Plus de 1100 personnes, principalement ouvrières textile, ont trouvé la mort dans l'effondrement de l'immeuble Rana Plaza abritant les sous-traitants fabriquant des vêtements de marque "occidentales", notamment pour Auchan poursuivi en justice par les associations Sherpa, Ethique sur l'étiquette et Peuples solidaires. La proposition de loi sur la sous-traitance vise à améliorer les pratiques de sous-traitance. Photo: Flickr: Dhaka Savar Building Collapse, rijans

Plus de 1100 personnes, principalement ouvrières du textile, sont mortes dans l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza où les sous-traitants fabriquaient des vêtements de marques « occidentales », notamment pour Auchan, poursuivi en justice par les associations Sherpa, Ethique sur l’étiquette et Peuples solidaires. La proposition de loi sur la sous-traitance vise à responsabiliser les donneurs d’ordres. Photo: Flickr: Dhaka Savar Building Collapse, rijans

La proposition de loi sur le devoir de vigilance des grandes entreprises vis-à-vis de leurs sous-traitants n’est pas enterrée, c’est déjà un progrès. Maintes fois reporté, ce texte a été examiné par le Sénat le 18 novembre 2015, qui l’a rejeté dans sa majorité réactionnaire, le jugeant incompatible avec la course à la compétitivité à tout prix qui mène aux drames humains, écologiques et économiques que l’on sait. L’Assemblée nationale qui avait adopté ce texte en première lecture devrait cependant le confirmer, afin de renforcer la responsabilité sociétale des grandes entreprises face aux dérives de leur chaîne de sous-traitance. Explications.

On sait depuis longtemps que la sous-traitance est utilisée par les entreprises pour réduire leurs coûts fixes, mais surtout esquiver leurs responsabilités sociales, ou les minimiser. L’effondrement en avril 2013 à Dakha, Bangladesh, de l’immeuble d’ateliers textiles Rana Plaza, produisant des vêtements de marques « occidentales », en est une des dernières illustrations meurtrières (1135 morts).

Mais ce phénomène est aussi connu dans le transport maritime en cas de marée noire (la compagnie pétrolière se défaussant sur son transporteur se défaussant lui-même sur son armateur battant pavillon off-shore, etc.), dans la construction et le BTP (le maître d’œuvre confiant les travaux à des entreprises exploitant une main d’œuvre étrangère bon marché dans des conditions obscures), ou encore dans l’industrie agroalimentaire (le distributeur recourant à un fournisseur de lasagnes trompé par un sous-traitant sur la traçabilité de sa viande), l’entretien des réseaux de chemin de fer (dérive bien illustrée au cinéma, dans le film « The navigators » de Ken Loach -2001-), sans parler de la sécurité des centrales nucléaires (aussi largement confiée à des sous-traitants), parmi bien d’autres exemples.

Soucieux d’encadrer un peu mieux la concurrence sauvage et déloyale des producteurs à bas coûts ne respectant ni leur main d’œuvre, ni l’environnement, les cénacles politiques internationaux ont adopté un certain nombre de textes et principes (lire ci-dessous), pour obliger les donneurs d’ordres à se préoccuper plus sérieusement des conséquences de leurs pratiques de sous-traitance, ou au moins leur faire partager la responsabilité de ses méfaits.

La proposition de loi sur le devoir de vigilance des grandes entreprises vis-à-vis de leurs sous-traitants va dans ce sens. Le fait que le Forum pour l’investissement socialement responsable (FIR)  soutienne cette loi est aussi une bonne nouvelle car, en dehors de rares initiatives individuelles, c’est une des premières manifestations concrètes d’un réel engagement à trier les sociétés cotées en Bourse selon la supervision et la conformité de leurs sous-traitants.

L’association Ethique et Investissement, présidée par Geoffroy de Vienne, ancien représentant syndical CFTC actif au sein du Comité interentreprise pour l’épargne salariale (CIES), a aussi joué un rôle déterminant dans le soutien de cette proposition de loi censée « obliger les multinationales à prendre des mesures de prévention concrètes sur leurs chaînes d’approvisionnement afin d’empêcher d’autres drames comme celui du Rana Plaza« , comme il l’expliquait dans un communiqué du 17 septembre 2015.

Le Forum pour l’investissement responsable (FIR), auprès duquel le syndicat CFTC est aussi très impliqué dans sa démarche de construction sociale et de défense de la dignité des travailleurs, va d’ailleurs bien au-delà d’un simple soutien de principe à la loi sur la vigilance des groupes en matière de sous-traitance puisqu’il prend un soin particulier à en détailler le contexte et à en expliquer les tenants et aboutissants dans son communiqué.

Plutôt que de paraphraser l’analyse très étayée du FIR, Deontofi.com reproduit ci-dessous son communiqué en recommandant sa lecture enrichissante.

COMMUNIQUÉ DE PRESSE
POSITION DEVOIR DE VIGILANCE

Paris, mardi 17 novembre 2015

La proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre a été adoptée à l’Assemblée nationale le 30 mars 2015. Elle est à nouveau débattue au Sénat à partir de ce mercredi 18 novembre. A cette occasion, le FIR prend position en faveur de ce texte qui s’inscrit dans le contexte réglementaire international qui se met progressivement en place dans le prolongement des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme des Nations-Unies.


Position du Forum pour l’Investissement Responsable
sur la proposition de loi relative au devoir de vigilance
des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre

 I. Le contexte de la proposition de loi

Le texte a été initié par des députés en 2012 et mis en lumière, suite à l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza au Bangladesh, le 24 avril 2013, au cours duquel 1 135 personnes ont trouvé la mort et plusieurs centaines ont été blessées. Ces victimes travaillaient essentiellement pour l’industrie du textile et des étiquettes de marques françaises ont été retrouvées dans les décombres. Cette catastrophe a mis en lumière aux yeux du grand public la responsabilité des entreprises donneuses d’ordre. Elle a frappé l’opinion publique par son ampleur, mais ce drame n’est pas isolé et d’autres événements comparables ont eu lieu auparavant et depuis lors. Au-delà de ces événements tragiques, les citoyens deviennent des « consomm’acteurs », ils réclament davantage d’informations et de transparence, sur ce qu’ils achètent et plus globalement sur le comportement des entreprises.

Cette proposition de loi s’inscrit dans un nouveau contexte réglementaire international, dans la continuité de l’adoption à l’unanimité, en 2011, des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux  Droits de l’Homme des Nations-Unies. Cette adoption a marqué une étape clef après le travail mené par John Ruggie[1] et l’OCDE. Ces principes développent notamment les concepts de sphère d’influence et de diligence raisonnable[2] et invitent les États à prendre des mesures pour mettre en œuvre de manière effective la responsabilité des entreprises vis-à-vis de leurs chaines de production.

Plus récemment, le 8 juin 2015, le G7 a envoyé d’Allemagne un message très explicite en page 6 de sa déclaration finale[3] : « We strongly support the UN Guiding Principles on Business and Human Rights and welcome the efforts to set up substantive National Action Plans. In line with the UN Guiding Principles, we urge private sector implementation of human rights due diligence. We will take action to promote better working conditions by increasing transparency, promoting identification and prevention of risks and strengthening complaint mechanisms ».

La proposition de loi est également en phase avec les orientations prises au niveau européen au travers de la directive 2014/95/UE du 22 octobre 2014 en page 2[4] ainsi que dans la résolution du Parlement européen du 29 avril 2015[5], reprise par l’Assemblée nationale française le 25 juin 2015[6].

L’ensemble de ces textes procède d’un même mouvement de fond dans le champ de la responsabilité sociétale des entreprises vis-à-vis de leurs chaînes d’approvisionnement. Ce mouvement est essentiel pour les investisseurs responsables qui en prônent la mise en œuvre et il constitue en cela l’une des clefs d’accès au capital pour les entreprises : la dynamique financière est clairement orientée aujourd’hui vers un monde où les entreprises sociétalement responsables bénéficieront d’un coût d’accès au capital inférieur à celui des entreprises indifférentes à ces questions.

II. La proposition de loi sur le devoir de vigilance

Cette proposition de loi a pour objectif d’engager les grandes entreprises à identifier et prévenir les violations des droits humains et les dommages corporels et environnementaux que pourraient provoquer leurs activités en tant que société mère ou entreprise donneuse d’ordre.

Concrètement, elle demande aux entreprises d’instaurer un plan de vigilance, de le rendre public et de le mettre en œuvre.  Elle prévoit des sanctions si l’entreprise ne se conforme pas aux exigences ci-dessus. Il est important de noter que la survenue d’un dommage dans une filiale, une entreprise sous-traitante ou fournisseur n’implique pas une mise en cause systématique de la maison mère ou de la société donneuse d’ordre. Celles-ci ont une obligation de moyens, c’est-à-dire de mise en œuvre effective du plan de vigilance, et non pas de résultats. Ce point est essentiel pour l’équilibre nécessaire à trouver entre la responsabilité sociétale des entreprises et le réalisme de la mise en œuvre des mesures prévues dans un contexte où, évidemment, il ne serait pas réaliste de considérer qu’une société donneuse d’ordre puisse contrôler, en permanence, l’ensemble des comportements de sa chaîne d’approvisionnement. En cela, la proposition de loi parvient à trouver le juste point d’équilibre.

Seules les grandes entreprises sont concernées, celles qui comptent plus de 5 000 salariés en leur sein ou dans leurs filiales dont le siège social est en France et 10 000 salariés quand elles opèrent en France, que leur siège soit situé en France ou à l’étranger. Selon les estimations qui ont alimenté les débats parlementaires, la fixation de ces seuils implique qu’environ 150 à 200 entreprises soient concernées. Celles-ci auront peu de difficultés à s’adapter à ces nouvelles dispositions, les entreprises concernées disposant de moyens importants et, plus généralement, les entreprises françaises étant pionnières en matière de RSE. Assurer une cohérence avec les seuils prévus par la directive européenne 2014/95/UE du 22 octobre 2014 sur la publication d’informations non financières aurait eu du sens.

III. Pourquoi le FIR est favorable à la proposition de loi

Aujourd’hui, la mise en place de la loi doit permettre aux entreprises de prévenir les accidents, au bénéfice des employés de leurs sous-traitants, fournisseurs et des territoires où ils exercent leurs activités. Ces mesures relèvent tout à la fois de l’intérêt évident des entreprises concernées et de la systématisation d’une pratique de responsabilité sociétale fondée sur la constatation qu’une entreprise ne saurait opérer dans un contexte d’irresponsabilité au prétexte que ses fournisseurs ou sous-traitants évoluent dans des environnements juridiques moins exigeants. Par ailleurs, une pratique exigeante de la responsabilité sociétale constitue pour les entreprises la clef d’accès aux fonds pratiquant un investissement responsable dont on rappellera qu’ils représentaient pour la seule France 579 milliards d’euros à la fin 2014[7].

La transparence et l’information sont des conditions nécessaires à l’analyse des investissements. Les plans de vigilance renforceront la capacité des analystes ISR à réaliser leur mission. Par ailleurs, l’analyse des controverses est devenue, ces dernières années, une question clef pour les investisseurs responsables. Ces controverses doivent être éclairées sur la base d’informations fiables afin de valider leurs décisions d’investissement. Le plan de vigilance sera un outil technique utile pour l’analyse de ces controverses.

Les plans de vigilance permettront aux entreprises de mieux maîtriser leurs risques juridiques et réputationnels; un enjeu clef pour les investisseurs responsables qui, visant la performance sur le moyen et le long terme, sont particulièrement vigilants quant à la stabilité des entreprises dans lesquelles ils choisissent d’investir.

La mise en place d’un plan de vigilance permettra également aux entreprises un meilleur pilotage de leurs activités : meilleur contrôle, meilleure identification et anticipation de risques et d’opportunités. Un plan de vigilance pourra être utile pour développer des atouts concurrentiels ou améliorer l’image de marque dans une société de plus en plus attentive aux questions de responsabilité sociétale et, au final,
être un atout pour la compétitivité des entreprises. Certaines d’entre-elles ont, d’ores et déjà, de bonnes pratiques en la matière et la loi doit permettre d’installer un « level playing field ».

La France a été pionnière avec l’article 116 de la loi NRE puis avec l’article 225 de la loi Grenelle II. Elle l’a encore été, très récemment, avec la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, en particulier au travers de son article 173. Ces dispositions pionnières ont un effet d’entraînement positif sur l’Union Européenne, en favorisant la mise en place de réglementations pertinentes et élargies.

Par ailleurs, de grand pays ont déjà des législations comparables, qu’elles soient historiques ou récentes. C’est le cas au Canada avec l’article 217.1 du Code criminel, en Espagne avec le plan national  « Entreprise et Droits Humains » de juin 2014, aux Etats-Unis avec l’Alien Tort Claim Act, en Grande-Bretagne avec le « Bribery Act » (UKBA), en Italie avec le décret législatif 231 du 8 juin 2001 et en Suisse avec l’article 102 de son Code pénal. Ces différents textes illustrent clairement le fait qu’une législation de ce type ne constitue pas un frein à la compétitivité des entreprises.

Si le périmètre de la proposition de loi est restreint aux très grandes entreprises, sa mise en œuvre aura progressivement un effet bénéfique sur de plus petites entreprises. Elles sont nombreuses à faire face aux mêmes enjeux dans leurs filiales et avec leurs sous-traitants et fournisseurs, en particulier dans des pays aux réglementations ou aux normes juridiques parfois moins exigeantes.

Enfin, cette proposition de loi est importante pour les investisseurs car ceux-ci peuvent désormais être mis en cause pour défaut de vigilance sur les pratiques des entreprises dans lesquelles ils investissent au travers du mécanisme de plainte (“specific instance”) des points de contact nationaux (PCN) de l’OCDE. Ce mécanisme a déjà été mis en place par le PCN norvégien dans le cas NBIM (the Norwegian Bank Investment Management)[8] et par le PCN hollandais dans le cas APG/ABP[9]. De surcroît, ces cas démontrent que les investisseurs responsables sont davantage exposés que les investisseurs «classiques» à ces mécanismes et au risque de réputation lié. Il est important de noter que les investisseurs peuvent activer ces mêmes mécanismes de l’OCDE contre des entreprises exposées à ces risques qui ne présenteraient pas une transparence suffisante de leur plan de vigilance et, ce, afin de se prémunir contre leur propre risque de réputation.


[1] Le Professeur John Ruggie est mandaté en 2005 par les Nations Unies et au terme d’un processus de consultation de 6 ans, il présente les « Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme: mise en œuvre du cadre de référence “protéger, respecter et réparer” des Nations Unies ».
[7] 223 milliards d’euros pour l’Investissement Socialement Responsable et 357 milliards pour l’intégration ESG. Source Novethic et FIR.
[8] http://oecdwatch.org/cases-fr/Case_262/1176/at_download/file
[9] http://www.oecdguidelines.nl/binaries/oecd-guidelines/documents/publication/2015/1/6/final-statement-abp-apg—somo-bothends/final-statement-somo-bothends-apg-abp2.pdf

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