Deontofi.com poursuit ses comptes-rendus du procès en appel pénal des dirigeants d’Altran, poursuivis pour avoir faussé ou laissé fausser les comptes de la société d’ingénierie. Entre les deux fidèles avocats défenseurs des épargnants actionnaires individuels (maître Pascal Lavisse avocat de l’Appac, défendue un temps par maître Frédérik-Karel Canoy), les plaidoiries du 28 janvier 2014 pour le compte d’autres victimes d’Altran ont permis de mieux appréhender le raffinement des méthodes mises en œuvre au sein de cette entreprise et des préjudices reprochés à ses dirigeants.

Au palais de justice de Paris, le procès d'Altran et de ses ex-dirigeants devant la 11ème chambre correctionnelle de la Cour d'appel se déroulait dans la Chambre des criées. (photo © GPouzin)

Au palais de justice de Paris, le procès d’Altran et de ses ex-dirigeants devant la 11ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel se déroulait dans la Chambre des criées. (photo © GPouzin)

Il y a d’abord eu l’avocat du cabinet de commissaires aux comptes Ernst and Young, dont l’image avait forcément été ternie par les magouilles des dirigeants d’Altran. Malgré leur capacité supposée à examiner les comptes des entreprises, après enquête sur place, pour certifier leur conformité à la réalité, ou refuser de les certifier (ce qui n’arrive pour ainsi dire jamais) s’ils décèlent ou soupçonnent des irrégularités (qui leurs sont parfois signalées par des lanceurs d’alerte), les Commissaires aux comptes (CAC) ne décèlent généralement rien d’illégal tant que les irrégularités comptables de leurs clients ne font pas l’objet d’une procédure judiciaire ou d’un scandale public. C’est ce qui est arrivé dans le cas d’Altran. Les commissaires aux comptes d’Ernst and Young n’ont rien vu et reprochent aujourd’hui aux dirigeants d’Altran d’avoir « mis en place un écran entre les filiales d’Altran et les commissaires aux comptes » pour les empêcher d’y voir clair et de découvrir les fraudes. Sobrement, l’avocat d’Ernst and Young demande à la Cour d’appel la condamnation solidaire des prévenus à 1 euro de dommages et intérêts pour le préjudice causé à l’image de leurs commissaires aux comptes.

Plus tard au cours de cette audience de plaidoiries du 28 janvier 2014, on a aussi entendu brièvement un représentant syndical des actionnaires-salariés d’Altran, floués par leur employeur dans le cadre du Plan d’épargne d’entreprise (PEE) en actions Altran. Depuis 1998, Altran avait mis en place un plan d’actionnariat-salarié bloqué cinq ans. Le représentant syndical explique que ce plan a été clos en 2004, car considéré comme un complément de revenus, et qu’il a été converti en 2008 en un autre plan d’actionnariat, puis transformé en PEE. En tant que représentant légal de ce PEE, le porte-parole des salariés victimes des fraudes d’Altran est venu pour réclamer réparation du préjudice. Seul problème, il lui est impossible de savoir quels individus il représente réellement, ce qui est pourtant une nécessité absolue devant la justice, à cause de l’écran financier entre lui et ses mandants : « je ne sais pas qui je représente car je suis administrateur du PEE mais je n’ai pas accès aux données sur les porteurs qui sont détenues par le dépositaire ». La gestion financière et administrative des PEE est assurée par un dépositaire, souvent filiale d’un grand groupe bancaire comme BNP, Socété générale ou BPCE, rarement coopératif avec les épargnants pour faire valoir leurs droits dans un litige financier.

Plaidoirie de Maître Jean-Christophe Bonté-Cazals.

Plusieurs plaidoiries méritent des comptes-rendus plus approfondis. C’est le cas de celle de l’avocat Jean-Christophe Bonté-Cazals, ou « JCBC » comme l’indique sa carte de visite.

« Je représente les salariés bénéficiaires de stock-options, explique en préambule Maître Bonté-Cazals. On voudrait nous laisser entendre que le droit français n’est pas conforme en s’appuyant sur l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, mais l’article 52 dit que toute limite doit être prévue par la loi et dans un principe de proportionnalité dans un objectif d’intérêt général », rappelle l’avocat pour évacuer, comme ces confrères, cette esquive naïve de la défense : « nous contestons l’argument d’Altran pour échapper à sa responsabilité et demandons de le rejeter ».

Nos clients sont des managers très impliqués, ils avaient beaucoup d’autonomie dans les filiales, ne comptaient pas leur temps. La récompense était les stock-options. S’il n’avait pas été perturbé par les fraudes, cela aurait été un bon système.

Leurs titres étaient incessible car, avant cinq ans, la plus-value d’acquisition [NDLR différence entre la valeur des actions et le prix auquel les salariés peuvent les acheter grâce à leurs stock-options] est considérée comme un salaire avec charges, les actions étaient donc incessibles jusqu’au 4 novembre 2002.

Dans le contexte de communication favorable du groupe, même la banque BNP, en juillet 2002, annonce un objectif de cours de 178 euros. Il y a une incitation des salariés à souscrire et la banque proposait d’emprunter pour acheter des actions, en gageant l’emprunt sur ces actions avant de pouvoir les revendre. UBS allait même plus loin et proposait des crédits sur actions pour acheter des biens immobiliers ou autres. Les managers s’endettaient jusqu’à ce qu’ils soient pris au piège. Quand leurs actions ont dévissé en 2002, ils ne pouvaient pas vendre comme les autres actionnaires. Dès septembre, les banques demandaient d’augmenter les gages sur les crédits accordés, voire une hypothèque sur la maison. Altran prétend qu’elle n’est pas responsable des actes de ses salariés. Comme si le gouvernement n’était pas responsable de la communication de son porte parole ! Les communiqués de presse sont émis au nom d’Altran 80 à 100 personnes sont concernées par les manipulations, ces gigantesques manipulations, qui continuent.

On a entendu au cours des débats qu’Altran n’avait pas intérêt à avoir un cours élevé. C’est une contrevérité. La société avait bien sûr intérêt à doper son cours. D’abord pour lever des fonds, tout le monde le sait. Ensuite, concernant la manipulation comptable, on a entendu qu’Altran étant endetté, devait respecter un ratio de dette sur Ebitda [NDLR earnings before interest, taxes, depreciation and amortisation, équivalent de l’excédent brut d’exploitation, proche du résultat courant], cote D 706. Sinon, la société était contrainte de rembourser.

Altran a financé ses rachats de créance, faisant passer l’entreprise d’une situ nette positive à négative. La BNP, qui le savait, continuait à solliciter les salariés pour acheter des actions à crédit. Il est dommage qu’on ne les ait pas plus entendus [NDLR, les salariés floués].

Pour l’évaluation du préjudice, on compare les actions du secteur. En 2002 toutes les actions de sociétés proches dévissent à l’automne : Alten de 78%, Sopra de 65%, IBM, Alcatel, et l’indice SBF 120. Fin 2004, toutes ont reconstitué leur valeur a plus de 60% par rapport à leur pic de 2002. Altran est la seule qui ne remonte pas. Pourquoi ? Car quand on vous a menti. Quand les marchés découvrent ça, ils perdent confiance.

Même le juge d’instruction a eu des difficultés pour retrouver combien avait été réellement fraudé. Les autres se redressent, mais pas Altran. Par mégalomanie, folie de l’altitude, la société a été détruite. Nous évaluons le préjudice du fait de comportements frauduleux qui ont durablement ruiné la confiance : le cours aurait dû remonter à au moins 75% du pic. Nous estimons à 68 euros le préjudice par action pour les salariés bénéficiaires de stock-options que nous représentons, car leur préjudice correspond à une rémunération de leur travail comme salariés. Je souligne le caractère extrêmement douloureux de cette affaire pour ces salariés, qui ont perdu de l’argent, mais ont aussi un sentiment de trahison que leur a causée la folie des grandeurs des dirigeants .

Une des plaidoiries suivantes concerne un cas intéressant de lanceur d’alerte.

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