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(Tout le procès Pérol ici) 22 juin 2015,14h40, reprise de la première journée d’audience après la pause déjeuner. Le juge Peimane Ghaleh-Marzban examine maintenant le parcours professionnel de l’accusé durant ses fonctions de secrétaire général adjoint de l’Elysée.

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Très suivi par les médias, ici sur le palier de la salle d’audience accueillant le procès devant le juge de la 32ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris, l’affaire Pérol dévoile l’intimité des cercles du pouvoir politico-financier (photo © GPouzin)

Nous arrivons à la période où vous êtes nommé secrétaire général adjoint à la présidence de la République, nommé en mai 2007 jusqu’en mai 2008, puis jusqu’en 2009. Vous êtes associé de la Banque Rothschild en 2007. Dans quelles circonstances intervient cette nomination ?

– Je suis appelé le 5 mai 2007 par Monsieur Guéant, à la veille du second tour, il m’indique que si Nicolas Sarkozy est élu il sera secrétaire général de l’Elysée et me dit que, dans cette hypothèse, Monsieur Sarkozy voudrait m’avoir comme secrétaire général aux affaires économiques. Je n’avais pas participé à la campagne électorale mais je partageais le programme de Nicolas Sarkozy. Je lui ai répondu le lendemain que j’acceptais.

– Comment fonctionne un secrétaire général du président de la République ? Quelles sont ses relations avec les autres ministres et avec le cabinet du premier ministre ? Disposez-vous de services ?

– En principe un des conseillers du président de la République est son conseiller principal en affaires économiques et financières. En pratique il a une équipe réduite, pas de budget, ni délégation de signature, ni autorité sur des services de l’État quels qu’ils soient, s’empresse de placer François Pérol pour sa défense. Il avait des conseillers économie, environnement, etc, plus des conseillers sociaux sous la responsabilité de Raymond Soubie. Le cabinet du premier ministre s’appuie sur le secrétariat général du gouvernement, le cabinet du premier ministre n’a pas cette infrastructure. Il a trois aspects dans nos fonctions: donner au président de la République un avis sur les grands choix de politique économique pour s’assurer de leur cohérence avec le programme de la campagne électorale. J’étais le sherpa du président de la République dans les réunions de négociation internationales, que je préparais avec Jean-David Levitte et la cellule diplomatique de l’Elysée. J’avais aussi un rôle d’information du président de la République sur les questions économiques, je rendais compte au secrétaire général et au président. Les notes passaient toutes quasiment par le secrétaire général. Les relations avec les ministres passaient par leur cabinet, sauf exceptionnellement quant on leur passait un appel direct à la demande du président de la République. Les ministres pouvaient m’appeler en direct.

– Ce n’était pas le sens de ma question, interrompt le juge. Si vous n’aviez pas de services, comment rédigiez-vous ces notes, avec quelles informations, quelle matière ? Comment êtes-vous alimentés ? Vous demandez des notes ou est-ce qu’elles remontent automatiquement ?

– Pour informer le président, il faut avoir des contacts au sein des cabinets, de l’administration ou à l’extérieur. Quand un dossier est porté à la connaissance du premier ministre, il y travaille avec ses ministres et son cabinet, pour transmission au président de la République, alors on prépare une note sur ce dossier. Cela peut porter sur la création du RSA, la réforme des retraites, les reformes fiscales, ou une fusion d’entreprise publique comme GDF-Suez par exemple…

– Ce que vous dites est très intéressant, on comprend qu’il y a une grande implication du président de la République, et c’est tant mieux, flatte le magistrat pour mieux confronter le prévenu à ses contradictions. Est-ce que cela veut dire que votre rôle aurait pu être supporté par d’autres que le chef de l’État et vous ?

– Les élections législatives suivent et confirment le résultat de l’élection présidentielle sur son programme de campagne électorale. Un certain nombre de dossiers importants ont été décidés à l’Elysée, par exemple la réforme des régimes de retraite spéciaux ou la création du RSA ont suivi ce même processus. Il y a eu beaucoup de réunions et cela s’est décidé à l’Elysée. Est-ce que cela aurait dû se décider ailleurs ? Je ne sais pas, s’interroge François Pérol que ce décalage entre la réalité et les cours de Science Po rend soudain perplexe.

– Quand on voit l’ensemble des notes, sur tous les sujets concernant la France, vous expliquiez ce matin, que la technicité des notes rendait impossible un arbitrage du président. Quand on fait une note, on lui dépose ? On lui en parle ? Il a besoin d’une petite explication.

– Vous faites allusion aux notes d’information, pas pour décision, préempte un Pérol sur le qui-vive. Sur la suppression de la taxe professionnelle, la question est posée au président s’il souhaitait la supprimer ou pas.

– Je parle de la note du 21 février 2009, enregistrée à 2h34 du matin pour une réunion prévue à 11h, quand le président était au salon de l’agriculture…, recadre le juge.

– Les notes étaient transmises au secrétaire général qui préparait le dossier du président, qui insistait pour qu’elles lui soient transmises 48h avant, sauf urgence.

– Ce devait être d’une très grande urgence, vu l’horaire, taquine le juge. J’ai vu des notes que vous adressiez sur la crise financière, je me demandais si elles correspondaient à ce qu’il souhaitait.

– La totalité du dossier de rapprochement de BPCE s’est déroulée pendant la crise financière, entame François Pérol. Il a été annoncé le 9 octobre 2008, dans une des pires semaines de la crise financière, et finalisé en février 2009, avant le sommet du G20 sur la crise financière à Londres. La crise s’est développée de façon extrêmement forte à partir d’octobre 2008, elle n’était pas terminée en février 2009 quand la crise économique a commencé. La gravité de la crise a mis une pression exceptionnelle sur les responsables politiques, appelés à prendre des décisions sans précédent quant à leur nature et niveaux. Ma mission pendant cette période a été de conseiller et d’accompagner le président. Comment l’éclairer ? Les choix sont arrêtés par le président, à partir d’août 2008 il nous apparaît que la crise est très importante vu les événements qui se sont déjà déroulés. Le 25 sept 2008 dans le discours de Toulon il annonce des mesures essentielles face à la crise: l’État interviendra dans le secteur financier pour rétablir la confiance des déposants et des épargnants. C’était un sujet après l’épisode Northern Rock. L’État interviendra pour soutenir le financement de l’économie et si des banques sont en difficulté, pour que pas un seul déposant ne perde un seul euro. On fait aussi le constat d’une crise internationale qui est une crise de régulation à laquelle il faut une réponse de régulation internationale. Et si la crise financière devient économique, l’État interviendra en soutien de l’activité. Ces grands choix économiques, qui n’appelaient pas des décisions politiques évidentes, étaient éclairés par mes conseils.

Ma deuxième mission, l’essentiel de mon temps, était la diplomatie économique et financière. De septembre 2008 à février 2009, j’ai participé à neuf sommets internationaux initiés, proposés ou suggérés par le président de la République, notamment en Europe car il assumait la présidence de l’Union européenne à cette période, en plus de réunion bilatérales innombrables. Le 12 octobre 2008, tous les états européens sont réunis au sommet de la zone euro, c’est le premier au niveau des chefs d’État et de gouvernement, qui se conclut par un engagement des pays de soutenir leur secteur financier avec des financements et garanties de financement, pour rétablir la confiance, garantir le financement de l’économie, et venir si nécessaire en soutien aux établissements financiers en difficulté. Et de quelle ampleur ? 360 milliards d’euros pour la France, 500 milliards pour l’Allemagne…

Il est 15h15 et les paroles du professeur Pérol se perdent dans l’audience assoupie par la torpeur d’une après-midi d’été. Agacée par la diversion de cet exposé, privant le procès d’un temps précieux, la procureure tapote fébrilement son stylo et chuchote quelques commentaires à l’oreille de son confrère. Le président et la cour semblent hésiter à interrompre ce monologue sur les coulisses de l’histoire contemporaine, captivant mais tellement hors sujet que plus personne n’écoute vraiment.

– On aura l’occasion d’y revenir, ponctue le président pour reprendre en main les débats, mais si vous avez des exemples…

– Du 5 au 9 octobre nous remontons à l’assaut auprès de nos partenaires allemands, après l’échec d’une réponse coordonnée de l’Allemagne le 4 octobre, reprend de plus belle l’oncle Pérol. Le 9 octobre, Nicolas Sarkozy s’entretient par téléphone avec Angela Merkel qui a changé d’avis, car une banque allemande doit être sauvée. On prépare un nouveau sommet pour le 16 octobre, avec les états de la zone euro et le Royaume-Uni… Pardonnez- moi je suis trop long, s’interrompt François Pérol réalisant peut-être d’un coup qu’il s’est pris au jeu de son récit sans se préoccuper de son audience dont il mesure maintenant l’éloignement.

– Il est important que Monsieur Pérol puisse s’exprimer, lui accorde néanmoins le président. On reprendra ensuite dans le détail.

– Pendant ce temps, le président de la République essaye de convaincre son homologue américain de réunir un sommet international à New York avec d’autres puissances économiques. Le week-end des 18 et 19 octobre je suis avec le président au Québec, puis à Camp David…

(Tout le procès Pérol ici)

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