Quatrième partie de l’audience du 18 novembre 2013 devant la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Paris. Pour compléter son examen des délits d’initié dont sont accusés les anciens de dirigeants de Vivendi en marge de sa débâcle, au début des années 2000, la présidente Mireille Filippini enchaîne les auditions des protagonistes : « Monsieur Hannezo levez vous. Expliquez-nous ce conseil d’administration du 14 décembre 2001 ». (Tout le feuilleton ici)

L'avocate générale, la présidente Mireille Filippini, et un conseiller de la Cour d'appel de Paris qui rejuge les ex-dirigeants de Vivendi. Dessin ©Yanhoc

L’avocate générale (gauche), la présidente Mireille Filippini (centreà, et un conseiller de la Cour d’appel de Paris qui rejuge les ex-dirigeants de Vivendi. Dessin ©Yanhoc

– J’ai un souvenir de cette réunion car nous n’avions pas reçu de réponse de Standard and Poor’s au début du conseil d’administration sur son appréciation de l’opération USA Network. J’avais eu un débat assez vif avec Jean-Marie Messier avant où je lui avais dit qu’on devrait faire la présentation de l’opération au conseil d’administration « sous réserve de l’avis des agences de notation » mais il m’avait répondu « la politique de Vivendi Universal ne se fait pas dans les agences de notation ». Un représentant de Goldman Sachs était là, il a présenté toute la technique de l’opération, j’ai présenté les discussions avec les agences de notation. Nous étions dans la fourchette basse de la notation BBB et il fallait nous désendetter. Jean-Marie Messier a indiqué que nous avions pour objectif avant avril de vendre au moins 35 millions d’actions d’autocontrôle, je crois même qu’il ait dit si l’on pouvait en vendre plus. Je ne crois pas qu’il y ait eu de question d’Edgar Bronfman sur le financement et la vente des actions d’autocontrôle ; il avait surtout des questions sur le management avec Mr Diller. Il disait : « on a eu beaucoup de problèmes avec Mr Diller dans le passé, comment on va faire ». Il y a eu quelques questions sur les dettes, surtout de Jean-Louis Beffa qui s’en préoccupait. Jean-Marie Messier a répondu en évoquant la cession d’actions. Beffa a dit « j’espère pas à 50 € » et Jean-Marie Messier lui a dit que l’autorisation des actionnaires ne permettait pas de vendre en dessous de 60 €. Est-ce que, depuis l’assemblée générale d’avril 2001 il y avait une autorisation de vendre en dessous de 60 € ? Non. Tout le monde savait que Vivendi ne vendait que si le cours était supérieur ou égal à 60 €.

La présidente interroge ensuite à nouveau Jean-Marie Messier, notamment au sujet de l’exclusion d’Edgar Bronfman des négociations sur l’opération USA Network.

–         Edgar Bronfman a dit qu’il n’était pas inclus dans l’opération USA Network, explique l’ex-PDG de Vivendi. Premièrement je n’ai pas souhaité l’associer à la négociation avec Barry Diller car il était de notoriété publique que leurs relations n’étaient pas bonnes. Deuxièmement, nous avions l’obligation de réussir l’intégration des opérations américaines du groupe, c’est pour ça que j’étais aux Etats-Unis, car je mettais la main à la pâte, comme quand on avait créé Cégetel.

–         Parlons du 14 décembre, recadre la présidente comme si elle avait assez entendu l’épopée ressassée de l’ex-PDG.

–         J’explique les raisons pour lesquelles je n’ai pas voulu mettre Edgar Bronfman dans l’opération. Comme je l’ai dit (NDLR on n’est jamais mieux cité que par soi-même), il y a un phénomène de mémoire sélective répandu dans cette affaire, des gens ne se souviennent plus des réunions, de ce qu’il s’y est dit et des documents distribués. Nous devions vendre pour 1,9 milliard d’euros à 60 € par action, avec un objectif d’au moins deux milliards d’euros qui avait fait l’objet de discussion avec les agences de rating pour retrouver un niveau confortable de notre note BBB.

La présidente commente l’évolution du cours de Vivendi dans les premiers jours de janvier 2002 et observe qu’ils se stabilisent entre le 4 et le 7 janvier autour de 60 €.

–         Ni Goldman Sachs ni Deutsche Bank n’avaient anticipé que le cours baisserait le lundi. Ni aucun n’avait anticipé l’annonce d’AOL, poursuit Jean-Marie Messier. Durant les deux jours du reclassement d’actions est arrivé le coup de tonnerre d’AOL. J’ai retrouvé deux articles de La Tribune et du Times qui parlent de 40 à 60 milliards de dollars de provisions, soit près d’un tiers des actifs d’AOL.

–         Il y avait eu un conference call d’AOL le 4 janvier dans l’après-midi qui annonçait que la semaine allait commencer avec un profit warning, ajoute un de ses avocats.

–         Ils dormaient beaucoup au conseil d’administration ? reprend la présidente.

–         Ni les administrateurs, ni les membres du Comex ne manquaient d’attention, affirme l’ex-PDG.

S’ensuivent de nouveaux échanges de questions de la Cour avec les prévenus.

–         Je voudrais demander à Jean-Marie Messier des précisions sur la réunion du 14 décembre, interroge l’avocate générale.

–         Si je n’ai pas été très critique sur le timing de l’opération en dehors d’avoir précisé qu’elle devait intervenir au premier trimestre, je confirme ne pas avoir donné de date ni la certitude de pouvoir faire cette opération puisque deux conditions étaient nécessaires. Premièrement que le cours atteigne ou dépasse 60 €, deuxièmement qu’on ait une prise ferme des banques sur une quantité suffisante. Le 14 décembre, c’était une option parmi d’autres, sans certitude ni date.

–         Est-ce que vous ne vouliez pas faire cette opération le plus rapidement possible ? relance la présidente.

–         Quand on fait une opération de marché on cherche toujours à réduire les délais pour ne pas avoir de fuites, explique l’ex-PDG. Mais le 14 décembre il n’était pas possible d’avoir une certitude sur la faisabilité ni la date de l’opération. Nous l’avons eue en janvier, quand j’ai informé le board pour la première fois que l’opération était possible car le cours dépassait 60 € et nous avions une prise ferme des banques.

–         Le 21 décembre, Mr Ghislain de Brondeau de la Société générale envoie un mail à Mr Guilbert de Vivendi sur les conditions de vente au-dessus de 60 € et une période d’activation du 7 au 31 janvier, poursuit la présidente en s’adressant à l’ex-directeur financier.

–         Il s’agissait d’une « cession ferme pouvant être annulée par clause résolutoire », explique Guillaume Hannezo en poursuivant sa réflexion à voix haute. C’est quand même un truc de banquier, ça ! C’est ferme, mais ça peut être annulé si le cours n’est pas supérieur à 60 €. Le 21 décembre, on en est encore loin, rappelle-t-il.

–         Vivendi a coté ce jour-là un plus haut à 60,45 avant de clôturer à 60,30 €, précise la présidente en consultant son listing.

–         On s’en rapproche mais on ne dépasse pas encore 60 € pendant une période assez longue, commente Guillaume Hannezo. Il y a toujours dans les contrats bancaires une clause MAC, une material adverse change clause pour tenir compte d’éléments exceptionnels, comme une guerre ou un tremblement de terre, mais ni Goldman Sachs ni Deutshce Bank ne l’ont invoquée après l’effet AOL Time Warner.

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