Alors que la crise sanitaire rappelle l’importance des assurance santé, les petites mutuelles mobilisées dans les territoires réclament une reconnaissance de leur spécificité au regard des contraintes financières et réglementaires prévues par la directive Solvabilité 2.
Jusqu’ici, les petites et moyennes mutuelles peuvent bénéficier de contraintes allégées, dans le cadre de la mise en œuvre programmée de la directive Solvabilité 2, une réglementation européenne visant à renforcer la solidité financière des compagnies d’assurances, mais aussi des fonds de pension redevables des retraites dans les pays de tradition anglo-saxonne (notamment aux Pays-Bas).
Actuellement, le seuil d’application du cadre prudentiel de la directive Solvabilité 2 est ainsi fixé à 5 millions d’euros de primes brutes par an, et 25 millions de provisions techniques au bilan (correspondant à l’ensemble du stock de sinistres assurés), en vertu de l’article 4 de la directive.
Les mutuelles dont l’activité est inférieure à ces deux seuils seraient dispensées d’appliquer Solvabilité 2, à condition qu’elles ne soient pas assureur ou réassureur en responsabilité civile, assurance de crédit ou de caution.
Ces petites mutuelles demeurent cependant soumises au contrôle du gendarme des assurances, l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), et elles doivent déjà respecter les contraintes de la directive Solvabilité 1.
Mais ces seuils sont trop bas pour permettre aux petites mutuelles de santé de développer normalement leur activité, estime la Fédération Diversité Proximité Mutualiste (FDPM).
Dans un courrier adressé fin novembre 2019 au ministre de l’économie, Bruno Le Maire, le président de la FDPM, Jean-Louis Span, attirait son attention sur les obstacles et difficultés que représentaient les nouveaux critères de la directive Solvabilité 2 pour les petites mutuelles de santé opérant actuellement dans le cadre de Solvabilité 1.
En effet, avec la mise en place de Solvabilité 2, les petites mutuelles sont confrontées « à des transformations coûteuses et en particulier la constitution de fonds propres qui va impacter leurs niveaux de cotisations et donc leur compétitivité ».
Des délais et un seuil d’exemption plus élevé
Pour y remédier, ou au moins alléger ce fardeau, la FDPM proposait d’abord un allongement du délai pour constituer les fonds propres exigés par le passage de Solva 1 à Solva 2, en le repoussant à 5 ans au lieu des 3 ans prévus par la directive.
Surtout, la FDPM plaidait pour une augmentation du seuil de primes d’assurances annuelles permettant de passer en dessous du radar de Solvabilité 2. Selon elle, un seuil de 50 millions d’euros de primes d’assurance annuelles ne présenterait « aucun risque pour la garantie du service des prestations aux adhérents des petites mutuelles ».
Plusieurs arguments accréditent en effet cette sécurité. D’abord ces petites mutuelles ont un statut de sociétés de personnes, contrairement aux mastodontes de l’assurance, ce qui « garantit l’absence d’engagements hasardeux sur les marchés financiers, à l’origine de la crise financière ». Ensuite, les risques portés par les petites mutuelles de santé doivent s’apprécier à court terme, les contrats étant révisés chaque année, contrairement à des assurances de plus long terme, comme la prévoyance ou l’assurance construction.
Enfin, à défaut d’un seuil spécifique, la FDPM réclamait dans un autre courrier au ministre de l’économie, mi-octobre, que le seuil de primes annuelles permettant de rester sous le seuil des nouvelles contraintes soit au moins revalorisé en tenant compte du coût de la vie, ce qui n’a pas été fait depuis plus de dix ans.
Un statut européen de Petites et Moyennes Mutuelles (PMM)
Afin de mieux prendre en compte la spécificité de ses adhérents dans le cadre des nouvelles contraintes de Solvabilité 2, la FDPM réclame même « la reconnaissance d’un vrai statut pour les Petites et Moyennes Mutuelles (PMM), à l’instar de celui des PME au sens communautaire ». Il est vrai que la définition officielle de ce statut de PME européenne (moins de 250 salariés, chiffre d’affaires inférieur à 50 millions et bilan inférieur à 43 millions), permet à ces dernières de bénéficier de traitements particuliers dans de nombreux domaines réglementaires et fiscaux, voire de subventions spécifiques.
L’autorité européenne des assurances et des pensions (EIOPA, European Insurance and Occupational Pension Authority) avait rendu un avis officiel, le 15 octobre 2019, allant déjà dans le sens d’un allègement des contraintes prévues par la directive Solvabilité 2 pour les petites mutuelles. Mais sans aller aussi loin que les revendications de la FDPM.
Petits pas du gendarme européen des assurances
Le seuil d’application de Solvabilité 2 pourrait ainsi être quintuplé par rapport aux seuils initialement prévus par la directive, fixant le maximum de primes d’assurance pour échapper à cette directive à 25 millions d’euros par an, en doublant le seuil des stocks de sinistres assurés, à 50 millions d’euros de provisions techniques.
Dans un courrier adressé au président de la FDPM fin août dernier, le ministre des finances avait confirmé sa volonté d’examiner cette piste en amont des négociations au Conseil de l’UE, tout en rappelant son attachement à ne pas « créer de différences de traitement prudentiels trop importantes entre des acteurs exerçant sur le même marché ». Il notait toutefois que les propositions présentées par la FDPM allaient plus loin que les pistes explorées par l’EIOPA.
Sans surprise, car l’EIOPA est culturellement marquée par un biais anglo-saxon dans son approche de la solvabilité, soupçonné d’avoir tendance à ne considérer le monde de l’assurance que sous un angle capitaliste, assez ignorant des traditions mutualistes en place dans des pays d’Europe continentale comme la France.
Délai dans l’attente des seuils de Solvabilité 2
Les réflexions de l’EIOPA ayant été perturbées par la crise sanitaire, le délai accordé au gendarme européen des assurances pour présenter ses conclusions sur ce thème a été rallongé jusqu’à fin décembre 2020. Dans l’attente de cet avis de l’EIOPA, qui servira de base aux négociations finales de la Commission européenne pour fixer les critères de solvabilité, la FDPM a demandé mi-octobre au ministère de l’économie, un moratoire d’un an sur la mise en œuvre de Solvabilité 2 pour les petites et moyennes mutuelles, afin qu’elles puissent adapter leurs efforts et investissements aux exigences qui seront finalement arrêtées.
Cette demande a été adressée également fin octobre au président de l’EIOPA, Gabriel Bernardino. Avec les contraintes de la crise sanitaire, ce délai serait plus qu’utile afin de permettre aux petites mutuelles de mieux se préparer aux nouvelles exigences de la directive Solvabilité 2, dont les contraintes attendent encore d’être précisées.