(Tout le procès Pérol ici) Pérol19. Jeudi 25 juin, 3ème jour du procès de François Pérol, dernier compte-rendu de l’audition du 3ème témoin : Laurent Mauduit, journaliste co-fondateur de Mediapart, grand connaisseur des Caisses d’épargne, raconte les dessous de l’affaire, que l’accusé conteste véhément.

Grand connaisseur des Caisses d'épargne, le journaliste Laurent Mauduit de Mediapart raconte le double-jeu de Rothschild (photo © GPouzin)

Le journaliste Laurent Mauduit, co-fondateur de Mediapart qui a révélé de nombreuses dérives des Caisses d’épargne, raconte le double-jeu de Rothschild, au service des Banques Populaires contre la CDC, après avoir servi cette dernière aux côtés de l’Ecureuil. On apprend aussi que les pouvoirs publics ont fermé les yeux sur les alertes qui auraient pu sauver l’Ecureuil. (photo © GPouzin)

– Vous avez cité la lettre du 16 mars 2006, de Francis Mayer à David de Rothschild, et celle en réponse de Rothschild du 24 mars, reprend le juge Peimane Ghaleh-Marzban en puisant ce dernier document dans le dossier du procès, dont il lit des extraits corroborant le témoignage du journaliste : « Je suis désolé de vous savoir souffrant… Hélas, nous avons des responsabilités vis-à-vis des institutions dont nous avons la charge, ce constat s’impose. Le projet de cotation des Caisses d’épargne ayant été abandonné par son initiateur, y a été substitué un projet de rapprochement. De son côté, le président des Banques populaires nous demande de l’assister auprès de son groupe ». Cette lettre du 24 mars s’inscrit dans un échange de correspondance. David de Rothschild écrit : « Monsieur le directeur général, j’ai bien reçu le 20 mars votre lettre du 16 en réponse à mon courrier du 13:
1/ nous avons été confrontés à une situation nouvelle, le projet initial d’introduction en Bourse ayant été abandonné pour privilégier un rapprochement ;
2/ au cours du week-end vous avez indiqué être opposé à ce projet et que vous avez retenu BNP Paribas pour vous conseiller ;
3/ de son côté, le président du groupe Banque populaire nous a demandé de l’assister et nous avons accepté car il n’y avait pas de conflit d’intérêt vu que le projet initial est caduque. J’ai pris toutes les dispositions pour qu’il y ait un cloisonnement des équipes et un archivage sécurisé… Vous mesurez bien à quel point l’accusation de déloyauté m’est personnellement pénible, et c’est pourquoi je tenais à vous éclairer sur les conditions dans lesquelles nous avons agi de manière éthique et responsable »
. Avez-vous d’autres éléments de témoignage ?

– Oui monsieur le président. Dès que j’ai compris que la perte de trading allait accélérer la porte de sortie, j’ai enquêté, et j’ai vite compris que le ministère des finances n’était pas décideur sur ce dossier. Là, le ministère des finances ne savait presque rien. Le seul qui savait un peu quelque chose était Stéphane Richard, qui disait « je ne suis pas leader, demandez à l’Elysée ». Quand il y a la réunion du samedi 21 février 2009, je publie l’info deux ou trois heures après. Tous les membres du conseil d’administration savent que tout se passe a l’Elysée.

– Vous êtes journaliste économique, on décrit les difficultés des dirigeants des Banques populaires et des Caisses d’épargne ont du mal à se mettre d’accord, vous confirmez ?

– C’est exact, ils vivent dans des systèmes très cloisonnés avec des baronnies locales et régionales.

– Si vous pouvez développer ?

– Toutes les banques doivent être contrôlées par leurs actionnaires ou leur autorité de tutelle. Là, il n’y a pas de contrôle, il y a au sommet un potentat, un patron autoritaire qui fédère des banques régionales où le pouvoir est très fort. Les patrons de régions gagnent des sommes d’argent considérables. C’est une fédération.

– Peut-on parler d’une gouvernance chaotique ?

– Oui. Il y a eu une confrontation judiciaire car les Caisses d’épargne nous ont poursuivi en diffamation. Nous avons fourni 80 documents, dont 40 issus de la Commission bancaire, qui les ont convaincu de retirer leur plainte, et ils ont été condamnés pour poursuites abusives. Ça fait froid dans le dos, car toutes les alertes ont été données avant 2008. Il y a eu des dizaines d’alertes avant que l’accident n’arrive. Ce qui m’a stupéfait, c’est que les alertes existaient mais que les pouvoirs publics n’en tenaient aucun compte.

– Quels noms ont circulé sur la place entre septembre 2008 et mai 2009 ?

– C’est compliqué, car la presse peut être victime de manipulations. Beaucoup de noms ont circulé, notamment via Alain Minc qui est un peu DRH du capitalisme parisien. Le seul nom sérieux de candidat déclaré qui me l’a confirmé, c’est Stéphane Richard. Il a été très dépité, il ne voulait pas aller chez Orange mais chez les Caisses d’épargne.

– Et la piste Dupont ? Semblait-elle sérieuse ?

– Non. Il y avait une telle détestation réciproque entretenue par Milhaud et Dupont qu’aucun des deux n’était capable d’occuper le poste. La solution Dupont n’a jamais paru crédible.

– Sur les avantages, la rémunération, François Pérol triple son salaire, selon votre article sur les fabuleux honoraires de François Pérol… intervient la procureure.

– Le titre renvoie aux rémunérations de sa mission de banquier conseil pour les Banques populaires dans le cadre du rapprochement entre Natixis et Ixis, qui a dû lui rapporter 1,5 à 2 millions, vérifié par une visite aux impôts. Un autre article sur des données publiques figure dans les rapports. Je ne l’ai plus en tête mais c’est vérifiable.

– Confirmez-vous qu’il vous aurait dit ne pas être candidat ? intervient à son tour Maître Karsenti, avocat des parties civiles.

– Oui, je me souviens d’échanges avec lui. Le lendemain de mon premier article, je me demande qui est le responsable hiérarchique de François Pérol, Claude Guéant ou l’inspection des finances ? J’ai appelé tout le monde et j’ai reçu un SMS de Stéphane Richard indiquant « le risque pénal c’est François Pérol qui l’a assumé tout seul ».

– Qui vous renvoyait vers l’Elysée ? reprend le juge.

– Ma conviction, et toutes les sources que je tais par respect déontologique, me disaient « ça se décide à l’Elysée ».

– Le plus simple serait que Monsieur Pérol réponde, enchaîne le magistrat en donnant la parole à l’accusé qui trépigne depuis un moment à l’écoute de cette version de l’Histoire bien différente de la sienne.

– Je voudrais réagir car un très grand nombre de choses qui ont été dites sont inexactes, et portent atteinte à mon honneur et à ma dignité, dénonce François Pérol, impatient de démentir le témoignage du journaliste à cause duquel il se retrouve accusé dans ce procès. Je voudrais rappeler que la transformation des Caisses d’épargne et leur transfert du secteur public au privé sous forme mutualiste a été initiée par la loi de 1999. Aujourd’hui, elles ont toujours un statut mutualiste et coopératif. Dire qu’il s’agissait d’une démutualisation est un contresens absolu. C’est une privatisation par un groupe mutualiste. Aujourd’hui, au sein du groupe BPCE, les Caisses d’épargne sont toujours un groupe mutualiste. Expliquer que la Caisse d’épargne est sortie de l’économie sociale pour spéculer dans le privé est une contresens absolu. Ixis était une banque de marché filiale de la CDC et celle qui a posé le plus de problèmes.

Troisièmement, Monsieur Mauduit dit que j’aurais conseillé secrètement. Ce n’est pas secrètement que la Banque Rothschild a conseillé les Banques populaires. C’est une fois parvenu à un accord qu’elles sont venues chercher conseil auprès de Rothschild. A ce moment on se demande faut-il conseiller un projet qui n’existe plus ou un nouveau projet. La question du conflit d’intérêt est résolue par David de Rothschild. Comme M. Mauduit le rappelle, Rothschild s’est interdit certaines missions dans ce mandat.

Quatrièmement, je n’ai jamais conseillé la CDC au sein de la Banque Rothschild. Il a été écrit que la banque aurait touché 25 millions d’honoraires, ils étaient de 9 millions dans l’opération et 2 millions pour l’introduction en Bourse de Natixis en décembre 2006. Je ne sais pas où il a trouvé l’usage du partage, ce n’est pas du tout le mode de rémunération de Rothschild qui privilégie le collectif sur l’individuel pour favoriser la coopération. Les associés perçoivent une rémunération variable déterminée sur un pourcentage du résultat global par le président de la banque avant le début d’année. Il n’y a pas de corrélation directe et immédiate entre les dossiers sur lesquels vous travaillez et ce que vous touchez. J’ai touché un pourcentage des résultats de la banque décidé par le président de la banque avant cette opération. Il est donc faux que j’ai touché 1,5 à 2 millions d’euros sur cette opération.

– Combien ? interroge le juge que ce démenti mathématique ne semble guère convaincre.

– Ma rémunération a été de 1,9 million en 2005, 3,9 million en 2006 et 2,6 millions pour les cinq premiers mois de mois 2007, qui étaient parmi les meilleures années de la banque d’affaire en France, admet François Pérol avant de reprendre son démenti du témoignage.

Je voudrais aussi répondre sur sa perception que je m’occupais de tout à l’Elysée. Par exemple à propos d’Eiffage-Sacyr, je l’ai reçu à la demande de Sarkozy, mais c’est Roverato, le président d’Eiffage, qui a convaincu la CDC de participer à l’opération. Sur GDF-Suez déjà évoqué, imaginer que cela ait pu se passer en vingt minutes dans mon bureau, c’est bien mal me connaître et bien mal connaître Monsieur Albert Frère. Quant à Tapie, il y a une procédure en cours et je n’y suis pas partie.

Quand il dit que dès 2005, on pouvait tout savoir des difficultés des Caisses d’épargne, il y avait évidemment des difficultés de contrôle interne. Mais expliquer que la crise de 2008 n’y est pour rien n’a aucun sens. Quant au jeune trader condamné, il a renoncé à faire appel et BPCE a renoncé à réclamer le remboursement de la perte car c’était impossible.

Enfin c’est moi qui ai interrompu les poursuites en diffamation des Caisses d’épargne contre Mediapart et la mienne, car je voulais tirer un trait sur le passé et ne voulais plus en entendre parler. J’en ai maintenu une, car elle visait aussi ma compagne. En octobre 2009 le directeur des risques des Caisses d’épargne a été licencié et révoqué pour faute lourde. La veille du conseil qui devait procéder à son licenciement, je reçois un coup de fil menaçant si je ne négocie pas. Sort ensuite un article selon lequel j’aurais favorisé la carrière d’Imad Lahoud dans le secteur privé, avec des allégations que ma compagne travaillant à l’AMF aurait donné une autorisation de complaisance. Nous avons poursuivi et Mediapart qui a été condamné en première instance et fait appel. Tout comme le directeur des risques est aujourd’hui partie civile dans ce procès, après qu’un arrêt du 20 mars 2014 ait confirmé le jugement des prud’hommes sur son licenciement.

– On aura compris que les constitutions de partie civile ont un contentieux privé…, commente Maître Pierre Cornut-Gentille, l’avocat de François Pérol, peut-être pour discréditer leurs actions, mais en confirmant par là-même la répression désespérée des dirigeants d’entreprise qui accablent de reproches et procédures abusives les individus contestant leurs dérives.

16h15, fin de l’audition de Laurent Mauduit.

(Tout le procès Pérol ici) 

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