(Tout le procès Pérol ici) Pérol13. Jeudi 25 juin 2015, troisième jour du procès de François Pérol, patron de Banque populaire Caisse d’épargne (BPCE). Le juge poursuit l’audition du gouverneur de la Banque de France, venu témoigner en sa faveur.

Ayant longtemps laissé spéculer les Caisses d'épargne et Banques populaires sans rien dire, notamment avec leur banque toxiques Natixis, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, explique comment il a considéré très urgent de les réformer et fusionner pour éviter leur déconfiture lors de la crise bancaire. (photo © GPouzin)

Ayant longtemps laissé spéculer les Caisses d’épargne et Banques populaires sans rien dire, notamment avec leur filiale toxique Natixis, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, explique comment il a considéré très urgent de les réformer et fusionner pour éviter leur déconfiture lors de la crise bancaire.
(photo © GPouzin)

Vous proposez, en tant que superviseur, 5 milliards, reprend le juge. Comment intervient le processus décisionnel politique ? Comment se fait la validation par les pouvoirs publics et à quel niveau ?

Les travaux sont préparés par les services de la Commission bancaire, qui ont les moyens et instruments pour faire des tests sur leurs hypothèses, par exemple un scénario d’évolution des taux, du marché immobilier, etc. Beaucoup de calculs techniques sont faits. Ils m’écrivent leurs estimations et en parallèle écrivent au Trésor pour dire « voilà le montant que nous pensons nécessaire ». J’ai toujours suivi ces positions. Le Trésor nous pose des tas de questions pour être sûr que nous n’avons pas pris de marge de manœuvre par rapport à ce qui est nécessaire, c’est une discussion normale entre services.

– Sur la décision elle-même, nous avons plusieurs déclarations de personnes, dont le directeur du Trésor, qui disent que l’aide ne pouvait être accordée sans la validation du premier ministre et du président de la République. Je ne vais pas vous soumettre au même interrogatoire, car vous n’êtes pas prévenu, mais il y a cette idée que l’aide était validée par le président de la République.

– Nous informions régulièrement le secrétaire générale adjoint du président de la République et le cabinet du premier ministre, répond Christian Noyer en cherchant un peu ses mots, peut-être déconcentré par cette expression saugrenue d’un juge laissant penser que lui, le gouverneur de la Banque de France, pourrait être justiciable en dépit de l’indépendance absolue de son pouvoir. J’imagine que si le président de la République avait dit « pas question d’aider tel groupe », le ministère des finances se serait tourné vers moi et j’aurais dit « il n’y a pas le choix ». Peut-être que le ministère des finances voulait avoir une validation du président de la République, mais cela n’avait aucune incidence, assure le patron de la banque des banques.

– Vous voulez dire que vous n’étiez pas au fait des discussions entre le ministère des finances et le président de la République, traduit le magistrat.

– C’est cela, confirme Christian Noyer. Je n’ai pas eu le sentiment que le directeur du Trésor cherchait l’aval d’une décision. Personne ne conteste que nous calculions ces montants.

– Recevez-vous de la part de Monsieur Pérol des indications ou instructions ? Vous êtes présent à des réunions à l’Elysée présidées par Monsieur Pérol, pouvez-vous en témoigner précisément ?

Je suis absolument affirmatif, quelques fois il y a eu des questions, mais jamais je n’ai reçu d’instruction ou d’indication, réplique cette fois Christian Noyer sans équivoque. Il n’y a eu aucune tentative d’influencer nos calculs. Tout le monde sait qu’elles n’auraient aucune chance d’aboutir, insiste le gouverneur pour rappeler la puissance de son pouvoir. Il m’est déjà arrivé de dire non au président de la République, en présence de témoins. Je ne suis pas sensible aux influences, quand je suis dans mes fonctions. J’avais souvent Monsieur Pérol au téléphone, mais plus sur la situation générale économique et financière pour la coordination internationale face à la crise, les problèmes des banques françaises, comment les dispositifs se mettent en place. Est-ce que c’est bien ? Assez rapide ? Faut-il plus ou moins que 40 milliards ? Est-ce que l’on peut espérer les revoir ? Est-ce qu’il est prévu d’autres accidents ? Comment y faire face, etc. Il y avait des réunions, mais c’était pour moi des réunions d’information. Sur des réunions plus spécifiques, je n’ai pas de mémoire plus précise. J’étais à celles du 26 janvier et du 12 février. Pour le 19 je ne suis pas sûr… J’ai essayé de consulter mon agenda pour ce témoignage, malheureusement du fait de la technologie moderne ces agendas ont disparu, explique-t-il avec un sourire qui semble renforcer la sincérité de cet aveu, tant ce type de mésaventure est répandu.

– Est-ce que vous avez participé à des réunions d’arbitrage et détermination d’une position commune ?

– Non pas du tout. Une réunion précise me revient à l’esprit de façon très claire. Les banques voulaient nous voir séparément, pour faire appel de nos décisions. Quand on leur a dit « on ne veut pas recapitaliser Natixis, il faut passer par ses actionnaires, et vu leur gouvernance déplorable il faut réformer et fusionner », elles voulaient faire appel. Nous les avons reçues en deux temps : une première réunion pour présenter le plan, une deuxième pour dire « il n’y a pas d’appel ».

– N’est-ce pas la détermination d’une position commune ? Indépendamment de votre statut et de votre d’indépendance, vous êtes à l’Elysée, observe le juge. Avant de rencontrer les banques vous vous réunissez pour dire que vous êtes d’accord.

– On ne débattait pas pour se mettre d’accord, réfute Christian Noyer, mais pour dire « voilà nos décisions prises, voilà nos exigences. Ils viennent faire appel, voilà les points sur lesquels il faut être ferme ». Nous avions acquis la conviction que la gouvernance de Natixis ne fonctionnait pas et présentait un danger majeur dans la situation de marché de l’époque.

– Monsieur Pérol a-t-il validé ces décisions formellement ?

– Non, il ne les validait pas. Elles étaient respectées tacitement comme des positions de bon sens. C’est une période dans laquelle les tensions étaient telles que la solution annoncée, l’aide financière et la structure juridique, la préparation du projet de loi permettant cette fusion, toutes les négociations avec les banques, entre le Trésor et nous, toutes les décisions étaient arrêtées avant.

– Imaginons le président de la République dise « nous allons nationaliser », le gouverneur de la Banque de France peut-il s’y opposer ?

– Non. Le problème aurait été réglé de notre point de vue, dès lors que cela répond à nos critères de sécurité. Mais il n’aurait pas suffi de nationaliser pour autant, car j’exige tant de fonds propres à la sortie. Ce sont mes pouvoirs de superviseur.

– Que pouvez-vous dire de la nomination de Monsieur Pérol à la tête de BPCE ?

– Dès lors qu’il qu’il y avait le souci de mettre en place une gouvernance cohérente, avec une restructuration de l’ensemble, au-delà de Natixis, car il y avait des faiblesses au-delà de Natixis, dans l’immobilier et le financement de l’immobilier, pouvaient-ils avoir un organe central avec deux directeurs ? Dans ce contexte s’est posée la question de quels dirigeants ? On est arrivé assez vite au constat qu’ils n’avaient pas les ressources internes. A l’origine il y avait un projet Dupont-Milhaud, puis début 2009 Comolet et Lemaire ne semblent pas avoir l’expérience suffisante et Dupont est décrédibilisé par sa présidence de Natixis.

– Entre la 2ème et 3ème semaine de janvier, Dupont décroche, ponctue le juge.

– Vu l’importance des pertes de Natixis, et qu’à cause de lui les deux groupes soient obligés d’accélérer leur fusion, les Caisses d’Epargne ne voulaient pas de Dupont.

– Cherchaient-ils à recruter leurs dirigeants à l’extérieur ?

Il n’y a eu aucun processus de recherche de personnes extérieures, et c’est une période où les candidats sont rares. Quand il y a la démission du président de la Société générale à la suite de l’affaire Kerviel, j’ai plusieurs réunions avec des administrateurs de la Société générale qui m’expliquent avoir mis en place un dispositif pour chercher un remplaçant mais que c’est très difficile, beaucoup sont décrédibilisés par leurs pertes, d’autres ne veulent pas accepter de postes où on ne sait pas ce qu’on va trouver.

– Il y a des synergies pour aider. On a Richard, Filippi, François Pérol, on teste des noms. Vous êtes gouverneur de la Banque de France, quelqu’un d’écouté. Pouvez-vous témoigner de façon extrêmement précise sur ce point ? implore le juge qui aimerait que ce témoin fasse avancer son procès plutôt que la promotion de la Banque de France.

– C’est une procédure formelle, enchaîne Christian Noyer. Les nominations sont décidées par le conseil d’administration mais deviennent valables définitivement une fois qu’elles sont confirmées par une décision du CECEI de l’époque (NDLR le Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement), aujourd’hui fusionné avec les fonctions de contrôle de l’ACPR. Après décision des conseils, le CECEI entérinera la nomination de François Pérol après examen dans les règles de l’art, sur la présence des qualités requises par la loi : compétence, crédibilité, honorabilité. Le collège est composé de personnalités indépendantes (NDLR des banquiers). Sa décision est attaquée devant la juridiction administrative, le recours est rejeté. Le souvenir que j’ai est que les dirigeants sont venus me voir très tardivement dans le processus de nomination, pour me dire « voilà, nous avons l’intention de nommer François Pérol ».

– Est-ce qu’ils vous disent qu’ils ont vu le président de la République ?

– Je ne m’en souviens pas, mais cela m’aurait frappé. Ils sont venus dans les tous derniers jours avant la décision des conseils. La publication des comptes était prévue le 26 février, je leur dis « la date ne peut pas changer dans la période actuelle. Vous ne pouvez pas aller devant la presse financière internationale sans annoncer un changement de gouvernance pour régler le problème. Vous allez vous faire massacrer, le cours va s’écrouler ». Je suis ferme sur les exigences mais ne suggère pas de noms en leur disant « vous devez trouver une ou deux personnes acceptables de votre point de vue, capables de comprendre les subtilités de votre statut mutualiste, mais en même temps capables de comprendre la finance internationale. Ne nous proposez pas des dirigeants, même remarquables, de banques de province, ce n’est pas ce qu’il nous faut ».

– Ce sujet a-t-il pu être évoqué et des noms abordés ? On a un dirigeant qui indique qu’au cours d’une dernière réunion, il est proposé à Monsieur Pérol de prendre la direction et il répond « non pas question ».

– Je n’en ai pas été témoin. Nous voulions que la gouvernance soir réglée en même temps que tout le reste.

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