nombreux autres journalistes étaient séduits par le discours du président de l’Afer, sur le fond comme sur la forme. Et à juste titre ! Douter des atouts de l’Afer, et du discours de son dirigeant, aurait desservi l’intérêt des épargnants, au profit d’enseignes proposant des contrats moins intéressants. Il suffit de consulter des articles rédigés avant la révélation du scandale et le procès des commissions occultes pour constater le soutien assez unanime des journalistes. Parmi nos confrères, certains journalistes ont ainsi côtoyé l’Afer de très près, voire de l’intérieur.

En 1989, Jean-Luc Bengel, à l’époque directeur de La Lettre de l’Assurance, décédé depuis en 2011, avait ainsi tenu la plume pour Gérard Athias dans son livre-entretien « David et les diplodocus ».

A l’automne 2003, c’est le journaliste Patrick Lelong, longtemps spécialiste de l’assurance vie au magazine La Vie Française (pas celle de Maupassant), ou VF, (rebaptisée Vie Financière quelques années avant sa disparition), qui est appelé par l’Afer pour y assurer une présidence de transition, consécutive au départ de Pierre-Marie Guillon, premier successeur de Gérard Athias quand ce dernier fut contraint de démissionner après sa première condamnation, en 2001.

Pierre-Marie Guillon avait lui-même été journaliste, notamment à la Vie Financière, mais était en retraite depuis 1995 quand Gérard Athias l’a coopté au conseil d’administration de l’Afer. Une ténébreuse AFER / comment l'épargne est colonisée...S’il était indiscutablement proche du charismatique patron de l’Afer à ses débuts, ce dernier a peut-être sous-estimé sa capacité d’indignation. En découvrant la réalité moins reluisante de l’Afer de l’intérieur, Pierre-Marie Guillon s’est vite retourné contre ceux qui pensaient contrôler son expression, comme le suggère le titre du livre qu’il a publié en 2004 : « Une ténébreuse Afer, ou comment l’épargne est colonisée » (la référence à Balzac et ses descriptions de faux-semblants est aussi amusante). Pierre-Marie Guillon a rejoint depuis les dissidents de l’Afer, en opposition avec le président actuel. Plus récemment encore, c’est le journaliste Jean-François Filliatre, ex-rédacteur en chef du magazine Mieux Vivre Votre Argent, qui s’est lancé dans la mêlée en s’impliquant dans le lancement du collectif « Dans l’intérêt des adhérents » de l’Afer, entouré de personnalités non moins actives pour la défense des épargnants.

On ne peut évoquer les rapports de l’Afer avec la presse sans mentionner le rôle très à part d’un patron de presse que j’ai bien connu : Robert Monteux. Dans la première moitié des années 2000, j’ai animé quelques conférences-débats organisées par l’Afer pour ses souscripteurs, en tant que rédacteur en chef du magazine Le Revenu, dirigé par Robert Monteux. Il ne s’agissait pas de « ménages » (c’est-à-dire de prestations payées au journaliste) mais d’interventions pour le compte de Robert Monteux, très impliqué dans la rédaction du Revenu, notamment sous le pseudonyme de Bernard Yquem, présenté comme « consultant » dans les colonnes du journal. Je rencontrais parfois dans ces réunions des clients de l’Afer évoquant des liens obscures entre Gérard Athias (qui n’y était plus) et Robert Monteux. J’interrogeais mon employeur qui démentait toujours ces « infâmes rumeurs sans fondement » avec l’aplomb habituel des dissimulateurs. Car il n’y avait pas de fumée sans feu.

Comme je l’appris plus tard, Robert Monteux avait tout simplement une double casquette de journaliste conseillant à ses lecteurs l’excellent placement Afer d’une main, et de courtier en assurance empochant d’excellentes commissions sur ces placements Afer vendus à ses lecteurs-clients de l’autre, par le biais de son entreprise de courtage d’assurance reprenant les initiales de son nom de plume (Bernard Yquem consultant) : BYC Consultants. Cette duplicité fut officiellement révélée par la presse pour la première fois en 2011 (La Lettre A n° 1521 du 11/11/2011 p.8, La Lettre de l’Assurance n°1099 du 17/11/2011 p.4, une brève dans La Lettre A n° 1522 du 18/11/2011 p.8, et un 4ème article du 24/11/2011 sur le site Rue89.com  Finance : vendre ce que son propre journal conseille, conflit d’intérêts ?). Bien sûr, Le Revenu de Robert Monteux/Bernard Yquem n’a jamais critiqué la gouvernance de l’Afer dont Bernard Yquem/Robert Monteux encaissait les commissions, contrairement à d’autres médias. Mais cette paix médiatique avait un autre coût, notamment celui de leurs étranges relations commerciales.

Les relations tumultueuses de l’Afer avec la presse s’expliquent ainsi par le soutien qu’avaient trouvé les leaders de cette association auprès des médias. Car le soutien des journalistes, à une cause qu’ils croient juste, est à double tranchant : s’ils découvrent qu’on leur a menti en occultant des informations essentielles, les règles du métier commandent aux journalistes honnêtes d’enquêter aussi sur cette réalité cachée, et d’en informer le public.

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