À l’approche de l’assemblée générale de l’Association française d’épargne et de retraite, l’AFER, Deontofi.com s’est entretenu avec François Naucodie, courtier historique défenseur des souscripteurs de ce contrat d’assurance-vie emblématique, qui a révélé les détournements de ses fondateurs. Révélations.
1- Vous avez attiré l’attention de Deontofi.com sur la hausse des frais que les dirigeants de l’AFER veulent faire voter par l’assemblée des détenteurs d’assurance-vie au profit d’Aviva, c’est hallucinant !
– Avec la résolution 8, peu loyale, que propose le conseil d’administration à la prochaine assemblée générale de l’AFER, le conseil d’administration fait la courte échelle à Aviva et va lui permettre à long terme d’augmenter considérablement ses recettes, comme je l’indique dans notre infolettre numéro 79 sur notre site sosprincipesafer.fr. Pour les baisses de frais d’entrée proposées dans le point 1 et pour la suppression des frais d’arbitrage dans le point 2, on ne peut qu’approuver. Pour la création de fonds indiciels annoncée dans le point 4, là aussi c’est un plus pour nos contrats, que j’avais d’ailleurs réclamé sans être écouté. En revanche, la contrepartie prévue dans le point 3 constitue un véritable marché de dupes, qui plus est présenté dans un langage technique qui ne sera pas compris par tous. Trente cinq points de base d’augmentation des frais de gestion des supports en unités de compte, cela signifie 0,35% de frais de gestion supplémentaires tous les ans sur les unités de compte (hors AFER Immo 1 et 2) jusqu’au dénouement d’un contrat. On ne peut donc que désapprouver cette hausse, car, sur le moyen et le long terme, nous y perdrons tous et beaucoup.
2- Selon vous, ce n’est pas la première fois que les dirigeants de l’association AFER trahissent l’intérêt des adhérents ?
– Sur plusieurs points, le conseil d’administration est en situation patente de conflits d’intérêts. Pour l’indemnisation des victimes des détournements effectués par les anciens dirigeants, les membres du conseil d’administration de l’Afer se sont toujours refusés très ouvertement à mettre en cause le groupe Aviva. Pourtant, la justice a condamné le directeur général de l’Abeille-Vie, co-signataire des accords occultes et illicites de 1986, et l’a déclaré solidaire à 67,5% du préjudice causé de 340 millions d’euros, en valeur 2019. Or, en tant qu’employeur de ce dernier, Aviva-Vie est évidemment civilement responsable de la faute que son salarié avait commise dans l’exercice de ses fonctions, et évidemment sur instruction). Un couple d’adhérents a d’ailleurs obtenu satisfaction avec cet argument ( Tribunal de Colombes 23 avril 2013). Le conseil d’administration s’est bien gardé d’en tirer la leçon alors qu’il restait 7 semaines avant le départ de la prescription le 19 juin 2013. Le résultat est là. Le conseil d’administration de l’Afer n’a réussi à récupérer que 9 % du préjudice tel qu’il a été évalué par la justice.
3- La rémunération des dirigeants de l’association AFER, payée par Aviva, pourrait-elle expliquer leurs conflits d’intérêts ?
– Pour les rémunérations des membres du conseil, non seulement elles sont supportées de fait à 95% par le groupe Aviva, mais le conseil d’administration est en infraction depuis le début (16 juin 2007) avec les dispositions de l’article R 141-9 du Code des assurances. Il a même eu l’impudence en 2008 de préconiser un vote d’abstention à la résolution 9 que nous avions présentée et par laquelle nous demandions une régularisation de la situation (Lettre de l’Afer N°78 d’avril 2008, page 13).
Normalement, les ressources d’une association qui n’a pas d’activité commerciale ou industrielle, par exemple à travers une filiale, doivent provenir de la poche de ses membres et non de celle de ses fournisseurs. Ou pire, d’un seul fournisseur, en l’occurrence l’assureur. Pour le financement de son budget, à l’Afer, avec pratiquement 750.000 membres aujourd’hui, une cotisation annuelle de 5 euros par tête retenue à la source sur nos comptes y pourvoirait largement. Et ce à bien moindre coût qu’en laissant passer les hausses des frais de gestion promues par les dirigeants de l’association Afer au détriment des assurés et au profit de l’assureur Aviva.
Au total, la dotation d’Aviva à l’Afer est passée l’an dernier d’un peu plus de 4 millions à 7 millions d’euros, alors que les tâches de l’Afer au sein du GIe Afer ont été considérablement réduites. Je passe sur l’acharnement dont je suis l’objet en matière de mesures de rétorsion commerciales depuis plus de 25 an. J’ai aussi fait l’objet de neuf plaintes dont une seule m’a valu une condamnation de 1 euro pour diffamation avec dispense des dépens le 12 avril 2018. Cela a bien fait rire les lecteurs de notre site. Même chose pour les pressions dont sont l’objet les journalistes de la part de leurs employeurs et dont ils me font confidence, publicités obligent.
4- Pourquoi les défenseurs des intérêts des épargnants comme vous ne parviennent pas à faire entendre leur voix ?
– Sur le quota du nombre de procurations de votes dont peuvent disposer les différents membres d’une association souscriptrice d’un contrat d’assurance-vie collectif, la situation actuelle n’est pas du tout satisfaisante, surtout pour une association comme l’Afer qui se prévaut du statut d’association loi de 1901 et prétend jouer un rôle emblématique en ce sens.
Dans une démocratie, à la différence d’une société commerciale, tous les électeurs doivent avoir les mêmes droits. Une femme, un homme, une voix. Ayant l’esprit large, j’avais proposé il y a quelques années à l’Afer une résolution permettant d’aller jusqu’à 10 procurations. Avec un tel plafond, le risque me paraissait nul de voir un seul adhérent ou dirigeant d’association souscriptrice issu du milieu de l’assurance en situation de conflit d’intérêts pouvoir influer négativement sur les intérêts des souscripteurs.
5- Les contrats d’assurance-vie associatifs sont-ils pervertis par des failles de gouvernance des associations d’assurés ?
– En effet, dans la mesure où les dispositions essentielles d’un contrat collectif peuvent dorénavant être modifiées avec l’approbation de l’assemblée générale, il convient donc qu’en aucun cas, les membres d’un conseil d’administration bénéficient d’un privilège quelconque en matière de procurations et puissent abuser de la situation au profit des assureurs, parce qu’ils seraient en état de dépendance totale ou même partielle à leur égard.
C’est encore plus nécessaire sur la question très sensible du coût des prestations de l’assureur. Sur ce dernier point, celui de leur stabilité, les contrats individuels offrent paradoxalement, dans la situation actuelle, une meilleure garantie que les contrats associatifs. Indirectement, ces derniers contiennent ainsi, et de fait, grâce à des dispositions éparses dans la réglementation et dont bien peu comprennent la portée, une clause potestative non écrite au profit des assureurs. A mon sens, ce n’est pas conforme à ce que doit permettre un Etat de droit prétendant favoriser la transparence et gouvernance de l’épargne-retraite.
6- La consultation des souscripteurs de l’assurance-vie AFER ne serait-elle pas démocratique ?
– Auriez vous le sentiment que la France est une démocratie si, pour prendre un exemple, un Président de la République candidat à sa réélection pouvait, au delà des deux procurations auxquelles il a droit comme tout électeur, en transmettre le surplus en nombre illimité via les réseaux de ses partisans ? Nous en sommes là à l’Afer ! Pour les pouvoirs en blanc, comment contrôler par ailleurs qu’ils ne sont pas attribués à des proches d’un(e) Président(e) lorsque la possibilité de participer au dépouillement des votes n’est pas ouverte à tous les adhérents de base volontaires pour ce faire ?
Dans ses statuts on remarque en outre une subtile précaution. Dans le cas des contrats groupes (Art. 82 et 83 du CGI), les salariés en bénéficiant n’ont la qualité d’adhérents que si une clause du contrat le prévoit. Autrement dit, si les dirigeants de l’entreprise souscriptrice n’ont pas lu ligne par ligne les statuts, le droit de leurs salariés concernés, fussent-ils des milliers, risque d’être limité à une voix, celle de leur employeur (Article V 1 des statuts). Par ailleurs, les adhérents qui souscrivent un contrat de 100 euros avec le bulletin d’adhésion simplifié, possibilité offerte depuis un an par l’Afer pour masquer (avec succès) la stagnation relative du nombre de ses adhérents ces dix dernières années, ne pourront statutairement participer ultérieurement au vote, puisque la qualité d’adhérent suppose le règlement d’un droit d’entrée, ce dont ils sont dispensés, dispense révélatrice de l’absence d’une véritable culture associative de la part de ses dirigeants (Article V 2)
7- Comment améliorer la démocratie des associations d’assurés, pour que les progrès annoncés par la loi Pacte ne soient pas des régressions hypocrites ?
– Comme vous pouvez vous-même le conclure, les dispositions actuelles de l’article R 141-2 ont effectivement besoin d’évoluer sauf sur un point, celui du nombre nécessaire de soutiens (100) à la possibilité de présenter des résolutions. La confiance des épargnants doit se mériter. Pour les associations souscriptrices, il faut que cela le soit dans le sens d’un respect des principes qui résultent de leur statut d’association loi de 1901 sans but lucratif. Hormis les miennes que n’apprécient pas les directions respectives d’Aviva et de l’Afer, je n’ai jamais entendu dire que ce droit soit à l’origine de protestations du coté des autres et nombreuses associations souscriptrices.
8- La lois Pacte n’est-elle pourtant pas présentée comme un progrès pour la transparence et la gouvernance de l’épargne-retraite ?
– Au contraire, le projet d’ordonnance pour l’application de la loi Pacte prévoit une modification peu démocratique concernant le premier paragraphe de l’article R 141-5 du Code des assurances, celle qui donne la possibilité à un minimum de 100 adhérents des associations souscriptrices de contrats d’assurance-vie de groupe, ou de contrats de capitalisation relevant du régime de article L 141-7, de présenter des résolutions lors de leurs assemblées générales.
Je fais partie de ceux qui sont à l’origine de cette disposition, puisqu’elle a été intégrée dans le code en réaction aux abus des anciens dirigeants de l’Afer dont j’avais fait la découverte à la fin des années 90, comme je l’ai faite plus tard pour l’erreur commise par certains assureurs en matière de prélèvements sociaux sur l’exercice 2011.
Ce projet prévoirait de relever le nombre des adhérents devant soutenir une résolution à environ 1% de leur total. En pourcentage, cela paraît raisonnable. En pratique, c’est un niveau que seuls les détenteurs du fichier des adhérents peuvent obtenir, autrement dit l’assureur et le conseil d’administration de l’association souscriptrice. En effet, compte tenu d’un taux de réponse rarement supérieure à 10 % des personnes sollicitées pour soutenir une résolution, quel membre de base d’une association de 750.000 adhérents pourrait disposer des adresses d’au moins 75.000 d’entre eux et de la logistique pour les solliciter en vue de réunir le soutien d’un pour cent des adhérents ? Ce ne pourrait être qu’illégalement.
En septembre 2010, sous l’effet d’une opération de lobbying du Président de l’Afer, un tel projet avait été également imaginé. La FAIDER avait immédiatement fait savoir qu’elle était hostile à un tel recul, pour ne pas dire la mort de la démocratie associative en matière d’assurance-vie. Le ministère des finances avait eu la sagesse d’interroger la FAIDER et ensuite la sagesse de remettre ce projet dans un tiroir.
J’ai l’espoir qu’une nouvelle fois, malgré mes faibles moyens, mon militantisme permettra, comme avec le décret du 1er août 2006, d’aller dans le sens de mesures plus équilibrées entre les intérêts légitimes de tous.