Une récente étude de l’Autorité des marchés financiers (AMF) bouscule les idées reçues sur le comportement des épargnants en temps de crise. Par le passé, les particuliers avaient tendance à investir davantage après les périodes de hausse et à fuir les placements en actions en période de baisse. Or, l’étude réalisée par le gendarme boursier semble indiquer que les épargnants ont cette fois-ci gardé leur sang froid.
Compte tenu des fluctuations brutales observées sur les marchés avec le la crise créée par la pandémie de Covid-19, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a souhaité étudier le comportement des investisseurs particuliers sur les marchés actions. L’indice CAC 40 avait d’abord plongé de près de 40% entre le 19 février et son creux du 18 mars, avant de regagner 25% en dix jours.
Grâce au reporting des transactions issu de la directive MIF2, il est possible d’étudier les comportements des clients particuliers des établissements français sur cette période de crise, et de les comparer aux mouvements observés en 2019.
Premier constat : « Les achats d’actions françaises par des particuliers ont été multipliés par 4 au mois de mars 2020, dans un volume global multiplié par 3 », notent les auteurs de l’étude, Stephen Frenay et Christophe Bonnet. Deuxième bonne nouvelle, les rangs des investisseurs individuels se sont regarnis : « plus de 150 000 nouveaux investisseurs ont acheté des actions du SBF 120 au mois de mars 2020 », note l’AMF. Ils rajeunissent aussi la moyenne, puisque « ces nouveaux clients ont entre 10 et 15 ans de moins que les investisseurs habituels sur actions françaises. Ils ont investi des montants plus réduits que les investisseurs habituels (ce qui est cohérent avec les volumes habituellement traités en fonction de l’âge des investisseurs). »
Prises de bénéfices en 2019
La tendance en 2019 était au désinvestissement (-115 millions d’euros par semaine en moyenne, soit 5,9 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année), note l’étude, même si l’introduction de la FDJ en bourse avait amené de nombreux nouveaux investisseurs en actions (environ 340 000 investisseurs n’ayant effectué aucune transaction sur instrument financier depuis le 1er janvier 2018).
En 5 semaines pendant la crise du Covid-19 (semaines 10 à 14 de 2020), un solde positif de l’ordre de 3,5 milliards d’euros a été investi par des particuliers dans les actions du SBF120. Dans des volumes globaux sur Euronext Paris multipliés par 3 par rapport à une moyenne 2019, les achats des particuliers ont été multipliés par 4.
En 2 ans, sur les années 2018 et 2019, 1 100 000 clients particuliers ont acheté des actions du SBF120. (sur ces deux ans, si on enlève la semaine de l’introduction FDJ, 750 000 clients particuliers avaient acheté des actions). En 6 semaines, entre le 24 février et le 3 avril, 580 000 clients particuliers ont acheté des actions du SBF120. Parmi ceux-ci, on compte plus de 150 000 clients particuliers n’ayant effectué aucune transaction en direct sur instrument financier en 2018 et 2019. Ces « nouveaux » investisseurs présents majoritairement entre le 9 et le 27 mars ont donc représenté 27% des particuliers acheteurs d’actions. Ils ont également représenté jusqu’à 20% des montants investis en actions par des particuliers.
14% de nouveaux actionnaires attirés par la baisse des cours
Les nouveaux investisseurs représentent près de 14% en moyenne du nombre d’investisseurs sur actions du SBF 120 en 2018 et 2019. Ils sont beaucoup plus jeunes que les investisseurs habituels, entre 10 et 15 ans de moins en moyenne sur l’ensemble des établissements.
Cette tendance est globale pour tous les établissements. Pour les courtiers en ligne, dont la clientèle habituelle est sensiblement plus jeune que celle des autres établissements, ces nouveaux investisseurs représentent près de 20% de leur clientèle 2018-2019 et ont moins de 40 ans en moyenne.
Au total, le nombre d’investisseurs actifs sur les actions françaises s’établirait donc autour de 1,25 million, soit 153 000 de plus qu’en 2018-2019.
Tous établissements confondus, les montants médians des nouveaux investisseurs sont 2 fois inférieurs à ceux des investisseurs historiques. Les montants investis dans les banques traditionnelles sont plus importants que les montants investis via les courtiers en ligne, que ce soit pour les clients historiques ou pour les nouveaux investisseurs.
Rajeunissement et montants plus modestes
Globalement la capacité d’investissement croît avec l’âge. Les montants médians à l’achat sont relativement stable pendant la période de crise. Les médianes des montants à la vente présentent tout de même une hausse notable pendant la crise avec un pic en semaine 9, reflétant une rotation plus importante des portefeuilles liée à l’accroissement de la volatilité.
Les transactions médianes hebdomadaires pour les clients entre 35 et 50 ans sont proches de 2 000 euros alors qu’elles sont de l’ordre de 3 000 euros pour les 50 ans et plus.
Au cours des 6 semaines d’étude, le nombre d’investisseurs actifs au moins une fois à l’achat sur des titres du SBF 120 a été de 580 000. Ces achats ont été répartis sur 2,06 millions de couples (Titre, Personne), soit une moyenne de 3,5 titres différents par investisseur. Les investisseurs historiques, qui ont investi plus en moyenne, l’ont également fait sur un nombre de titres plus importants (3,8 titres en moyenne contre 2,8 pour les nouveaux investisseurs).
Des acheteurs opportunistes après deux années peu actives
Les clients peu actifs en 2018 et 2019 (moins de 20 transactions) représentent jusqu’à 40% des achats effectués au mois de mars 2020 (contre moins de 10% sur toute l’année 2019 à l’exception de la semaine de l’introduction de FDJ). On observe aussi la présence marquée des moins de 50 ans pendant la période de crise par rapport à l’avant-crise.
Un espoir pour les fonds d’investissement et l’assurance-vie en ligne
La bonne surprise pour les gérants d’actifs est que la collecte d’assurance-vie en unités de compte a aussi mieux résisté jusqu’ici que par le passé. Selon un sondage Ifop/Cecop de février 2020, avant le krach de mars, 45% des épargnants estimaient que les placements en actions étaient intéressants (contre 29% en 2016) et 24% déclaraient leur intérêt pour les fonds d’investissement. Avec la crise, on aurait pu craindre une forte chute de la collecte d’assurance-vie en unités de compte, comme au cours des crises antérieures. Lors du krach de 2001, la part des unités de compte avait chuté à 16% des versements en octobre 2001. Et avec la crise bancaire de 2008, la part des unités de compte avait même plongé à seulement 7% de la collecte en février 2009. Pour l’instant, les épargnants français semblent néanmoins garder leur sang froid. Sur le premier trimestre, les versements sur les supports unités de compte représentent 11,6 milliards d’euros, soit 36 % des cotisations.
La crise du Coronavirus accélère aussi le développement des canaux de distribution en ligne. Alors que les agences bancaires sont fermées, beaucoup d’épargnants ont des difficultés pour accéder pleinement à la gestion de leurs comptes et placements en ligne. Les plus actifs se tournent vers les courtiers en ligne. Alors que 61% des épargnants étaient déjà à l’aise avec la consultation et la gestion de leur épargne en ligne avant la crise, 12% ont réalisé qu’il leur était indispensable de pouvoir consulter et gérer leur épargne en ligne depuis le confinement, tandis que 8 % déclarent s’être familiarisés avec succès avec ces outils, selon un sondage réalisé en avril par Kantar pour le courtier mes-placements.fr. Chez le courtier Placement-direct.fr, filiale de Swiss Life, les souscriptions en ligne ont été multipliées par trois depuis le début de l’année, par rapport à 2019, avec une accélération depuis le confinement instauré mi-mars.